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Le pillage des musées provoque de vives polémiques
LE MONDE | 25.04.03 | 12h58
Des collectionneurs américains sont accusés d'avoir favorisé certains vols.
Une association de collectionneurs, de juristes, de conservateurs et de marchands d'art américains, regroupés depuis 2001 au sein de l'American Council for Cultural Policy (ACCP), est montrée du doigt par certains membres de la communauté scientifique internationale. L'ACCP est, en effet, accusé, à mots couverts, de favoriser le pillage culturel dont l'Irak est actuellement l'objet. Avant le début des opérations militaires, en janvier, ce groupe a pourtant proposé à des membres du ministère de la défense et du département d'Etat américain ses services pour préserver le patrimoine archéologique irakien.
Même cet intérêt est jugé suspect. L'ACCP, classique organisme de lobbying aux Etats-Unis, est connue pour ses positions ultralibérales sur la circulation des biens culturels. Elle trouve notamment que la législation irakienne interdisant la sortie des pièces archéologiques est trop sévère. L'ACCP aurait suggéré au gouvernement américain de faire en sorte que ces restrictions soient assouplies. Or la législation irakienne en matière de protection du patrimoine - qui doit beaucoup aux Britanniques - ressemble à celles qui ont été adoptées par la quasi-totalité des pays du Proche-Orient, Israël compris.
L'Institut archéologique d'Amérique a aussitôt réagi. Son président, Patty Gerstenblith, a indiqué que "le programme de l'ACCP est d'encourager la collection d'antiquités par un assouplissement des législations des pays riches en archéologie, et d'éliminer les collections d'Etat afin de faciliter les exportations". Ce qui a ses yeux constituerait "un désastre". Même son de cloche chez Lord Renfrew, directeur de l'Institut MacDonald de recherche archéologique à l'université de Cambridge (Grande-Bretagne), qui déclare que "la législation irakienne en matière d'antiquités protège l'Irak. La dernière chose dont nous avons besoin serait de voir débarquer je ne sais quel groupe de marchands américains. Toute modification de la loi serait absolument monstrueuse". L'ACCP nie farouchement ces accusations et notamment celle de son lobbying en vue de faire évoluer la législation irakienne.
Paranoïa antiaméricaine ? Cette intervention, souvent banale aux Etats-Unis, contribue à alimenter, à Bagdad, la rumeur d'un pillage programmé des établissements culturels. Même si, à Washington, le président Bush a déclaré, jeudi 24 avril sur la chaîne NBC, que le pillage du musée de Bagdad était un "incident terrible" que seule "la vengeance (...) de gens dont la famille a été battue" peut expliquer.
Beaucoup d'archéologues ou de chercheurs du monde arabe n'hésitent pas à affirmer - sans la moindre preuve - que des collectionneurs américains sont derrière le pillage des musées irakiens. Dony George, directeur des publications scientifiques à l'Organisation nationale des antiquités en Irak, note que les pillards ont négligé d'emporter les copies des objets entreposés dans les réserves, ne volant que les pièces originales. C'est pour lui la preuve que des "spécialistes " étaient au nombre des voleurs et qu'il s'agissait d'une opération "ciblée", organisée par des "intérêts étrangers ".
D'autres font remarquer que des réseaux locaux importants fonctionnaient bien avant la chute de Saddam Hussein - vraisemblablement avec la complicité du régime -, comme le prouve l'apparition, sur le marché occidental, depuis une douzaine d'années, de pièces inédites provenant de fouilles "clandestines". Ainsi, lorsqu'en 2000, l'archéologue française Christine Kepinski retourne en Irak, qu'elle avait quitté avant la première guerre du Golfe, elle constate que les pillages des sites archéologiques se sont développés à une grande échelle. L'Unesco fait d'ailleurs paraître la liste des objets dérobés dans les musées.
De son côté, Didier Julia, député (UMP) de Seine-et-Marne, qui s'était rendu en Irak en février, a attiré l'attention du gouvernement français sur le trafic des œuvres d'art en provenance de Mésopotamie. Il affirme que "dans les salles de ventes françaises, des objets des IIIe et IVe millénaires avant notre ère sont mis aux enchères sous le titre "objets anciens du Proche-Orient"". Il s'agit, selon lui, d'objets résultant de ces pillages. Il signale enfin que les douanes françaises viennent de saisir, au milieu d'un lot de 1 750 objets d'art entrés clandestinement en France, un nombre important de ces pièces estampillées "objets anciens du Proche-Orient". Elles sont actuellement en cours d'expertise pour identifier leur origine de manière précise.
Emmanuel de Roux
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