On pourrait se féliciter qu'à la faveur des articles de
Postel-Vinay dans « La Recherche » et de son livre « Le grand
Gâchis », il y ait enfin un débat sur la politique de la recherche en
France. Analyses, critiques, confrontations, propositions sont indispensables
pour faire progresser notre système de recherche. Et c'est souhaitable. Encore
faut-il qu'il y ait débat, et ce n'est pas la spécialité de « La
Recherche ». Encore faut-il aussi qu'il y ait une approche dépassionnée,
honnête, rationnelle, nuancée par secteur, et ce n'est pas la caractéristique du
livre de Postel-Vinay.
Un tel pamphlet ne mériterait pas en lui-même une
réponse. Toutefois, dans sa dernière conférence de presse, notre ministre ayant
repris l'argumentaire de Postel-Vinay (P-V dans la suite), pour justifier la
récession des moyens de la recherche publique civile, il paraît nécessaire de
répondre à cette campagne de dénigrement de notre recherche.
De la falsification du niveau de l'effort public de
recherche civile
Pour démontrer que la recherche française est
improductive, P-V débute par son argument le plus fort : elle dépense
beaucoup plus que les autres ; la France est en tête de tous les pays pour
la part du budget de l'Etat consacrée à la recherche. C'est presque exact. Mais
ce budget de l'Etat ne finance pas du tout les mêmes choses suivant les pays.
La part de la recherche publique dans le budget est l'addition de la
recherche civile et de la recherche militaire. Or, la France est, avec les
Etats-Unis, le Royaume-Uni et l'Espagne, l'un des rares pays qui a un très fort
taux de recherche militaire publique (en faire ou pas est un autre débat) :
25 % des crédits publics de recherche. En outre, tous les crédits publics civils
ne sont pas dans le budget de l'Etat. Ainsi, les « länders »
allemands, financent nettement plus les laboratoires civils que les régions
françaises. Mais P-V ne le décompte pas.
Ces correctifs importants sont pris
en compte par les statistiques de l'OST qui comparent les crédits civils publics
pour les divers pays (OST, Indicateurs 2002, p. 182 à 184). Pour ceux-ci
rapportés aux dépenses totales de recherche, la France (30,5 %) se situe
nettement en dessous de la moyenne européenne (32,5 % ) et en huitième position
des treize pays européens (Luxembourg et Grèce ne sont pas côtés) et derrière
l'Allemagne. Si on rapporte ces crédits par habitant, la France est en septième
position. Alors, de deux choses l'une : soit le grand spécialiste P-V ne
connaissait pas ces chiffres et c'est grave, soit il les connaissait et ne les a
pas donnés, et ce n'est pas honnête.
Mais il y a plus, le budget public civil
lui-même ne représente pas la même réalité suivant les pays. Des activités comme
le nucléaire ou l'espace sont beaucoup plus financées par l'Etat en France,
alors qu'elles sont principalement financées par le privé, voire classés dans le
secteur privé (Royaume-Uni), ou inexistantes, dans d'autres pays. Cela accroît
artificiellement, la part de financement public de la recherche française.
A
l'inverse, dans certains pays (Royaume-Uni) le financement public de la
recherche publique est sous-évalué. Les laboratoires publics anglais reçoivent
près du quart de leur budget, avec une bonne partie des salaires des
scientifiques, de Fondations privées (la fondation Wellcome Trust était prête à
financer pour 3 milliards de francs Diamond/Soleil, ce qui n'est pas rien). Or
les donations sont fortement dégrevées d'impôts, ce qui revient à distribuer
autrement des crédits publics, mais les décomptant comme crédits privés.
De « l'improductivité » de notre recherche
par le choix des indicateurs
Le critère le moins contestable pour
mesurer la production scientifique d'un pays est le nombre de publications dans
les revues internationales. Sous cet aspect, la situation de la recherche
française est correcte : 5,2 % du total mondial des publications pour 60
millions d'habitants contre 6,9 % pour l'Allemagne pour 82 millions d'habitants.
