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Les télévisions se défendent de mal couvrir le conflit social
LE MONDE | 02.06.03 | 13h26     MIS A JOUR LE 02.06.03 | 15h49
Les enseignants reprochent aux chaînes, particulièrement à France 2, de minimiser leur mouvement et de privilégier le gouvernement dans leurs journaux.

Après plusieurs semaines de grève contre les projets du gouvernement Raffarin de réforme des retraites et de décentralisation, la tension monte entre les enseignants et la télévision. Par deux fois, la semaine dernière, une délégation de syndicalistes a occupé le hall du siège de France Télévisions pour protester contre "le mauvais traitement"dont leur mouvement serait l'objet de la part des journaux télévisés, et particulièrement celui de France 2. "Nous ne sommes pas très contents de la façon dont les télévisions ont traité les récents conflits sociaux", affirme Gérard Aschieri, secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire (FSU). "France 2 a beaucoup insisté sur le spectaculaire même si, parfois, la rédaction corrige le tir le lendemain. Cela nous a beaucoup irrités", reproche-t-il. De son côté, Dominique Jolly, professeur de biologie végétale à l'université Montpellier-II, explique : "Raffarin, Fillon passent à la télé sans contradicteur. Nombre de lycées et d'écoles étaient en grève en France, mais pendant longtemps il n'y avait pas une ligne dans les médias."

"Nous n'avons rien à nous reprocher, indique Olivier Mazerolle, directeur de l'information sur France 2. Que ce soit sur la réforme des retraites ou la décentralisation, une grande partie du débat public a eu lieu sur France 2 à travers nos journaux et nos magazines d'informations comme "Mots croisés" et "100 minutes pour convaincre". Les membres du gouvernement, ceux de l'opposition politique et tous les représentants syndicaux se sont exprimés sur notre antenne et nous essayons, autant que faire se peut dans le cadre de l'audiovisuel, d'être le plus pédagogiques possible sur ce conflit." Il ajoute : "Le temps de parole est strictement contrôlé et la rédaction n'a subi ni remarques, ni pressions de qui que ce soit."

Frontalement épargnée par les critiques grâce à son statut de chaîne privée, TF1 serait pourtant, elle aussi, mise en cause pour son mauvais traitement des conflits sociaux. Robert Namias, directeur de la rédaction de la Une, se défend d'avoir, jusqu'ici, privilégié un camp plutôt qu'un autre. "Je n'ai reçu aucune consigne d'aucune sorte et je n'accepterai de consignes de personne", assure-t-il. A l'en croire, à l'occasion de ce mouvement social, TF1, dont les journaux télévisés rassemblent 8 à 10 millions de téléspectateurs, a fait montre d'esprit de responsabilité car "nous savons très bien toutes les dérives déformantes que cela peut générer". Il explique que depuis le début du mouvement, l'obsession de TF1 a été de ne pas se muer "en miroir grossissant ni en miroir déformant" de l'actualité sociale. Pour M. Namias, le ressentiment de certains enseignants, notamment à l'encontre des télévisions, pourrait avoir comme origine le fait que "l'accompagnement des mouvements sociaux de 1995 par une partie de la population ne se reproduit pas aujourd'hui". A l'antenne, explique-t-il, "nous avons un souci de restitution du mouvement social pour en donner l'ampleur et les explications. Mais il nous faut aussi donner la parole au gouvernement pour qu'il s'explique, défende son projet et réponde aux reproches qui lui sont fait".

Le patron de la rédaction de TF1 assure que l'équilibre des temps de parole a été respecté. Il estime que TF1 a accordé "40 % à 45 %" des interventions à l'opposition. A son pointage, la seule qui a eu un traitement un peu plus modeste est la majorité qui soutient le gouvernement.

A LCI, Jean-Claude Dassier, directeur général de la chaîne d'information en continu de TF1, revendique une "situation particulière" pour sa chaîne. Il note que sur LCI, "le travail est compliqué par la répétition des journaux qui se succèdent toutes les 30 minutes". Son souci est "de ne pas jeter de l'huile sur le feu" du conflit social. Bien qu'elle ne soit pas montrée du doigt, il affirme que "LCI n'est ni un perroquet ni un mégaphone".

Du côté de France 2, David Pujadas, présentateur du journal de 20 heures, n'est pas étonné de la virulence de certaines critiques. "Les enjeux sont très forts et il est normal que les réactions soient assez vives", constate le journaliste. Il revendique toutefois objectivité et neutralité : "France 2 est une télévision de service public, mais notre approche de l'information est seulement dictée par des choix éditoriaux qui n'ont rien à voir avec notre statut. Nous ne nous situons dans aucun camp. Je crois que la grogne des enseignants contre notre journal est très naturelle : ils veulent gagner la bataille de l'opinion face au gouvernement".

Jean-Claude Allanic, médiateur de France 2, indique qu'il reçoit beaucoup de courrier sur le sujet. En quinze jours, près de 3 000 courriers électroniques lui ont été adressés, et il a consacré deux émissions à la grève dans l'enseignement. "C'est un pic que l'on n'avait pas connu depuis longtemps", reconnaît-il. La moitié de la correspondance est très violente à l'égard de la rédaction de France 2, traitée de "télé-Matignon" ou de "courroie de transmission du gouvernement". Il est aussi reproché à la rédaction de "ne pas avoir assez parlé"de ce mouvement dès le départ. "Vous avez minimisé son ampleur et sa justesse", écrit par exemple un correspondant. L'autre moitié du courrier s'indigne que la chaîne soit "à la botte des syndicats". "Il ne s'agit pas de savoir si ce mouvement social est juste ou pas", confie M. Allanic. "Il est vrai que la rédaction a peut-être été longue à réagir face à la grève des enseignants et qu'elle a sans doute mal compris au départ ce qui se passait. Mais elle a vite rectifié le tir à travers de nombreux reportages, explications et débats", dit-il.

Pour l'instant, la chaîne n'envisage pas d'organiser un "grand débat" comme en 1993 pendant la grève contre le contrat d'insertion professionnelle (CIP) envisagé par le gouvernement Balladur ou celui de décembre 1995 sur le projet de réforme des retraites du gouvernement Juppé. Ces deux débats réunissant sur un même plateau tous les acteurs politiques, syndicaux et gouvernementaux, avaient vite tourné en "forum revendicatif" guère apprécié par le gouvernement de l'époque. Certains syndicats, comme FO, appellent à nouveau à un " grand débat" sur le projet de réforme des retraites. "Nous en avons évoqué l'idée, mais encore faut-il que tous les protagonistes donnent leur accord", confirme M. Mazerolle.

Guy Dutheil, Laurence Girard et Daniel Psenny


Les invités des chaînes en mai

TF1 :

MM. Hollande, premier secrétaire du PS, Delanoë, maire de Paris, Fillon, ministre des affaires sociales, Raffarin, premier ministre, Lang, ancien ministre de l'éducation nationale, ont été les invités du journal de 20 heures.

France 2 :

Le JT a reçu MM. Blondel (FO), Raffarin, Thibault (CGT), Fillon, Aschieri (FSU), Fabius, ancien premier ministre, Ferry, ministre de l'éducation nationale, et Chérèque (CFDT). "Mots croisés" a notamment reçu MM. Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire, Allègre, ancien ministre de l'éducation nationale, et Delevoye, ministre de la fonction publique, ainsi que Ségolène Royal, ancienne ministre de l'environnement.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 03.06.03

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