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Trois producteurs monopolisent une partie de la grille des programmes des télévisions généralistes
LE MONDE | 20.06.03 | 13h52
A la faveur de la concurrence entre les chaînes, Endemol France, Thierry Ardisson et Réservoir Prod, de Jean-Luc Delarue, se voient garantir des volumes d'affaires au détriment des petites sociétés indépendantes.

En quelques années, Endemol France, Réservoir Prod et Thierry Ardisson sont devenus les maîtres des émissions de flux : jeux, magazines, talk-shows et divertissements hors fiction. Chaque semaine, les productions d'Endemol France occupent ainsi le petit écran, sur TF1, France 3 ou Canal+, pendant 32 heures et 31 minutes, selon le classement annuel établi par l'hebdomadaire Ecran total. Celles de Réservoir Prod tiennent l'antenne sur la même période pendant près de 16 heures, tandis que Tout sur l'écran, société liée à Thierry Ardisson, s'adjuge 7 heures et 11 minutes.

Le rééquilibrage du rapport producteur-diffuseur a commencé avec "Loft Story". Au printemps 2001, deux semaines après le lancement du programme sur M6, TF1 a réagi en concluant un partenariat industriel de cinq ans, renouvelable, avec Endemol France, premier producteur de télé-réalité. Un contrat de 83 millions d'euros par an (500 millions de francs). Pour le coup, Endemol France n'a pas conclu la reprise par la Une d'une ou plusieurs émissions qu'elle produirait, mais négocié un chiffre d'affaires annuel avec la chaîne privée. Avantages pour TF1 : grâce à cet accord, elle a repris la main sur M6 en s'arrogeant les meilleurs formats de télé-réalité.

CLAUSES D'AUDIENCE

La contrepartie de cet accord est un véritable affermage des tranches horaires, c'est-à-dire la prise de contrôle d'une partie de la grille par un producteur. Un mal dont TF1 avait déjà souffert dans la foulée de sa privatisation, en 1987, quand elle avait confié à AB Productions la haute main sur ses programmes jeunesse.

Aujourd'hui, la chaîne affirme inclure des clauses d'audience dans ses contrats pour éviter d'être trop liée à un producteur lorsque l'Audimat devient régulièrement défaillant. Etienne Mougeotte, vice-président de TF1, compare le partenariat avec Endemol "à la relation d'un producteur fort avec une chaîne forte".

L'exemple d'Endemol France a fait des émules : Réservoir Prod et Thierry Ardisson. A la fin de la saison dernière, Réservoir Prod, société de production de Jean-Luc Delarue, a fait jouer la concurrence avec TF1 pour renouveler son contrat avec France Télévisions. En 2002, le montant de l'accord s'est établi à 42 millions d'euros pour une année. Il y un mois, l'accord a été reconduit pour un an de plus. Réservoir Prod et sa filiale Carson retrouveront toutes leurs cases sur les chaînes de France Télévisions et ajoutent même deux jeux d'été, l'un sur France 2, l'autre sur France 3. D'où un chiffre d'affaires en hausse. Les petits producteurs se désolent de cette situation. Sous couvert d'anonymat, l'un d'eux dénonce : "Ce qu'il y a de détestable, c'est que l'affermage ne vaut que pour les plus grosses sociétés de production."

"Comme France Télévisions n'a pas les moyens de s'engager dans une surenchère de prix avec TF1, elle a offert des cases" pour garder ou attirer des animateurs et des producteurs, confie un indépendant. Pour avoir "Ça se discute" ou "Jour après jour", produits et animés par Jean-Luc Delarue, France 2 lui a aussi cédé des soirées spéciales et des émissions. Même chose sur France 3 avec Marc-Olivier Fogiel (Endemol France). Pour avoir l'animateur-producteur et son émission "On ne peut pas plaire à tout le monde", la chaîne publique lui a successivement accordé des magazines, des émissions spéciales et même, un temps, un jeu par téléphone.

PRATIQUES D'AFFERMAGE

Pour la prochaine saison, sollicité par Canal+, M. Fogiel a préféré rester sur la chaîne publique. Pour prix de sa fidélité, il présentera un magazine diffusé à 20 h 50 le dimanche, dès janvier 2004. Il fait une bonne affaire. La différence de prix entre un prime time et une seconde partie de soirée est "du simple au double", admet Bertrand Mosca, directeur des programmes de France 3. Soit 122 000 euros à 22 h 30 contre 230 000 euros à 20 h 50. M. Mosca conteste avoir cédé à des pratiques d'affermage : "C'est moi qui le lui ai proposé, car France 3 avait un défi à relever le dimanche soir." Outre son prime time dominical, M. Fogiel conserve aussi "Le fabuleux destin de...". Pourtant, M. Mosca convient que "cette émission n'a pas encore atteint ce que nous espérions".

A en croire France 2, l'affermage n'existerait pas, ou alors seulement chez TF1. "Les émissions sont négociées au cas par cas. C'est la chaîne qui décide seule de sa programmation", plaide Christopher Baldelli, directeur général de France 2. Si les productions de Réservoir Prod ou Thierry Ardisson sont fortement présentes à l'antenne, c'est parce que leurs audiences sont satisfaisantes. "France 2 ne négocie pas d'accords sur des volumes d'affaires", se défend M. Baldelli. De son côté, M. Ardisson affirme ne pas se sentir "assez puissant pour pratiquer l'affermage". Selon lui, en France, "seuls Endemol et Réservoir Prod" profitent de ce système. De son côté, il signale qu'il "paie" les fiascos d'audience de ses derniers prime time sur France 2. La saison prochaine, "j'en ferai moins. 5 au lieu de 10", lance-t-il.

Pour l'avenir, les chaînes semblent avoir trouvé le moyen de réduire les risques d'affermage. Elles ont, dans un premier temps, créé leur propre pôle de production, Glem pour TF1 ou W9 pour M6. Et, aujourd'hui, elles cherchent à devancer les Endemol et autres Réservoir Prod en achetant des formats d'émission pour les produire elles-mêmes. En 2004, TF1 devrait diffuser deux jeux de télé-réalité enfermant des célébrités. Deux "Loft VIP" dont la chaîne a acquis les droits et que sa filiale Glem devrait produire.

Guy Dutheil

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.06.03

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