George Orwell, l'auteur de 1984, aurait eu 
      cent ans aujourd'hui. De nombreuses associations de défense de la vie 
      privée profitent de l'anniversaire de la naissance de l'inventeur de "Big Brother", symbole d'un pouvoir tyrannique et 
      omniscient, pour dénoncer la multiplication des moyens de surveillance 
      déployés par les Etats et les entreprises. Entretien avec Simon Davies, 
      président de Privacy 
      International, une association de défense de la vie privée. Basée 
      à Londres, Privacy International décerne chaque année les "Big Brother Awards", 
      qui "récompensent" les plus graves atteintes à la vie 
      privée dans les pays développés. 
      Quels sont les indices qui démontrent la 
      pertinence du cauchemar orwellien dans le monde contemporain ? 
      
Simon Davies : La biométrie, la 
      vidéosurveillance, l'espionnage des télécommunications... Les outils de 
      surveillance mis en place par les gouvernements des pays industrialisés 
      sont toujours plus puissants et intrusifs. Je suis frappé par le fait 
      qu'on demande de moins en moins aux Etats de justifier le déploiement de 
      ces technologies. Plus les outils qui violent la vie privée sont nombreux, 
      plus les populations les acceptent passivement. La pensée critique 
      s'étiole : c'est, à mes yeux, le premier symptôme de l'avènement d'un 
      univers proche de celui imaginé par Orwell dans 1984. 
      
Le second symptôme est encore plus évident. Comme jamais auparavant, 
      les nouvelles technologies de surveillance permettent au pouvoir 
      d'assouvir la passion avec laquelle il cherche à tout savoir de la vie et 
      des opinions des gens. 
      La décision prise par le Conseil européen de 
      mettre en place d'ici deux ou trois ans des passeports biométriques n'a 
      suscité pratiquement aucune réaction dans les médias. Qu'est-ce que cette 
      apathie vous inspire ? 
Elle me désespère ! La dérive 
      sécuritaire potentielle que représentent ces passeports me paraît pourtant 
      évidente. Pour moi, ce n'est que le début de l'avènement d'un monde 
      technologique oppressant auquel il ne sera plus possible d'échapper dans 
      vingt ans. Au début des années 90, quand j'ai commencé à m'impliquer dans 
      la protection de la vie privée, jamais je n'aurais pu croire que les gens 
      accepteraient un jour des cartes d'identité biométriques sans la moindre 
      contestation. 
      Comment analysez-vous le fait que la question 
      de la protection de la vie privée laisse encore l'immense majorité des 
      citoyens occidentaux indifférents ? 
Principalement par 
      l'habileté avec laquelle les Etats sont capables d'éviter tout conflit sur 
      ces questions. Depuis la mise en place du réseau Echelon jusqu'à la "guerre contre le terrorisme" d'aujourd'hui, chaque 
      nouvelle mesure est présentée comme vitale et naturelle. Et les gens sont 
      trop occupés à regarder la télévision pour songer à se demander si on 
      n'est pas en train de les gruger. Là aussi, le monde actuel ressemble à 
      celui d'Orwell. 
      Mais la sécurité est un droit aussi 
      fondamental que la protection de la vie privée. Une articulation 
      harmonieuse entre les deux est-elle vraiment possible ? 
J'en 
      suis convaincu. Chacun de ces deux droits dépend de l'autre. Comment 
      prétendre être en sécurité lorsqu'une institution, aussi vertueuse qu'elle 
      puisse sembler, est capable de tout savoir de votre vie privée ? 
      
Nous ne nous opposons pas à des mesures de sécurité qui n'entament pas 
      le droit à la vie privée. Mais la vérité c'est que la plupart du temps, 
      ces mesures de sécurité sont illusoires. Si au moins elles étaient mises 
      en place en toute transparence, cela offrirait une chance au public de les 
      mettre en question. Mais regardez Echelon ou le filtrage des messageries 
      électroniques : une telle transparence est inimaginable dans le monde 
      d'aujourd'hui.