P-V passe très vite sur ce critère, si ce n'est pour expliquer que si la part
française est passée de 4,2 % à 5,2 % en quinze ans (+ 24 % !), c'est par
ce que ... les français se sont mis à publier en anglais. Ce que P-V n'a pas dit
(car gênant pour sa démonstration), c'est que durant la même période, la part
des Etats-Unis dans les publications mondiales est passée de 36,3 % à 30,5 %
(soit -16 % : OST, 2000, p. XLV). Sans doute, parce qu'ils se sont mis à
publier en français ?
L'indice de citation est un peu moins bon (France
0,95, Allemagne 1,07, Royaume-Uni 1,05) mais ces petites variations sont
difficiles à interpréter. Le Citation Index est une base anglo-saxonne qui a
sélectionné une partie des revues en sur-représentant biologie et médecine (50 %
du total), ce qui est loin d'être la proportion pour la recherche de l'Europe
continentale. Les variations de cet indice mesurent-elles la façon ségrégative
avec laquelle certains anglo-saxons font leurs citations ? Mesurent-elles
le fait que, les labos français, et c'est mieux ainsi, ne sont pas évalués sur
des critères quantitatifs (nombre de publications, invitations, citations)
utilisés dans d'autres pays ? Les différences du poids relatif des
disciplines par pays ? Ou la qualité et l'originalité de la recherche
effectuée ? Ou l'effort pour la faire connaître ? Probablement tout à
la fois, mais dans quelle proportion joue chaque facteur, nul ne le sait.
Comme avec ses maigres variations, il n'y avait pas de quoi assassiner un
chat, P-V va chercher désespérément un ou deux chiffres corroborant sa
conclusion. Il trouve d'abord un article hongrois montrant qu'avec ce critère
des citations, la France est treizième dans le monde et onzième en
mathématiques. Ce secteur représentant 8 % des publications mondiales (OST,
2002, p.VII), P-V aurait pu au moins s'interroger sur la fiabilité de son
indicateur.
Mais en fouillant à fond tous les greniers et toutes les caves de
l'OST, de l'OCDE et des autres producteurs de statistiques, P-V trouve enfin
l'arme qui tue. Si parmi les publications, on considère les 1 % de celles qui
sont les plus citées dans chaque discipline, qu'on en fait la somme et qu'on
ramène ce chiffre par habitant, on prouve enfin la nullité de la recherche
française. Nul ne sait ce que représente cet indicateur (effet de mode ou effet
pérenne d'un article) mais cela démontre au moins une chose : tout l'art
est de bien choisir ses indicateurs pour sa démonstration. Et sous cet aspect,
P-V est vraiment excellent.
De l'histoire d'un chapeau qui était trop grand à
porter
Un grand reproche également fait à la recherche publique est
le faible taux de brevets de la recherche française. Il est certain que le
nombre de brevet est insuffisant en France et baisse même beaucoup comparé à
d'autres pays. C'est un problème réel. Que la recherche publique doive
contribuer au redressement, c'est certain. Mais il ne faut pas lui faire porter
un chapeau trop grand pour elle. Dans tous les pays pour 90 % ou plus, c'est
l'industrie qui prend les brevets, ce qui aurait dû amener P-V à réfléchir sur
les causes de cette faiblesse d'initiative des grandes firmes privées et des
banques, notamment dans la création de « start-ups ».
Mais le
nombre de brevets déposés n'est pas le seul indicateur intéressant. La balance
des échanges des produits de haute technologie fait aussi partie de la
situation. Or, sur ce dernier aspect, la situation française est correcte du
fait des retombées des grands programmes qui furent organisés par l'Etat. La
pirouette que fait P-V en parlant « d'un Etat infantile » le dispense
d'une analyse sérieuse sur réalisations de celui-ci comme sur les causes de nos
carences à savoir la très faible culture « recherche » des cadres du
pays et, durant très longtemps, le désintérêt des banques pour l'innovation.
De l'Etat, considéré comme « infantile »
par Postel-Vinay, et de ses réalisations
Dans le contexte de
l'après-guerre, du gaullisme et de la période qui a suivi, la France a parié sur
les grands projets technologiques : énergie nucléaire, transports (Airbus,
TGV, etc.), espace (Ariane), téléphone, etc. P-V ne rend hommage que du bout des
lèvres à ces très grandes réalisations, pour ne pas dire qu'il les fait passer
souvent dans les pertes et profits, pour la seule raison que les promoteurs de
ces succès correspondent à tout ce à quoi il est allergique. En effet, ces
réalisations ont été décidées par l'Etat et des entreprises nationales,
impulsées par des membres des corps de l'Etat et des organismes, défendues par
les syndicats et réalisées par des scientifiques ayant, de
facto, un statut de titulaire à vie. Un cauchemar !
