Le mercredi 25 juin 2003.
Société / Europe / Vie privée

"Le monde actuel est digne de l'imagination d'Orwell" [Simon Davies]

Pour l'inventeur des Big Brother Awards, 2003 ressemble à "1984"
  

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George Orwell, l'auteur de 1984, aurait eu cent ans aujourd'hui. De nombreuses associations de défense de la vie privée profitent de l'anniversaire de la naissance de l'inventeur de "Big Brother", symbole d'un pouvoir tyrannique et omniscient, pour dénoncer la multiplication des moyens de surveillance déployés par les Etats et les entreprises. Entretien avec Simon Davies, président de Privacy International, une association de défense de la vie privée. Basée à Londres, Privacy International décerne chaque année les "Big Brother Awards", qui "récompensent" les plus graves atteintes à la vie privée dans les pays développés.

Quels sont les indices qui démontrent la pertinence du cauchemar orwellien dans le monde contemporain ?
Simon Davies : La biométrie, la vidéosurveillance, l'espionnage des télécommunications... Les outils de surveillance mis en place par les gouvernements des pays industrialisés sont toujours plus puissants et intrusifs. Je suis frappé par le fait qu'on demande de moins en moins aux Etats de justifier le déploiement de ces technologies. Plus les outils qui violent la vie privée sont nombreux, plus les populations les acceptent passivement. La pensée critique s'étiole : c'est, à mes yeux, le premier symptôme de l'avènement d'un univers proche de celui imaginé par Orwell dans 1984.
Le second symptôme est encore plus évident. Comme jamais auparavant, les nouvelles technologies de surveillance permettent au pouvoir d'assouvir la passion avec laquelle il cherche à tout savoir de la vie et des opinions des gens.

La décision prise par le Conseil européen de mettre en place d'ici deux ou trois ans des passeports biométriques n'a suscité pratiquement aucune réaction dans les médias. Qu'est-ce que cette apathie vous inspire ?
Elle me désespère ! La dérive sécuritaire potentielle que représentent ces passeports me paraît pourtant évidente. Pour moi, ce n'est que le début de l'avènement d'un monde technologique oppressant auquel il ne sera plus possible d'échapper dans vingt ans. Au début des années 90, quand j'ai commencé à m'impliquer dans la protection de la vie privée, jamais je n'aurais pu croire que les gens accepteraient un jour des cartes d'identité biométriques sans la moindre contestation.

Comment analysez-vous le fait que la question de la protection de la vie privée laisse encore l'immense majorité des citoyens occidentaux indifférents ?
Principalement par l'habileté avec laquelle les Etats sont capables d'éviter tout conflit sur ces questions. Depuis la mise en place du réseau Echelon jusqu'à la "guerre contre le terrorisme" d'aujourd'hui, chaque nouvelle mesure est présentée comme vitale et naturelle. Et les gens sont trop occupés à regarder la télévision pour songer à se demander si on n'est pas en train de les gruger. Là aussi, le monde actuel ressemble à celui d'Orwell.

Mais la sécurité est un droit aussi fondamental que la protection de la vie privée. Une articulation harmonieuse entre les deux est-elle vraiment possible ?
J'en suis convaincu. Chacun de ces deux droits dépend de l'autre. Comment prétendre être en sécurité lorsqu'une institution, aussi vertueuse qu'elle puisse sembler, est capable de tout savoir de votre vie privée ?
Nous ne nous opposons pas à des mesures de sécurité qui n'entament pas le droit à la vie privée. Mais la vérité c'est que la plupart du temps, ces mesures de sécurité sont illusoires. Si au moins elles étaient mises en place en toute transparence, cela offrirait une chance au public de les mettre en question. Mais regardez Echelon ou le filtrage des messageries électroniques : une telle transparence est inimaginable dans le monde d'aujourd'hui.



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