Le mardi 27 mai 2003.
Économie / Etats-Unis / Europe / Santé / Multinationales

"Il y a un grand mensonge sur le prix des médicaments aux Etats-Unis" [Philippe Pignarre]

L'auteur du "Grand secret de l'industrie pharmaceutique" répond à l'offensive des labos américains contre l'Europe
  

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Philippe Pignarre dirige, aux éditions du Seuil, la collection "Les Empêcheurs de penser en rond". Il est aussi l'auteur du Grand secret de l'industrie pharmaceutique (Ed. La Découverte, 2003). Il critique la vision propagandiste que développe PhRMA (Pharmaceutical Research and Manufacturers of America), le syndicat de l'industrie pharmaceutique amércaine, qui mène depuis peu une campagne pour que les Européens augmentent le prix de leurs médicaments.

Le coup d'envoi de la campagne de PhRMA, auquel adhère d'ailleurs le français Aventis, a été donné avec l'organisation d'un voyage de presse aux Etats-Unis offert aux journalistes parisiens il y a quelques jours. Objectif : démontrer que les prix décidés par les gouvernements européens, en particulier par Paris, sont exagérément bas par rapport à ceux qui sont pratiqués en Amérique. De ce fait, le coût du financement de la recherche thérapeutique reposerait uniquement sur les patients et le système de santé américain. Les Européens profiteraient éhontément de cette "subvention" américaine.

Alors que l'Union européenne proclame la nécessité de venir en aide aux pays en développement qui n'ont pas les moyens de se payer des médicaments, elle devrait réviser sa politique de prix, concluent les industriels. Car le manque à gagner dû aux rabais sur les médicaments européens priverait l'industrie pharmaceutique des moyens financiers nécessaires à l'aide au tiers monde. Ainsi, PhrMa tente de prouver que ce n'est pas la possibilité de déroger aux droits de propriété industrielle (les brevets sur les médicaments) qui sauvera l'Afrique du Sud du sida, mais la mise à contribution des patients européens et notamment français. Philippe Pignarre décrypte cette offensive et la désinformation pratiquée par les grands labos.

Qui est à l'initiative de cette nouvelle revendication des industriels de la pharmacie ?
Philippe Pignarre : Ce sont les laboratoires américains, et en particulier Pfizer, le numéro un mondial, qui détient quasiment 10 % du marché du médicament. Cela fait environ un an qu'il mène la bagarre pour la hausse des prix, en prétendant qu'ils sont deux fois plus élevés aux Etats-Unis qu'en France.

Comment est-il possible qu'il existe un tel écart de prix entre les deux continents ?
Le postulat de départ est faux : on ne sait pas quel est le prix de vente réel des médicaments aux Etats-Unis. En effet, là-bas les prix sont libres, alors qu'en Europe ils résultent d'une négociation menée entre les laboratoires et les gouvernements. Prenons l'exemple de l'Abilify, un neuroleptique (médicament utilisé pour traiter les symptômes de la schizophrénie) mis sur le marché américain en avril dernier. La boîte de 30 comprimés coûte 382 dollars. C'est le traitement pour un mois. C'est énorme : l'Haldol, qui est aujourd'hui le neuroleptique de référence, ne coûte que 4 euros. Il est cent fois moins cher. Ce prix exagérément élevé ne sera sans doute pas accepté par les autorités européennes. Mais de toute façon, ce n'est qu'un prix de catalogue, pour les ventes libres en pharmacies.
Aux Etats-Unis, quasiment personne ne paie autant. Car le système de santé fonctionne avec des assurances privées auxquelles cotisent les employeurs américains pour leurs salariés. Ces HMOs (Health Maintenance Orgnaizations, NDLR) établissent une liste des médicaments qu'elles acceptent de rembourser, au terme de longues négociations secrètes avec les laboratoires. Etant donné le volume des commandes qu'elles passent, elles obtiennent des rabais considérables. Mais ce prix final n'est jamais connu des assurés qui sont remboursés à la source. Il y a donc un grand mensonge sur le prix des médicaments aux Etats-Unis.

Avec le système des HMOs, seuls les travailleurs qui cotisent sont assurés. Cela signifie que le reste de la population paie le prix fort ?
Les HMOs détiennent environ 40 % du marché de la santé aux Etats-Unis. Le reste se partage entre les bénéficiaires de l'aide aux personnes âgées ou aux nécessiteux (programmes Medicare et Medicaid), soit 10 %, et les revenus intermédiaires. Ces derniers n'ont pas les moyens de cotiser mais gagnent trop pour être bénéficiaires de l'aide sociale. Ils sont en effet victimes du système. Mais pour les premiers, il existe une loi qui oblige les fabricants de médicaments à vendre leurs produits à Medicare et Medicaid au plus bas prix déjà consenti à un client.

Comment faire pour faire respecter cette loi, si les prix négociés avec les HMOs sont tenus secrets ?
La justice, elle, a les moyens d'obtenir les montants de ces contrats, heureusement ! En avril dernier, la firme Bayer a versé 257 millions de dollars de dédommagement à Medicaid pour éviter d'être traînée en justice et de voir ces sommes communiquées au public. Elle était poursuivie pour avoir dissimulé le prix le plus bas consenti aux compagnies d'assurance privées. Vous voyez que les industriels sont prêts à payer très cher quand on peut prouver que leurs médicaments sont trop coûteux...

Les éditions La Découverte:
http://www.editionsladecouverte.fr/

Le site de PhRMA:
http://www.phrma.org/



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