Encore
aujourd'hui, c'est en faisant progresser ces secteurs que la France assure une
balance correcte des échanges de produits de haute technologie et une partie de
ses exportations. C'est grâce à cela que l'Europe n'est pas totalement
dépendante des Etats-unis dans tous les secteurs importants, et même les
concurrence avec succès dans certains cas. Sur le rôle de l'Etat et sur les
grands programmes, les Etats-Unis sont allés plus loin encore, même si c'est
avec des formes préservant les apparences du libéralisme.
Mais il est aussi
clair que la France a manqué, dès le « Plan Calcul » (informatique) et
les années soixante-dix, le tournant des PME de haute technologies. La culture
« étatiste » n'explique sûrement pas tout. Contrairement aux
Etats-Unis qui ont assuré une progression régulière des dépenses de recherche,
la France a connu plusieurs crises budgétaires graves de sa recherche notamment
entre 1970 et 1981 et depuis, à chaque retour de la droite au pouvoir. Ces
périodes de vaches maigres détruisant les progrès des précédentes, cette
politique par à-coups, n'a pas permis de tenir tous les fronts : développer
les recherches de base, mener une politique dynamique dans l'innovation et
investir dans les grands programmes. Ces derniers ne sont pas à confondre avec
le gaspillage abyssal (la moitié des crédits récurrents de tous les EPST depuis
des années) de notre participation aux « vols habités », décidée
irréversiblement par J. Chirac en 1996. Mais il est des raisons plus profondes
que budgétaires.
Du péché originel de notre recherche industrielle et de la
formation par la recherche
S'il faut nuancer les statistiques brutes sur le
taux insuffisant de notre recherche industrielle (en France, nucléaire et espace
sont comptabilisés en partie avec le secteur public), il reste que, dans nombre
de branches, l'investissement privé est ridiculement bas, et cette faiblesse est
congénitale. Cela tient avant tout au faible nombre de cadres ou d'ingénieurs
des secteurs public et privé qui ont une thèse. Ce taux était il y a une
décennie de l'ordre de 10 % (25 % en chimie et pharmacie) contre 50 % aux
Etats-Unis ou en Allemagne. L'absence d'une « culture de recherche »,
le très faible nombre de docteurs ayant un poids dans les grandes décisions de
la firme, font que la recherche n'est pas considérée comme un investissement
intégré dans une stratégie mais, trop souvent, comme une charge
financière.
La raison est que les cadres du secteur privés et les corps de
l'Etat sortent des grandes écoles. Or, malgré un gros effort fait pour la
recherche depuis 20 ans par celles-ci, le résultat demeure maigre : 2 %
seulement des élèves (en comptant, il est vrai, les écoles de commerce) font une
thèse. Pire, dans nombre d'écoles, à Polytechnique par exemple, le nombre
d'élèves faisant une thèse a baissé. La raison en est simple : la thèse est
souvent mal reconnue dans les carrières du privé et les corps de l'Etat trop
fermés.
Le problème n'est donc pas d'affaiblir l'Etat par principe ou de
supprimer les grandes écoles, même si leur positionnement mérite discussion. Le
problème est de faire que la recherche irrigue beaucoup plus toutes les
activités du pays et donc d'ouvrir les corps de l'Etat à des docteurs, de
reconnaître la thèse dans les conventions collectives, de couper le
« crédit d'impôt » aux firmes qui ne recrutent pas assez de
scientifiques, d'attirer les jeunes vers le doctorat en augmentant le montant et
le nombre des allocations, etc.
D'un coupable non cité à comparaître
Mais
dans le retard pris par la France, la frilosité du système bancaire public ou
privé à investir dans l'innovation et les PME technologiques, investissement
jugé trop risqué, a pesé lourdement. Je prendrai deux exemples sur le secteur de
l'appareillage scientifique et médical.
