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Dérives sexistes : la publicité sait-elle se contrôler ?
LE MONDE | 26.06.03 | 13h18     MIS A JOUR LE 26.06.03 | 13h19
Des propositions de loi contre les atteintes à la dignité humaine sont envisagées.

Va-t-on légiférer pour limiter les dérives sexistes de la publicité ? La question ne manque pas de se poser alors que des initiatives voient le jour, aussi bien à Paris qu'à Bruxelles. Elle a été prise, en tout cas, au sérieux par le Bureau de la vérification de la publicité (BVP), qui a choisi d'allumer, lundi 23 juin, un contre-feu en forme de plaidoyer pour l'autodiscipline de la profession.

A Paris, Jean-Marc Nesme, député (UMP) de Saône-et-Loire, a déposé une proposition de loi en février. "Je souhaite combler un vide juridique, car dans la législation française rien n'est prévu face à la discrimination sexiste. Ce qui me choque, c'est le nu séducteur des sens, le fait d'utiliser le corps de l'homme ou de la femme pour vendre un produit. Je m'interroge sur les dégâts provoqués par ces images sur les enfants et les adolescents", affirme-t-il, avant d'ajouter qu'une quarantaine de députés ont signé son texte. Un nouvel avertissement pour la profession qui s'était déjà inquiétée, il y a deux ans, d'une tentative des pouvoirs publics à légi-férer. Ségolène Royal, ministre déléguée à la famille et Nicole Péry, secrétaire d'Etat aux droits de la femme, s'étaient alors penchées sur le dossier.

Au cabinet de Nicole Ameline, actuelle ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, vers laquelle s'est tourné M. Nesme, on reconnaît qu'après avoir envisagé un projet de loi, la préférence va plutôt à la concertation. Le ministère prévoit de lancer une campagne de communication, à la fin de l'année, sur le thème du respect de la personne.

PROPOSITION DE CORÉGULATION

Mais le dossier du sexisme est également ouvert à Bruxelles. Comme le dévoilait le quotidien britannique, Financial Times du 24 juin, Anna Diamantopoulou, commissaire européen chargé des affaires sociales, réfléchit à un projet de loi bannissant les discriminations liées au sexe, dans les industries de la publicité, des médias et des assurances. Le texte, en phase préliminaire d'examen, envisage, tout en préservant la liberté d'expression, de faire barrière aux atteintes à la dignité humaine et à la décence dans la publicité.

Une autre directive européenne a semé le trouble au sein du BVP et de ses homologues européens. Elle prévoyait de remettre en cause le principe de l'autodiscipline, défendu par l'industrie publicitaire, au profit d'une corégulation avec un certain nombre d'organismes comme les associations de consommateurs, par exemple. Le lobbying de l'Alliance européenne pour l'éthique en publicité (qui regroupe tous les BVP d'Europe) a été intense pour tenter de renverser la vapeur. "Face à ces deux fronts", comme il les qualifie, le BVP, qui regroupe publicitaires, annonceurs et médias, monte au créneau pour vanter les mérites de l'autorégulation. "L'idée de créer un arsenal législatif est réactionnaire et liberticide", souligne Joseph Besnaïnou, directeur général du BVP. "Si on commence à légiférer, on est foutu. Est-ce que vous croyez que ce pays n'est pas assez infantilisé ? La publicité joue le rôle de bouc émissaire. Les problèmes d'éthique se posent tout aussi bien pour la télévision, le cinéma ou la musique", s'insurge Franck Tapiro, de l'agence Hémisphère droit.

Cette agence a subi récemment les remontrances du BVP pour sa campagne d'affichage pour le voyagiste Lastminute.com. Deux affiches ont suscité la polémique : sur la première, un homme d'une cinquantaine d'années, casquette de marin sur la tête, est entouré de deux femmes, le slogan dit : "Je n'en paie qu'une des deux." Sur la seconde, un jeune homme jette un regard condescendant sur une jeune femme, avec le slogan : "Ma copine ne vaut rien." Cette campagne, qui a été diffusée mi-juin, a été épinglée par le mouvement antisexiste La Meute et a suscité des courriers de protestation. "Nous voulions créer un choc avec une campagne provocante. C'est un énorme succès commercial. La Meute, Les Chiennes de garde ne sont pas représentatives. Elles ont vingt à trente ans de retard", dit M. Tapiro.

Les deux associations féministes, qui épinglent systématiquement les dérives sexistes des publicités en France, sont également dans le collimateur de Jacques Séguéla, vice-président de Havas. "Les associations féministes vont trop loin, ce sont des chiennes d'arrière-garde", lance-t-il avant de reconnaître que ces associations illustrent "une phase de contestation de la société de consommation". Dans son dernier ouvrage, Fausse Route, Elisabeth Badinter, principale actionnaire du groupe Publicis, a également relancé le débat sur l'action des féministes, en dénonçant la "rhétorique de la victimisation des femmes". Mais, affirme Xavier Xiberras, directeur de la création de l'agence BETC-Euro RSCG, "il y a une vraie dérive de la place de la femme dans le métier publicitaire".

Les brasseurs, par exemple, raffolent de blagues machistes. Dans un spot pour la bière Bud Light, l'annoncer évoque tous les efforts faits par son "institut de recherche" pour occuper les femmes, des réunions Tupperware en 1953, aux soldes de chaussures en 1962, en passant par le jour du spa, ou, plus récemment, la création du téléphone mobile et de l'achat en ligne sur Internet, une aubaine puisque ce shopping se pratique vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans un spot Axe, un homme diffuse le déodorant sur un portemanteau. L'effet est immédiat : la femme quasi déshabillée entame immédiatement un corps-à-corps lascif avec le portemanteau.

Laurence Girard


Les afficheurs se disent prêts au contrôle du BVP

Stéphane Dottelonde, président de l'Union de la publicité extérieure (UPE), fédération des afficheurs, s'est de nouveau déclaré, lundi 23 juin, favorable à un contrôle renforcé des campagnes d'affichage. "A tort ou à raison, la pression s'accentue au sujet de l'atteinte à la dignité de la personne humaine. Les dénonciations d'une érotisation croissante de la publicité et d'une manipulation des enfants se multiplient. Depuis un an, nous donnons la consigne à nos adhérents d'être plus vigilants", affirme-t-il. L'UPE souhaite, comme il l'avait déjà affirmé sans résultat dans le passé, donner des gages de son autodiscipline. Les affiches sont considérées comme des actes publicitaires très intrusifs. En 2002, le BVP a émis un avis sur 292 campagnes d'affichage qui lui ont été soumises volontairement ; elle a demandé des modifications sur la moitié d'entre elles. Mais les afficheurs restent réticents au contrôle a priori de l'ensemble des campagnes, en vigueur à la télévision : "Nous souhaitons nous assurer que le BVP est capable de contrôler, tout en préservant la réactivité de notre média et notre créativité", précise M. Dottelonde.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 27.06.03

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