Médias

Le «oui, mais..» du CSA au porno gay de Pink TV
Le Conseil a finalement conventionné la chaîne.

Par Raphaël GARRIGOS et Isabelle ROBERTS
mercredi 09 avril 2003

n a déjà vu sur XXL des messieurs tout nus faire des cochoncetés avec d'autres messieurs tout nus. Mais ce n'était qu'une fois par mois. Sur Pink TV, ce ne sont pas moins de quatre pornos qui seront diffusés chaque semaine. Gays mais aussi lesbiens et bisexuels, promet Pascal Houzelot, fondateur de la première chaîne homosexuelle française. Hier, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) l'a conventionnée après avoir longtemps réfléchi puisque le dossier était à l'étude depuis novembre 2002.

Selon le conseiller Joseph Daniel, en charge des chaînes et du câble et du satellite, «le débat a été long et complexe». Plus prosaïque, un témoin de la réunion au CSA raconte que «les sages se sont empaillés pendant près d'une heure trente».

La raison ? Après s'être lancé l'été dernier dans une croisade contre le porno à la télé, Dominique Baudis, président du CSA, n'entendait pas autoriser si facilement une chaîne souhaitant diffuser des films X. Baudis a commencé par s'appuyer sur la pratique en vigueur dans le PAF : seules les chaînes cinéma (comme Canal +, TPS Star et XXL qui est considérée comme une chaîne cinéma) diffusent des films porno. Or, Pink TV se présente comme une chaîne généraliste. Analyse du CSA : Pascal Houzelot doit choisir : soit il abandonne le porno, soit il fait une croix sur sa chaîne. Mais il refuse de transiger : «Le porno fait partie de la culture gay», plaide-t-il.

Solution. De peur, après avoir revêtu des habits de rétrograde, de passer en plus pour homophobe, le CSA réfléchit et finit par trouver une solution. «La condition pour diffuser des films pornographiques et tout autre programme de catégorie 5 (1), explique Joseph Daniel, c'est une forte contribution à la production audiovisuelle et cinématographique, nous demandons donc un "sureffort" à Pink TV.»

En guise de pénitence, la chaîne devra, en effet, à terme, consacrer 23,5 % de son chiffre d'affaires à des investissements dans la production cinématographique et audiovisuelle française et européenne. Une contribution plus importante que les chaînes cinéma du câble et du satellite (21 %), mais un peu moins forte que Canal + (26 %). C'est là le prix du porno pour Pink TV.

Astreintes. Mais, comme si ça ne suffisait pas, jusqu'au bout, certains au CSA ont tenté de faire de la résistance. Quatre conseillers, dont Baudis, ont essayé de limiter à 150 par an (soit 3 par semaine), le nombre de diffusions de films X. A l'issue d'un vote, c'est 208 pornos par an (4 par semaine) auxquels Pink TV aura droit, soit autant qu'une chaîne comme Ciné Frisson. Et comme les autres chaînes programmant du porno, Pink TV devra se conformer à une série d'astreintes : diffusion entre minuit et 5 heures, double cryptage, pas d'offre promotionnelle de découverte de la chaîne. Et afin, selon Jo-seph Daniel, que l'abonné puisse «faire un choix explicite et éclairé», Pink TV devra être commercialisée en deux options : avec ou sans porno.

Mais pour le fondateur de Pink TV, le porno ne fait pas toute sa grille : «Le porno représentera environ six heures par semaine, c'est marginal.» Pour le reste, Pascal Houzelot entend proposer des émissions culturelles, musicales, des films, soit «l'offre la plus trendy qui soit», mais se refuse pour l'instant à dévoiler plus sa chaîne qui devrait être disponible sur le câble et le satellite à la rentrée prochaine.

Il lâche tout de même, histoire de mettre l'eau à la bouche du téléspectateur : «Pink TV aura l'esprit du Canal + d'il y a dix-huit ans.» Et d'ajouter, sibyllin: «Il n'y aura pas d'émission pour les coiffeuses de province.» Bref, pour cet ancien conseiller d'Etienne Mougeotte à TF1, «ce sera une télé gay tous publics, pas une chaîne communautaire, une chaîne loin des ghettos qui s'adressera aux gays, aux lesbiennes, mais aussi aux gays friendly».

Capital. Et des gays friendly, Houzelot affirme en avoir trouvé un certain nombre prêts à entrer au capital de Pink TV : Canal + (qu'on n'imaginait pas si prodigue, par les temps qui courent), TF1, M6 et peut-être Lagardère avec qui il est en discussion. C'est qu'à tort ou à raison, le public visé par Pink TV a la réputation d'avoir le portefeuille bien garni. Malgré un prix d'abonnement élevé (9 euros par mois), Houzelot compte séduire 200 000 clients d'ici à 2007.

P>(1) A savoir, les programmes interdits aux moins de 18 ans.

 

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