Le ministère avait compris très vite
l'intérêt d'un spectromètre de masse dit « quadripolaire ». La DGRST
avait financé les recherches, une PME exploitant les résultats s'était créée et
a été fortement aidée, plusieurs laboratoires publics ont collaboré pour la mise
au point. Mais voilà, le système bancaire n'a pas suivi. Je me souviens des
propos de l'ingénieur responsable du projet me disant « pour être rentable,
il faut nous implanter aussi sur le marché américain, mais cela coûte ; on
ne peut mener de front cette opération et l'amélioration techniques des
appareils car les banques prêtent peu ». Cinq ans plus tard, ce type
d'appareil allait envahir les labos et des services médicaux. Mais notre PME
avait fermé.
Un peu plus tard, des physiciens nucléaires se reconvertissaient
(Ah, ce « CNRS-naphtaline » comme a pu dire P-V) et construisaient un
spectromètre à temps de vol pour étudier notamment la masse et la structure des
protéines. Les physiciens ont cherché longtemps l'argent pour commercialiser et
améliorer leur appareil, mais en vain. Deux ans après, une firme allemande
prenait le marché avec un spectromètre moins performant
Il a fallu attendre
1997 pour que des mesures soient prises favorisant l'investissement dans ce
secteur et encourageant les scientifiques à créer des PME innovantes, même si la
loi sur l'innovation est critiquable par le manque de clarté sur les rapports
financiers entre public et privé. Mais il est navrant de voir que ce que
critique P-V, c'est qu'un chercheur créant une PME puisse revenir dans la
recherche publique en cas d'échec, ce qui est le cas de 90 % des tentatives. Si
on veut qu'aucun chercheur ne tente sa chance, alors écoutons P-V.
D'indices non pris en compte par
l'enquêteur
On ne saurait réduire le rôle de l'Etat aux seuls aspects
économiques. Les sciences humaines et sociales, par exemple, sont pratiquement
ignorées dans tout le livre de P-V. Pourtant, une population toujours plus
nombreuse va dans des expositions et musées conçus avec des universitaires et
des chercheurs. En France, l'édition d'ouvrages scientifiques en histoire,
sociologie ou philosophie, touche un large public et ne trouve son équivalent
que dans quelques rares pays comme l'Italie. Les sciences sociales sont aussi
insérées dans l'actualité, du chômage à la conception de la ville, de la
violence à la santé.
Plus généralement, on doit s'interroger sur
l'intégration de la recherche dans les activités sociales. Le Royaume-uni a une
excellente recherche médicale (en publications) mais un système de santé plus
que médiocre, du moins d'après l'OMS, alors que la France est en tête sous cet
aspect. Les Etats-Unis, qui ont des laboratoires sur l'environnement parmi les
meilleurs du monde, sont aussi les premiers pollueurs mondiaux.
De l'importation des modèles étrangers et du
post-doc de 7 à 77 ans.
S'il est toujours intéressant d'étudier ce
qui se fait à l'étranger, pour en adapter ce qu'on estime bien, on ne peut
dissocier un « modèle » du contexte où il s'est créé et où il
fonctionne. C'est le cas des « post-docs ». Je n'ignore pas que ce
problème est difficile et divise le milieu scientifique, notamment en biologie.
J'ai personnellement défendu l'idée que nous n'avions pas assez de post-docs
étrangers et qu'il serait souhaitable que, dans les deux années qui suivent leur
thèse, les doctorants français aient aussi la possibilité d'avoir un stage
financé dans un labo français.
Mais si on veut aller au-delà, comme le
propose P-V, il faut savoir que l'âge moyen de recrutement (CR1 + CR2+ MC) est
de l'ordre de 33/34 ans aujourd'hui et que la suppression cette année de mille
possibilités de recruter des jeunes docteurs sur un statut public va encore
accroître cet âge. Il convient aussi de prendre en compte qu'aux Etats-Unis on
peut faire une bonne carrière dans l'industrie en étant recruté à 35 ans, alors
que l'industrie européenne recrute plus jeune, et encore davantage en France, du
fait des grandes écoles d'ingénieurs. Enfin, dans de nombreuses disciplines, et
dans un contexte où l'on va manquer de scientifiques, remplacer les cadres
statutaires par des post-docs, conduira à effectuer une sélection à rebours. A
l'exception de quelques sympathiques illuminés, on ne recrutera que ceux dont
n'a pas voulu le secteur privé. C'est du reste la question que se pose
l'Allemagne et le Royaume-Uni, qui recréent des postes de titulaires et même les
Etats-Unis, qui s'interrogent sur la désaffection des jeunes américains pour les
carrières universitaires ou de recherche. Peut-être aussi par ce que, en quinze
ans, la part des Etats-Unis dans les publications mondiales a chuté de 17 %.
