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L I V R E

La sagesse d'André Gorz pour éclairer les altermondialistes
Aux interrogations des manifestants anti-G8, le dernier essai du philosophe français, « L'immatériel», apporte des réponses stimulantes, dont celle-ci: le revenu d'existence garanti.

PAR GERARD DELALOYE

 


Q
uelle est la philosophie des altermondialistes qui défient ces jours-ci les maîtres du monde dans les rues de Genève? La littérature sur le sujet ne manque pas: «L'horreur économique» de Viviane Forrester, «No Logo» de Naomi Klein, «L'Age de l'accè » de Jeremy Rifkin ou encore «Empire» d'Antonio Negri et Michael Hardt comptent parmi les best-sellers mondiaux qui ont forgé la prise de conscience militante de générations pour lesquelles le gauchisme soixante-huitard est digne d'amuser les visiteurs du Musée Grévin.

Mais si vous désirez enrichir un week-end placé sous le signe de la contestation par la lecture d'un texte frais, précis, pensé, réfléchi, je vous conseille le dernier essai d'André Gorz, «L'immatériel. Connaissance, valeur et capital» (éditions Galilée, 22 € ).

En 150 pages divisées en quatre chapitres (I.- Le travail immatériel; II.- Le «capital immatériel»; III.- Vers une société de l'intelligence?; IV.- ...Ou vers une civilisation posthumaine?), Gorz fait le tour des problèmes qui nous agitent avec l'aisance d'un vieux routier de la philosophie parvenu, suite à des décennies de réflexion (le premier essai de Gorz, «Le Traître», date de 1958), à un état fort proche de la sagesse.

Or la sagesse apporte clarté et limpidité: le dernier Gorz est clair et limpide, se lit facilement, répond aux interrogations qui nous taraudent jour après jour, tant la société dans laquelle nous vivons paraît tanguer vers des lendemains angoissants.

L'angoisse naît des incertitudes. Dévoiler le dessous des cartes, expliquer, par exemple, pourquoi la bulle informatique était vouée à l'éclatement et la bourse à la baisse, rassure. Et permet de surcroît non seulement de se faire une philosophie de l'action, mais surtout de se situer dans la société, de se penser comme élément responsable de cette société, de se tracer une ligne de conduite tant par rapport à sa propre existence que par rapport à un monde en perpétuel (et très rapide) changement.

La nouvelle économie crée des espaces de liberté réels: les travailleurs de l'immatériel (informatique, services, pub, etc.) sont de plus en plus nombreux et disposent souvent de la gestion de leur temps, à tel point qu'ils figurent une nouvelle classe de «collaborateurs-entrepreneurs» très recherchés par les grands groupes industriels. On a vu quelques uns des représentants de cette nouvelle classe à l'œuvre mercredi soir à Manchester lors de la finale de la Coupe des champions.

Mais, parallèlement, la fortune (et le pouvoir politique) se concentrent de manière impressionnante. En ce début de XXIe siècle, «moins de 0,5% de la population américaine, soit 843'000 familles, détient 56,2% des moyens de production tangibles et 37,4% des actifs financiers».

Sous cette couche de super-riches, on trouve 3,8 millions de personnes (4% de la population active) qui gèrent l'économie high-tech de l'information et dont le revenu est égal à celui des 51% (49,2 millions) de salariés des échelons inférieurs.

En poussant l'analyse, on voit que la société américaine est coupée en deux par la richesse et par l'engagement politique: les plus pauvres forment le gros des troupes du 50% d'Américains qui ne votent pas. La compétition entre démocrates et républicains est donc très élitiste.

Les deux derniers chapitres où Gorz oppose la société de l'intelligence à la civilisation posthumaine sont extrêmement stimulants pour la réflexion sur l'avenir. Il montre que le capitalisme cognitif ou capitalisme de la connaissance (knowledge economy) est potentiellement riche en innovations capables d'améliorer le sort de l'humanité, mais que l'utilisation de ce potentiel dépend évidemment de choix politiques que les grands de ce monde (le G8) ne sont pas prêts à faire. Il revient ainsi longuement sur la thématique du revenu d'existence garanti (salaire minimum pour tous) dont l'adoption est la seule réponse possible aux avancées technologiques, aux destructions massives d'emplois, à la mise en cause des retraites.

Mais le Pentagone (le G8) préfère explorer d'autres pistes qui visent, dans un esprit directement tributaire des conceptions scientistes du progrès définies au XIXe siècle, à dominer la nature en fabricant ou bien une humanité nouvelle améliorée et «marchandisée» (clonage, banques de sperme, mères porteuses...), ou bien des robots intelligents et dominateurs qui permettraient, en fin de compte, de réduire les masses humaines à un esclavage acculturé.

Ce programme n'est pas pour après-demain: il est en route.


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