Philippe Pignarre dirige, aux éditions du Seuil, la
collection "Les Empêcheurs de penser en rond". Il est
aussi l'auteur du Grand secret de l'industrie
pharmaceutique (Ed. La Découverte, 2003). Il critique la vision
propagandiste que développe PhRMA (Pharmaceutical Research and
Manufacturers of America), le syndicat de l'industrie pharmaceutique
amércaine, qui mène depuis peu une campagne pour que les Européens
augmentent le prix de leurs médicaments.
Le coup d'envoi de la campagne de PhRMA, auquel adhère
d'ailleurs le français Aventis, a été donné avec l'organisation d'un
voyage de presse aux Etats-Unis offert aux journalistes parisiens il y a
quelques jours. Objectif : démontrer que les prix décidés par les
gouvernements européens, en particulier par Paris, sont exagérément bas
par rapport à ceux qui sont pratiqués en Amérique. De ce fait, le coût du
financement de la recherche thérapeutique reposerait uniquement sur les
patients et le système de santé américain. Les Européens profiteraient
éhontément de cette "subvention" américaine.
Alors que l'Union européenne proclame la nécessité de venir
en aide aux pays en développement qui n'ont pas les moyens de se payer des
médicaments, elle devrait réviser sa politique de prix, concluent les
industriels. Car le manque à gagner dû aux rabais sur les médicaments
européens priverait l'industrie pharmaceutique des moyens financiers
nécessaires à l'aide au tiers monde. Ainsi, PhrMa tente de prouver que ce
n'est pas la possibilité de déroger aux droits de propriété industrielle
(les brevets sur les médicaments) qui sauvera l'Afrique du Sud du sida,
mais la mise à contribution des patients européens et notamment français.
Philippe Pignarre décrypte cette offensive et la désinformation pratiquée
par les grands labos.
Qui est à l'initiative de cette nouvelle
revendication des industriels de la pharmacie ?
Philippe Pignarre : Ce sont les laboratoires
américains, et en particulier Pfizer, le numéro un mondial, qui détient
quasiment 10 % du marché du médicament. Cela fait environ un an qu'il mène
la bagarre pour la hausse des prix, en prétendant qu'ils sont deux fois
plus élevés aux Etats-Unis qu'en France.
Comment est-il possible qu'il existe un tel
écart de prix entre les deux continents ?
Le postulat de
départ est faux : on ne sait pas quel est le prix de vente réel des
médicaments aux Etats-Unis. En effet, là-bas les prix sont libres, alors
qu'en Europe ils résultent d'une négociation menée entre les laboratoires
et les gouvernements. Prenons l'exemple de l'Abilify, un neuroleptique
(médicament utilisé pour traiter les symptômes de la schizophrénie) mis
sur le marché américain en avril dernier. La boîte de 30 comprimés coûte
382 dollars. C'est le traitement pour un mois. C'est énorme :
l'Haldol, qui est aujourd'hui le neuroleptique de référence, ne coûte que
4 euros. Il est cent fois moins cher. Ce prix exagérément élevé ne sera
sans doute pas accepté par les autorités européennes. Mais de toute façon,
ce n'est qu'un prix de catalogue, pour les ventes libres en pharmacies.
Aux Etats-Unis, quasiment personne ne paie autant. Car le système de
santé fonctionne avec des assurances privées auxquelles cotisent les
employeurs américains pour leurs salariés. Ces HMOs (Health
Maintenance Orgnaizations, NDLR) établissent une liste des médicaments
qu'elles acceptent de rembourser, au terme de longues négociations
secrètes avec les laboratoires. Etant donné le volume des commandes
qu'elles passent, elles obtiennent des rabais considérables. Mais ce prix
final n'est jamais connu des assurés qui sont remboursés à la source. Il y
a donc un grand mensonge sur le prix des médicaments aux Etats-Unis.
Avec le système des HMOs, seuls les
travailleurs qui cotisent sont assurés. Cela signifie que le reste de la
population paie le prix fort ?
Les HMOs détiennent environ 40
% du marché de la santé aux Etats-Unis. Le reste se partage entre les
bénéficiaires de l'aide aux personnes âgées ou aux nécessiteux (programmes
Medicare et Medicaid), soit 10 %, et les revenus intermédiaires. Ces
derniers n'ont pas les moyens de cotiser mais gagnent trop pour être
bénéficiaires de l'aide sociale. Ils sont en effet victimes du système.
Mais pour les premiers, il existe une loi qui oblige les fabricants de
médicaments à vendre leurs produits à Medicare et Medicaid au plus bas
prix déjà consenti à un client.
Comment faire pour faire respecter cette loi,
si les prix négociés avec les HMOs sont tenus secrets ?
La
justice, elle, a les moyens d'obtenir les montants de ces contrats,
heureusement ! En avril dernier, la firme Bayer a versé 257 millions
de dollars de dédommagement à Medicaid pour éviter d'être traînée en
justice et de voir ces sommes communiquées au public. Elle était
poursuivie pour avoir dissimulé le prix le plus bas consenti aux
compagnies d'assurance privées. Vous voyez que les industriels sont prêts
à payer très cher quand on peut prouver que leurs médicaments sont trop
coûteux...