De la bureaucratie vue par les scientifiques
américains
L'autre idée très originale ( ?) de P-V est de faire
fonctionner toute la recherche publique sur contrats distribués par des Agences
finalisées. Il faut rappeler que déjà les laboratoires du CNRS fonctionnent en
moyenne pour moitié sur des contrats, ce taux pouvant dépasser 80 %, hors
salaires. Et donc le peu de liberté qu'ont les labos pour avoir un minimum de
continuité dans le temps de leur recherche serait supprimé.
Lors d'une
discussion avec les chimistes d'une bonne université américaine, j'ai eu la
question « y a-t-il autant de bureaucratie en France que chez
nous ? », question dont je n'ai pas compris le sens tout de suite.
Cela voulait dire qu'ils en ont assez de remplir des dossiers pour demander des
crédits, des appareillages, des doctorants, des post-docs, de répondre aux
appels d'offre, de remplir du papier avec une confiance plus que mitigée sur le
résultat et la qualité de l'évaluation. Certes, ils obtiennent beaucoup plus de
moyens que nous, mais ils en ont assez de « perdre la moitié du
temps » à ce qu'ils considèrent être de l'administration et de la
bureaucratie. Assez de devoir faire fonctionner leurs équipes avec des contrats
alimentaires pour pouvoir maintenir la recherche qui les intéresse. Leur
rêve ? c'est d'obtenir une partie plus significative de leurs crédits sur
la seule base de la qualité de leur recherche. Et c'est cela que P-V veut
supprimer en France, au nom du modèle américain.
De l'absence de concurrence dans un marché
captif
Bien entendu, la recherche française évolue et doit continuer
à le faire. Sur divers sujets (évaluation, innovation, dimension européenne,
post-docs, etc.), des débats contradictoires pourraient éclairer les points de
vue et favoriser l'évolution des choses. « La Recherche » pourrait en
être un support. A la place, nous avons une tribune personnelle de P-V, une
Pravda qui ne donne la parole qu'à ceux d'accord avec telle ou telle de ses
positions sur la politique à suivre. Alors que la revue « Sciences »,
internationalement reconnue, couvre largement ce qui se passe dans notre
secteur, dans la pluralité de ses opinions, cherchez la place donnée par la
« La Recherche » à la pétition contre le système paralysant des
« marchés publics » (5500 signataires) ou à « l'Appel » de
6000 scientifiques qui protestaient contre le budget 2003 de la recherche.
On
ne peut être ultra-libéral seulement pour les autres. N'en déplaise à P-V, la
création de « La Recherche » a été appuyée par l'Etat, sa survie est
notamment assurée par le grand nombre d'abonnements des organismes, des
laboratoires et des scientifiques du secteur public. Les articles des chercheurs
sont souvent d'excellente tenue ; cela est bien car nous avons besoin d'un
grand journal de diffusion des connaissances en langue française. Mais du fait
des abonnements du secteur public, c'est aussi un marché captif qui permet à P-V
de faire, sans contradicteurs, sa propagande personnelle. Une partie des abonnés
peu informés accepte tout les yeux fermés, certains sont d'accord, mais nombre
de lecteurs sont profondément irrités. Une campagne de publicité a eu pour
slogan « les yeux fermés j'achète tout au Printemps ». A quoi avait
répondu la semaine d'après « et quand je les ouvre, je vais à la
Samaritaine ». Et il arrive aux scientifiques d'ouvrir les yeux.
Henri Audier,
Directeur de Recherche.
Membre du CA du CNRS
PJ : Annexes 1 et 2.
