Le jeudi 22 mai 2003.
Culture / Création numérique / Etats-Unis / Libertés / Propriété intellectuelle

L'expo itinérante Illegal Art dénonce les excès du copyright

Les détournements de logos, un grand classique qui tient toujours la route
  

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Illegal Art, une exposition itinérante entièrement consacrée au détournement de marques et de logos, fait en ce moment le tour des Etats-Unis. Avec à la clé un message : dénoncer les excès des lois américaines sur le copyright et les tentatives de censure de certaines grandes entreprises.

Des timbres-postes en l'honneur du Viagra. Des dessins de Mickey et Dingo pendus ou enchaînés. Des logos de compagnies pétrolières suggérant une marée noire... Illegal Art réunit une trentaine d'artistes contemporains - nord-américains pour la plupart - qui s'approprient sans vergogne logos, marques déposées et oeuvres protégées par copyright. Souvent pour critiquer l'omniprésence des marques et le matérialisme de nos sociétés.

Organisée par le magazine Stay Free, avec le soutien d'Internet Archives, l'exposition passe à Washington jusqu'au 7 juin, après New York et Chicago et avant San Francisco cet été. Elle est également visible en ligne sur le site Illegal Art.

"Nous voulons sensibiliser le public aux problèmes que pose le copyright, explique Carrie McLaren, principale organisatrice de l'exposition, en montrant les oeuvres qui risquent de disparaître lorsque l'application du droit est trop restrictive."

"Usage légitime"
Certaines de ces oeuvres ont en effet valu à leurs auteurs d'être traînés en justice - ou menacés de poursuites judiciaires - par les entreprises satirisées. Pourtant, la jurisprudence américaine autorise généralement l'utilisation à des fins parodiques d'oeuvres protégées par copyright. Cela relève du "fair use" (usage légitime), qui permet également de se servir de telles oeuvres aux fins de l'enseignement, pour un usage personnel, ou pour en faire la critique.

En cas de litige, explique Rebecca Tushnet, maître de conférence à la faculté de droit de New York University, "l'un des principaux critères qu'utilisent les tribunaux consiste à déterminer si l'oeuvre ainsi créée est une véritable transformation, constitue un ajout par rapport à l'original". "Quasiment toutes les créations présentées dans l'exposition satisfont à cette condition", estime-t-elle.

En ce qui concerne les marques déposées, les entreprises américaines ne peuvent invoquer la contrefaçon, une oeuvre d'art ne relevant pas du domaine du commerce. Elles peuvent en revanche accuser un artiste de porter préjudice à la réputation de leur marque. Mais, dans les très rares cas où de telles poursuites judiciaires sont engagées, les tribunaux américains donnent généralement raison à l'artiste, au nom de la liberté d'expression garantie par le premier amendement de la Constitution.

Intimidations
Cependant, explique Carrie McLaren, la loi étant floue et appliquée au cas par cas, "certaines entreprises ont recours à l'intimidation, en menaçant les artistes de les poursuivre en justice s'ils ne renoncent pas à exposer leurs 'uvres parodiques".

N'ayant pas les moyens financiers d'assurer leur défense, beaucoup d'artistes s'inclinent et sont ainsi réduits au silence. Le flou de la loi risque également, note Rebecca Tushnet, "de dissuader des artistes de créer des oeuvres qui pourraient être controversées".

Malgré tout, certains résistent. C'est le cas de Tom Forsythe. Cet artiste de l'Utah photographie des poupées Barbie dans des appareils électroménagers, souvent dans des poses suggestives. Il cherche ainsi à dénoncer une "culture de la consommation qui fomente matérialisme et sexisme". Accusé par Mattel d'atteinte aux droits de marque et de propriété intellectuelle, le photographe a décidé de se défendre devant les tribunaux avec l'aide d'avocats bénévoles de l'ACLU (American Civil Liberty Union), une ONG dédiée à la défense des libertés individuelles, et a obtenu gain de cause en août 2001. Mattel a fait appel et la justice américaine n'a pas encore tranché.

Un comité de soutien de Tom Forsythe a été créé sur le Web : le Creative Freedom Defense Funds. Ce fonds de défense de la liberté de création entend lutter contre la "censure croissante qu'exercent les grandes entreprises" sur les artistes qui critiquent le matérialisme ambiant.

"Aucune oeuvre n'est originale"
"A l'origine, le droit de la propriété intellectuelle était pourtant censé protéger les créateurs", note Carrie McLaren. Mais, étant aujourd'hui trop restrictif, il risque au contraire de nuire à la création. "Aucune oeuvre n'est originale" estime-t-elle. Car quasiment toutes s'inspirent, à divers degrés, des créations qui les ont précédées, comme le rappelle souvent Lawrence Lessig, professeur de droit de l'université Stanford. "Si les lois actuelles sur le copyright avaient existé par le passé, est-il expliqué en introduction à l'exposition, des genres artistiques comme le collage, le hip-hop ou le Pop Art auraient pu ne jamais voir le jour."

Parmi les oeuvres présentées, certaines ont échappé aux menaces de poursuites judiciaires ou peut-être à l'attention des entreprises concernées. Il se peut également que celles-ci aient souhaité éviter toute publicité négative.

Des oeuvres anti-DMCA
L'exposition présente également deux oeuvres anonymes de hackers incorporant le code DeCSS. Après avoir publié ce code qui permet de "casser" la mesure de protection anti-copie des DVD, le magazine 2600.com a été condamné en 2001 pour violation de la loi américaine du Digital Millenium Copyright Act (DMCA). Cette condamnation a incité de multiples hacktivists à diffuser le code sous diverses formes artistiques.

Adopté en 1998, le DMCA suscite toujours de nombreuses protestations. Car, en interdisant de déjouer tout mécanisme de protection de données numériques, cette loi supprime de fait le principe de l'usage "légitime", à des fins personnelles ou d'enseignement, d'oeuvres protégées par encryption.

En France, le contexte juridique est évidemment différent. La notion d'usage légitime à des fins parodiques n'a pas d'équivalent dans le droit français, qui est à cet égard beaucoup plus protecteur des marques et des droits d'auteur que le droit américain. Cependant, note Sébastien Canevet, maître de conférence à l'université de Poitiers, la jurisprudence française récente - notamment l'arrêt de la Cour d'appel de Paris du 30 avril 2003 légalisant le site jeboycottedanone.com - "tenderait à autoriser le détournement de marques dans un but politique, mais de façon beaucoup plus limitée qu'en droit américain".

L'exposition Illegal Art: Freedom of expression in the corporate age:
http://www.illegal-art.org/

Le comité de soutien de TomCreative:
http://www.creativefreedomdefense.org/



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