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Paris s'élève contre une "campagne de désinformation" dans la presse américaine
LE MONDE | 16.05.03 | 13h39     MIS A JOUR LE 16.05.03 | 14h03
L'ambassadeur français aux Etats-Unis adresse aux autorités de Washington une lettre réfutant les accusations sur les relations de la France avec Saddam Hussein.

Washington de notre correspondant

Le gouvernement français estime que la France est la cible d'une "campagne de désinformation" dans les médias américains. Jean-David Levitte, ambassadeur à Washington, a envoyé une lettre, à ce sujet, jeudi 15 mai, à la Maison Blanche, au département d'Etat, au Pentagone, à des parlementaires et aux rédactions de plusieurs journaux et chaînes de télévision.

A Paris, une porte-parole du ministère des affaires étrangères, Marie Masdupuy, a indiqué que les diplomates français aux Etats-Unis ont été invités à "surveiller les médias" pour y relever les signes de cette désinformation.

Dans sa lettre, l'ambassadeur écrit que ces articles "s'appuient tous sur des informations provenant de "responsables gouvernementaux anonymes"". Il souligne le caractère "troublant et, à vrai dire, inacceptable, de cette campagne de désinformation, qui vise à ternir l'image de la France et à égarer l'opinion publique". "Les méthodes employées par ceux qui propagent cette désinformation n'ont pas leur place dans les relations entre des amis et alliés, qui peuvent être en désaccord sur des questions importantes, mais qui ne devraient pas pratiquer le dénigrement ni le mensonge", écrit M. Levitte.

Le courrier cite huit éléments témoignant, selon l'ambassadeur, de cette campagne. Il s'agit d'articles parus depuis septembre 2002, dans les quotidiens The New York Times, The Washington Post, The Washington Times et dans l'hebdomadaire Newsweek, et se rapportant aux relations entre la France et l'Irak de Saddam Hussein. Des sociétés françaises ont été accusées d'avoir fourni à l'Irak des armements ou des composants prohibés par l'embargo de l'ONU.

Le 6 mai, le Washington Times a écrit que le gouvernement français avait délivré des passeports à des dirigeants du régime de Saddam Hussein pour leur permettre de se réfugier en Europe. Ces affirmations, toujours de sources anonymes, sont attribuées aux milieux du renseignement. Dans plusieurs cas, les démentis français n'ont pas été publiés ou bien ont été, ensuite, ignorés, l'information d'origine américaine étant présentée comme avérée.

Les responsables français estiment que ces articles sont inspirés par le Pentagone ou, plus précisément, par les dirigeants politiques du ministère de la défense, c'est-à-dire le ministre, Donald Rumsfeld, et ses adjoints et subordonnés civils.

Au cours d'une conférence de presse, jeudi, M. Rumsfeld a démenti l'existence d'une campagne de désinformation. "Certainement pas dans ce bâtiment", a-t-il dit, en se référant au Pentagone. "Je ne peux pas parler pour le reste du gouvernement, a-t-il ajouté, mais je n'ai rien entendu de tel."

Le ministre a confirmé l'abaissement du niveau des relations entre les armées américaine et française. Evoquant les invitations à participer à des exercices militaires communs, il a expliqué qu'il est normal d'"entretenir des relations, de préférence avec des gens avec lesquels il est probable que nous ferons des choses". "Nous nous tournons plutôt vers des pays qui nous ont aidés, par exemple, en Irak et en Afghanistan", a-t-il ajouté. Le ministre semble avoir oublié que les forces françaises ont participé aux opérations en Afghanistan. M. Bush en a même remercié la France lors d'une cérémonie, à la Maison Blanche, en mars 2002.

SIGNES DE M. BUSH

Le 9 mai, en réponse à une question sur les relations entre la France et le régime de Saddam Hussein, M. Rumsfeld avait déclaré : "La France a eu, historiquement, une relation très proche avec l'Irak. D'après ce que je comprends, cela a continué jusqu'au déclenchement de la guerre. Ce qui s'est passé ensuite, nous le découvrirons."Interrogé sur l'article du Washington Times, selon lequel des dirigeants du régime irakien déchu avaient reçu des passeports français, il avait répondu : "J'ai lu ces informations, mais je ne peux rien y ajouter."

Le 7 mai, un haut responsable de la Maison Blanche, s'adressant à des correspondants étrangers, déclarait : "Je ne suis pas sûr que cet article repose sur quelque chose." La veille, le porte-parole de la présidence, Ari Fleischer, avait pris acte du démenti français et indiqué qu'il ne pouvait pas "confirmer" l'article en question, mais il avait ajouté : "Je pense que les Français vont devoir expliquer ce qu'ils ont fait ou pas fait."

Interrogé, jeudi, sur ce même article, l'adjoint de M. Fleischer, Scott McClellan, a évité de dire si la Maison Blanche le considère, ou non, comme exact. Tout en affirmant que les propos de M. Levitte au sujet d'une campagne de désinformation "ne reposent sur aucune base"et que la France et les Etats-Unis sont "amis et alliés", le porte-parole adjoint de la présidence a refusé de se prononcer sur le climat antifrançais ou sur les appels au boycottage de la France. "Les Américains décident eux-mêmes de ce qu'ils veulent acheter", a-t-il dit, en tournant autour du sujet.

Cette attitude correspond à celle de M. Bush, qui, dans un entretien accordé, début mars, à l'agence Copley News Service, présentait comme un fait "intéressant" la réaction "des Américains eux-mêmes" vis-à-vis de la France, après que celle-ci s'était opposée aux Etats-Unis au sujet de l'Irak. Le président a distillé, depuis, d'autres signes de sympathie pour le sentiment antifrançais.

Patrick Jarreau


Un "manque de confiance"

Commentant les accusations portées contre l'administration par l'ambassadeur de France à Washington, le directeur du bureau des affaires politiques au département d'Etat américain, Richard Haass, a dit, jeudi 15 mai, lors d'une visite à Paris : "Je ne dis pas que c'est vrai parce que je n'en sais rien." "Mais, si cela était", a-t-il ajouté, la France et les Etats-Unis ne doivent pas se laisser "distraire" par ce genre de "rumeur" mais plutôt "se concentrer" et travailler ensemble "quand nous le pouvons" sur les dossiers essentiels, comme l'Irak, l'Afghanistan et le commerce. A propos de la dégradation des relations bilatérales, M. Haass a évoqué un "manque de confiance" nouveau et un "problème politique" profond. "Ne croyez pas que nous en sommes arrivés là seulement à cause de l'Irak, simplement en raison d'un désaccord sur ce seul dossier."

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 17.05.03

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