Annexe 1
Pays | Financement .public (en M€) | Fin.public. / DIRDa (en %) | % recherche civile/ financement . public | Recherche civile publique (% DIRD) | Rech. civile publ..(M€) / millions d'habitants | |
Allemagne | 14 570 | 35,9 | 91,2 | 32,8 | 5806 | |
Autriche | 1 136 | 45 | 100 | 45 | 6311 | |
Belgique | 940 | 28,9 | 99,4 | 28,7 | 4147 | |
Danemark | 1015 | 40,3 | 99,4 | 40 | 7660 | |
Espagne | 2633 | 48,6 | 59,8b | 29 | 1900b | |
Finlande | 974 | 31,8 | 98,4 | 31,3 | 5862 | |
France | 11 281 | 41,8 | 73,2 | 30,6 | 5668c | |
Irlande | 243 | 23,9 | 100 | 23,9 | 1528 | |
Italie | 6233 | 51,1 | 97,1 | 49,6 | 5339 | |
Pays-Bas | 2862 | 41,6 | 96,7 | 40,2 | 7190 | |
Portugal | 643 | 72,7 | 99,4 | 72,3 | 4648 | |
Royaume-Uni | 7569 | 35,6 | 55,6b | 19,8 | 2510b | |
Suède | 1892 | 28,9 | 94,2 | 27,2 | 5782 | |
Union Européenne | 52 870 | 39,4 | 82,7 | 32,5 | 4553 |
Effort de Recherche Publique civile des pays européens. Source OST, année 1999.
(a) DIRD : Dépenses Intérieures de Recherche et Développement (total : public +privé). (b) Au Royaume-Uni et en Espagne, comme aux Etats-Unis, une partie des crédits de recherche militaire (40 % des crédits publics !) transitent par les entreprises qui sous-traitent ensuite aux laboratoires publics. (c) Contient du nucléaire civil et du spatial à un taux très supérieur aux autres pays.
Annexe 2
Pays | Population P (millions d'hab) | N.cherch. dans Ens. Supa | N. cherch. d'Etatb | N. cherch. Ens. Sup./ Population | N.cherch.d'Etat / Population | N. cherc. publicsc / millions d'habit. | |
Allemagne | 82,3 | 66 695 | 37 846 | 810 | 460 | 1 250 | |
Australie | 19,5 | 39 507 | 8 872 | 2 026 | 455 | 2 481 | |
Autriche | 8,1 | 5 955 | 954 | 735 | 117 | 1 071 | |
Belgique | 10,2 | 12 209 | 1 210 | 1 196 | 119 | 1 315 | |
Canada | 31,0 | 32 250 | 7 420 | 1 040 | 239 | 1 279 | |
Danemark | 5,3 | 5 722 | 3 918 | 1 080 | 739 | 1 819 | |
Espagne | 40,2 | 33 840 | 11 934 | 842 | 297 | 1 135 | |
Etats-Unis | 285,9 | 186 027 | 47 700d | 650 | 167 | 817 | |
Finlande | 5,2 | 10 555 | 4 487 | 2 030 | 863 | 2 893 | |
France | 60,9 | 56 717 | 25 187 ( 18 000e) | 931 | 413 ( 295 ) | 1 344 ( 1226 ) | |
Irlande | 3,8 | 2 627 | 300 | 691 | 79 | 770 | |
Italie | 57,9 | 24 997 | 13 697 | 431 | 237 | 667 | |
Japon | 127,2 | 178 418 | 30 887 | 1 402 | 243 | 1 645 | |
Norvège | 4,5 | 5 521 | 3 037 | 1 227 | 675 | 1 902 | |
Nouv-Zélande | 3,8 | 4 996 | 1 631 | 1 314 | 429 | 1 743 | |
Pays-Bas | 16,0 | 12 491 | 8 048 | 780 | 503 | 1 283 | |
Pologne | 38,6 | 35 284 | 10 811 | 914 | 280 | 1 194 | |
Portugal | 10,0 | 8 243 | 3 445 | 824 | 345 | 1 165 | |
Royaume-Uni | 59,7 | 49 023 | 14 980f | 821 | 251 | 1 071 | |
Suède | 8,9 | 14 623 | 2 423 | 1 643 | 272 | 1 915 | |
Suisse | 7,1 | 9 140 | 440 | 1 287 | 62 | 1 345 |
Nombre de chercheurs par millions d'habitants d'après l'OCDE (Indicateurs recherche 2002/2, tableaux 49 et 56).
