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La couverture du conflit irakien a frustré les journalistes
LE MONDE | 20.05.03 | 13h02
Les représentants des médias occidentaux estiment, avoir manqué de visibilité et de liberté dans leur couverture des événements.

Certains ont vécu la guerre en Irak dans le huis clos de l'hôtel Palestine à Bagdad, d'autres ont partagé le quotidien des troupes américaines et britanniques (les "embedded"), d'autres ont avancé en indépendants (les "unilaterals"), dans la foulée de l'armée. Au total, pourtant, peu de journalistes ont observé de leurs propres yeux le véritable engagement militaire pendant les trois semaines qu'a duré la guerre en Irak. Ils n'ont pas été davantage les témoins directs des effets des 30 000 bombes lâchées par les forces de la coalition. "On était dans une seringue, on a produit les mêmes images, avec les mêmes angles, les mêmes mots. Une grande partie de la guerre nous a échappée", constate amèrement François d'Alançon, reporter à La Croix.

Réunis, vendredi 16 mai, au Centre d'accueil de la presse étrangère (CAPE) à Paris - dans le cadre des Entretiens de l'information, organisés par le sociologue Jean-Marie Charon au côté de Reporters sans frontières -, des journalistes rentrés en France ont critiqué leur propre travail en raison des conditions qui leur ont été imposées par les belligérants.

A Bagdad, la presse internationale a été utilisée comme bouclier humain par le gouvernement irakien. Les antennes de transmission satellitaires des télévisons ont été bloquées par les autorités irakiennes sur le toit du ministère de l'information afin d'y abriter des appareils de transmission militaire.

"Nous étions tous cloîtrés à l'Hôtel Palestine, sauf Al-Jazira. On nous imposait un traducteur qui, tous les soirs, faisait un rapport sur nos faits et gestes,raconte Christian de Carné, journaliste reporter d'images à France 3. Nous subissions des pressions de la part des Irakiens, qui nous empêchaient de filmer dans la rue, nous avions donc extrêmement peu d'espace de liberté. Alors, chacun a essayé de remplir sa mission du mieux possible". Mais "personne n'a eu le courage de les envoyer bouler, parce que la concurrence entre nous interdisait toute solidarité intelligente", regrette Morad Ait-Habbouche, de la maison de production "Elle est pas belle la vie", qui travaille pour "Envoyé spécial".

A l'arrivée des forces de la coalition, les journalistes n'ont finalement pas gagné plus de liberté à Bagdad, racontent-ils. Notamment après les tirs sur l'Hôtel Palestine, qui ont fait deux morts parmi les journalistes, et le bombardement d'Al-Jazira. Deux actes assimilés, sur place, à une sommation.

"Je n'ai jamais eu aussi peur que quand les Américains étaient là, affirme Aymeric Caron, de Canal+. Il ne s'agit pas de trouver les Irakiens sympathiques mais, finalement, ils ne nous ont jamais fait craindre pour notre sécurité, alors qu'on sentait une réelle agressivité à notre égard de la part des Américains." Neuf journalistes ont été tués en Irak, dont six par des tirs "amis". Deux autres sont toujours portés disparus après avoir essuyé des tirs près de Bassora, au sud de l'Irak, dont le Français Frédéric Nérac, travaillant pour la chaîne britannique ITN (Le Monde du 2 mai 2003).

De nombreux journalistes restés à Bagdad ont vu d'un œil interloqué la coalition - "une espèce de cohue monumentale" - débarquer du désert et créant des embouteillages dans les rues auparavant désertes de la ville. "Qu'on le veuille ou non, pour les Irakiens, nous étions assimilés à l'armada de la coalition", reconnaissent plusieurs reporters.

"UNE ÉPREUVE PHYSIQUE"

Curieusement, pourtant, les journalistes embarqués au côté des militaires ont prouvé qu' "on pouvait faire un grand travail journalistique", commente Hervé Brusini, le directeur de l'information à France 3 qui n'avait pas d'"embedded" dans son équipe. A raison, parfois, de 15 heures par jour dans la chaleur étouffante et la noirceur du ventre d'un véhicule Bradley, certains n'ont pas résisté. "C'était une épreuve physique terrible", reconnaît Yves Eudes, reporter au Monde et "embedded" dans une unité d'infanterie.

A la différence du débarquement allié en 1944, au cours duquel des reporters comme le célèbre Robert Capa portaient l'uniforme des officiers, les "embedded" de 2003 ont passé beaucoup de temps à chercher chaque jour un endroit où dormir, de quoi manger. "Ce n'était pas l'endroit idéal pour une vision géostratégique, mais on était là pour raconter le quotidien des soldats, dit Yves Eudes. J'étais préoccupé par la camaraderie qui s'installe forcément, la peur qu'elle m'influence". Un risque réel, à en croire certains témoignages : un "embedded" se serait vanté d'avoir signalé aux Américains trois Irakiens, et de les avoir fait tuer. Mais les va-t-en guerre n'étaient pas forcément ceux qu'on croit. "Beaucoup de journalistes britanniques, par exemple, n'étaient pas venus pour faire une couverture équilibrée", rapporte un Français.

Globalement, le travail des journalistes de cette deuxième guerre du Golfe n'était pas comparable à celui de 1992 en raison, principalement, du saut technologique effectué depuis et de l'attachement des rédactions à décrire les conditions de fabrication de l'information. Mais d'énormes menaces continuent de peser. En temps de guerre, les journalistes de télévision sont presque réduits à de simples "caméras de surveillance" filmant en direct un terrain verrouillé par les belligérants.

Même l'Hôtel Palestine était devenu une sorte de théâtre : "Du balcon, on voyait se fabriquer des scènes expressément pour nous", explique Caroline Sinz, reporter à France 3. La chute de la statue de la place Ferdaous ? Pas représentative du moment, affirment-ils tous. Les Américains l'ont renversée en premier. A 14 heures, il n'y avait qu'une vingtaine d'Irakiens sur la place. Deux heures plus tard, il y en avait une centaine, rameutés par haut-parleurs. Juste assez pour des images de télévision.

Florence Amalou


TV Irak émet sous contrôle américain

La télévision irakienne, qui s'était tue quelques jours avant la chute du régime de Saddam Hussein, a commencé à réémettre, diffusant notamment des informations préparées par l'Office américain de reconstruction d'assistance humanitaire (ORHA).

Rebaptisée "la chaîne d'information irakienne", tout en gardant le sigle et les locaux de l'ancienne station, elle fonctionne depuis peu, à titre expérimental, à raison de quatre heures par jour, dans l'après-midi. La diffusion ne couvre pour l'instant que Bagdad et sa banlieue. Captée sur la même fréquence qu'auparavant, la chaîne a diffusé, le premier jour, des programmes sur la vie quotidienne dans l'Irak de l'après-guerre et le travail des organisations humanitaires, entrecoupés de vieilles chansons traditionnelles. Le personnel travaille sans salaire. - (AFP.)

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.05.03

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