Si les participants au Forum social européen de Florence, en
septembre 2002, ont pu échanger leurs idées, c'est grâce à Babels, jeune
réseau de traducteurs et d'interprètes volontaires. Initié par des
Français, Babels possède déjà des coordinations en Italie, en Allemagne,
au Royaume-Uni, en Espagne, en Russie et en Suisse. Présent sur le Net
depuis seulement deux mois, Babels.org voit affluer les inscriptions de
bénévoles au rythme de 50 par jour. Rencontre avec trois de ses
responsables parisiens : Laurent Jesover, webmestre d'Attac, Laurent
Vannini, chargé de mission pour le Forum social européen de Saint-Denis en
novembre prochain et Ludivine Nataf, responsable de la traduction pour le
contre-G8 d'Evian fin mai.
Qu'est ce qui a motivé la création d'un réseau
de traducteurs et d'interprètes volontaires ?
L.J. : Il
y a toujours eu de l'interprétariat bénévole lors des différentes réunions
altermondialistes, notamment ce réseau de traducteurs dans la mouvance
d'Attac qui s'appelle Coorditrad. A Porto Alegre, le budget permettait de
payer un certain nombre de professionnels de la traduction et les
organisateurs "bouchaient les trous" avec des
volontaires. Cela nous paraissait politiquement malsain. Nous avons donc
fait le pari de faire appel à 100 % de volontaires pour l'interprétariat.
Les organisateurs du Forum social européen de Florence (FSE) étaient fort
dubitatifs, mais devant leurs impératifs financiers, ils nous ont dit
banco. En deux mois, 600 personnes se sont manifestées pour la traduction
et nous en avons envoyé 350 en Italie. Et ceci uniquement avec un appel
que nous avons fait circuler sur les listes électroniques du FSE, qui
s'est ensuite diffusé sur internet.
Votre site ne cesse de recevoir des
inscriptions de bénévoles. Comment expliquez-vous ce succès ?
L.N. : Depuis le forum de Florence, en novembre 2002, nous avons
1200 volontaires de plus dans notre base de données ! Au FSE, nous
avions travaillé dans une totale improvisation et avec l'énergie des
débuts. Nous squattions une ancienne tour de la ville, sans chauffage,
sans micro. On accrochait les plannings sur des fils avec des pinces à
linge. En rentrant en France, nous étions déjà sollicités pour le
contre-G8 d'Evian et pour le FSE de Saint-Denis. Tout va très vite.
L.J. : Les altermondialistes attendaient cette bataille pour la
diversité des langues. Nous sommes tout simplement arrivés au bon endroit
au bon moment. Dans ce mouvement qui s'est internationalisé depuis
Seattle, les débats ne tournaient qu'autour de trois langues majoritaires,
qui sont les trois langues coloniales du monde : l'espagnol, le
français et l'anglais. Faire la promotion des idées, c'est permettre au
Polonais, au Hongrois, à l'Indien, au Basque, ? d'écrire dans sa
langue et de faire partie, comme les autres, du débat mondial.
Comment définiriez-vous votre rôle dans le
mouvement altermondialiste ?
L.V. : Nous ne sommes
surtout pas des prestataires de service. Nous voulons travailler sur les
idées et nous nous considérons comme un acteur politique à part entière.
Nous affichons notre refus de voir seulement cinq langues dominer tous les
échanges. L'article premier de la charte de Babels affirme le droit de
chacun à s'exprimer dans la langue de son choix. Notre deuxième acte
politique, c'est le travail sur un glossaire des termes et concepts selon
les pays, les cultures. Par exemple, nous nous sommes rendu compte que le
concept de "souveraineté alimentaire" n'a pas la même
connotation en fonction des pays. Il nous faut donc définir une
terminologie dans sa diversité de pratiques et d'acteurs afin de faciliter
les débats.
Mais quelles sont vos relations avec les
interprètes professionnels ? Ne vous accusent-ils pas de "casser le
métier" ?
L.J. : Nous avons beaucoup de respect pour ce
métier qui demande beaucoup d'études et d'expérience, et qui n'est pas
accessible à tous. Notre charte définit donc un cadre exact pour nos
interventions. Et les professionnels l'ont bien compris. Pour preuve,
parmi nos volontaires, environ 50 % sont des interprètes de conférence ou
des traducteurs professionnels.
L.V. : Les professionnels
travaillent pour un grand nombre de sociétés, dans un cadre très
institutionnalisé où l'anglais est prédominant. Alors ce genre de
manifestations leur permet de se remettre en question, de prendre des
risques. Et d'une certaine façon, de lutter contre le monopole de
certaines langues. Il fallait voir à Florence, le bonheur de certains
interprètes quand on leur a demandé de travailler en catalan !
Vous avez été sollicité pour organiser les
traductions au contre-G8 d'Evian. Comment allez-vous travailler ?
L.J. : Nous fonctionnons principalement via internet parce que
nous n'avons pas de bureau. Les listes de discussion nous permettent de
débattre et de nous organiser. Mais il reste des méthodes de travail à
inventer, car nous souhaitons garder cette souplesse qu'offre le réseau,
mais nous devons être plus efficaces dans nos prises de décision. Par
exemple, quelle langue choisir quand on travaille pour des coordinations
de pays différents ?
L.N. : Avec Evian, nous expérimentons
pour la première fois l'utilisation de notre base de données. Nous
découvrons au jour le jour les problèmes et leurs solutions ! Environ
340 traducteurs ont offert leurs services pour cette manifestation. Nous
allons pouvoir payer le voyage à une trentaine d'entre elles. Et ceux qui
le peuvent nous retrouverons au centre Martin Luther King à Annemasse, où
se déroule le contre-G8.
Mais votre grand défi reste le FSE de
Saint-Denis en novembre ?
L.V. : Cette année, le FSE a
en effet décidé que tout l'interprétariat serait bénévole, ce qui signifie
1000 à 1500 interprètes volontaires sur place. Pourquoi mille
interprètes ? Parce que le FSE, ce sont 450 événements sur trois
jours. Et les gens qui seront là auront envie d'échanger du matin au
soir !