Médias

Les langues du «Monde»se délient
Deuxième comité de rédaction depuis la parution du livre de Péan et Cohen.

Par Olivier COSTEMALLE et Catherine MALLAVAL
mardi 01 avril 2003

«Mais putain de bordel de merde, Plantu, je ne te comprends pas !» La phrase résonne dans la grande salle de réunion du Monde, à l'entresol de la rue Claude-Bernard. Il est 16 heures et quelques, hier. La rédaction du quotidien est réunie pour une nouvelle séance de thérapie collective, plus d'un mois après la parution du livre de Pierre Péan et Philippe Cohen, la Face cachée du Monde.

Reproche. Très vite après l'ouverture des débats, un rédacteur en chef s'en prend à Plantu qui est présent. Il lui reproche en termes vifs d'avoir, sur la radio BFM, comparé le Monde à une «monarchie autoritaire». Clame qu'il ne «comprend pas» ce qui a poussé le dessinateur du Monde à exprimer sur les ondes des réserves sur la façon dont la direction du quotidien a répondu aux accusations du livre de Péan et Cohen, «ce tas de boue».

Plantu attrape le micro qui circule. Tout le monde le sait, ici, ses relations avec Edwy Plenel, le directeur de la rédaction, sont exécrables. Son intervention est attendue avec curiosité par la rédaction. Il se défend d'avoir employé l'expression de «monarchie autoritaire». Et contre-attaque. Se plaint de ne pas avoir été convié, à la mi-mars, à une réunion des éditorialistes du journal où il a été question du livre de Péan et Cohen et de ses conséquences. Affirme qu'il est venu parler «au nom de ceux qui n'ont pas osé prendre la parole jusqu'ici». Précise, puisqu'on le traite de «salarié de Dassault», qu'il n'entend pas choisir entre le Monde et l'Express (propriété de la Socpresse, dont Dassault détient 30 %).

A la tribune, Jean-Marie Colombani, patron du journal, reste impassible. A ses côtés, Edwy Plenel, Marie-Béatrice Baudet, vice-présidente de la Société des rédacteurs du Monde, et Michel Noblecourt, son président, gardent le silence. C'est Noblecourt qui a introduit le débat, en rappelant que ce «comité de rédaction» fait suite à celui du 26 février. Et qu'il a été organisé pour «aller plus loin» dans la discussion qui s'est engagée après la publication du livre de Péan et Cohen.

Suivisme. Pourtant, le livre est à peine évoqué au cours des quatre heures trente de réunion. On est déjà dans «l'après». Environ 200 journalistes sont présents, presque autant que la première fois. «Même la guerre en Irak n'a pas interrompu nos discussions sur le livre, s'étonne un rédacteur. L'émotion n'est pas retombée.» Mais cette fois, le ton est nettement moins solennel. Les interventions fusent. Les altercations aussi. Contre Plantu, donc. Mais aussi contre Daniel Schneidermann, le chroniqueur du supplément télé du quotidien, qui n'a pas mâché ses critiques contre la riposte de la direction, y compris dans les colonnes du journal.

Alors, pas question de se faire voler la parole. La «base» veut s'exprimer. Et elle le fait. Critique la Société des rédacteurs du Monde (SRM), accusée de suivisme, de «béni-oui-ouisme» face à la direction. Elle s'en prend aussi à Colombani et à Plenel. A cause «du malaise qui continue» et de «l'absence de défense audible». Quelqu'un prononce le mot «crise». Quelle crise ? Il est 19 heures passées quand Edwy Plenel prend la parole. Et rejette formellement les mots «crise» ou «malaise». «On est riches de nos diversités, mais aussi de nos solidarités», affirme-t-il. Pendant cinquante minutes, il plaide. Il se présente comme le «bouclier» d'une rédaction attaquée de façon collective. N'exclut rien : «Si des gens pensent que je dois être démis, il faut qu'ils le disent.» Commentaire d'un participant : «Il n'a vraiment retenu aucune leçon de ce qui s'est passé. Son seul mea-culpa a porté sur ses colères.»

Soupçons. Enfin, Jean-Marie Colombani conclut la réunion. Lui aussi s'en prend à Schneidermann, qu'il accuse d'avoir «franchi la ligne jaune». Le médiateur du Monde, Robert Solé, en prend également pour son grade, pour être «sorti de son rôle quand il a préconisé, dans une de ses chroniques, un autre journalisme». Pour le reste, il explique une fois de plus que si le Monde est attaqué, c'est parce qu'il a su «devenir un groupe de presse indépendant, et parce qu'il pratique un journalisme d'enquête». Comme Plenel, il soupçonne Péan et Cohen de vouloir faire revenir le Monde à un «journalisme pépère».

Il est 20 h 30. La séance est levée. «Il n'y a pas le feu à la maison, commente un journaliste. Mais on sent bien qu'elle se lézarde imperceptiblement depuis le début de cette affaire.».

 

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