(a) Principalement universitaires (comptés à un mi-temps recherche) ; le CNRS est décompté dans cette rubrique mais non ses homologues européens. (b) Hors CNRS pour la France et « mostly », hors recherche militaire. (c) Somme des colonnes précédentes ; les post-docs ne sont souvent pas décomptés, notamment pour les Etats-Unis. (d) Les universitaires des établissements sans recherche (la moitié ou plus) ne sont pas décomptés, notamment pour les Etats-Unis. (e) Entre parenthèse chiffres corrigés a minima pour obtenir le nombre de chercheurs hors nucléaire civil et hors espace (d'après les rapports d'activité du CNES et du CEA).
L'analyse que fait Henri Audier est a la fois tres claire, donc tres convaincante, tres forte et tres utile.
Je souhaite l'en feliciter de ma part. mais il n'est pas facile de lutter contre la calomnie.
J'ai été conseiller scientifique a La Recherche pendant une bonne dizaine d'années, de 1984 a 1994, aux epoques successives ou cette revue etait dirigee par Claude Cherki puis par Stephane Khemis. J'y ai ecrit une bonne cinquantaine d'articles de toutes sortes. A cette epoque, les journalistes avaient une assez bonne formation scientifique et de nombreux conseillers comme moi assuraient un contenu de valeur a l'ensemble, grace a une collaboration etroite entre tous.
Lorsque Olivier Postel Vinay a ete recrute, son premier geste a ete de mettre a la porte toutes les competences scientifiques qui pouvaient constituer un pouvoir opposé au sien. Une fois la place nettoyée, il a alors impose ses editoriaux contre la science francaise, contre l'etat et ses fonctionnaires, contre la recherche publique. Il a remplacé les articles originaux par des traductions d'articles anglosaxons souvent approximatifs ou superficiels (l'une de ses obsessions, somme toute assez vulgaire, est que la science anglosaxonne est evidemment meilleure que la francaise, en particulier bien sur parce que nos amis etrangers n'ont pas a souffirir de ces terribles fonctionnaires. Quant je pense que mes collegues americains envient notre CNRS !). La revue la Recherche a donc perdu tout contenu scientifique solide, et , progressivement, une grande partie de son lectorat chez les chercheurs. Tous les scientifiques de renom qui avaient soutenu cette revue d'une facon ou d'une autre l'ont quittée, souvent bruyamment. En ce qui me concerne, j'ai proposé a Olivier Postel Vinay en 1994 de rebaptiser "La Recherche" en "Contre la Science" . Cette allusion a la revue concurrente ("Pour la Science" , qui est restée decente) a precipité, bien sur, ma propre mise a l'ecart. Le gachis, c'est celui de cette revue qui fut un fleuron de l'edition scientifique francaise, et il est l'oeuvre d' Olivier Postel Vinay.
Tel est bien mon point de vue, en tout cas.
Sebastien Balibar
PS. Notre laboratoire souffre d'enormes reductions de credits comme tous les autres. La droite au pouvoir utilise les arguments a la Postel Vinay pour justifier sa politique aveugle. Non seulement 30 % en moins sur les credits de fonctionnement-equipement du cnrs, mais aussi une annulation des reports de l'an passe (les actions pluriannuelles qui n'etaient pas terminees, par exemple), et meme une annulation de toutes les decisions qui avaient ete prises mais pas encore financees. La droite annulant les decisions de la gauche : l'etat n'a donc plus de parole. Mais une action specifique accordee par le cnrs en janvier 03 (pour le lancement d'une nouvelle experience dans mon equipe), et notifiee officiellement a mon laboratoire vient meme d'etre annulee en mars 03 alors que nos commandes avaient deja ete passees : ce gouvernement ne tient meme plus sa propre parole ! face a la cute de nos autres osurces de financement , les université par exemple, la situation devient critique et je crains fort que ce metier attire encore moins de jeunes cerveaux qu'avant.