27 juin 2003

Mais les lecteurs n'étaient pas au bout de leurs surprises : entre une pub pour le nucléaire et un service "L'autre portail par SMS pour 5 € par mois", la sélection d'articles témoignait d'un revirement franchement ultra-libéral des critères de sélection. Outre les citations, désormais monopolisées par Jean-Pierre Raffarin [1] il devenait non seulement possible de suivre le cours prévisionnel des services publics destinés à être prochainement privatisés, mais surtout de consulter une série d'articles très peu dignes de la tendance jusqu'ici progressiste de l'Autre Portail. On pouvait lire entre autres, un éditorial de Sabine Hérold ("Non aux syndicats indignes !") [2], une intervention du député Jérôme Rivière ("Rendons obligatoire l'enseignement de l'hymne national dans les écoles") [3], la dernière chronique de Jean-Marc Sylvestre sur France-Inter ("Des mesures pour améliorer l'attractivité de la France auprès des cadres et capitaux") [4], sans oublier une interview de l'inévitable Alain Madelin ("Vive l'Angleterre !") [5], publiée sur le site Jardins-et-fleurs.com. Sélection plus qu'étonnante, quand on connait les motivations qui ont incité Pierre Lazuly à créer l'Autre Portail : "Pas un portail en métal ouvrant sur les tours de La Défense, sur de gigantesques publicités, sur un immense supermarché : non, juste un petit portail en bois, modeste et génial, ouvrant sur un espace non commercial." [6]

7H00 : l'édition du matin de "Brave Patrie" permet de comprendre en détail la genèse de ce revirement radical de l'Autre Portail. Selon cette dépêche [7] : dès l'aube, une opération de police démantelait le collectif responsable de l'Autre Portail agissant sur l'initiative de Pierre Lazuly : "Le but de cette opération, planifiée par le ministre de l'Intérieur dans le plus strict respect des droits de la défense et de la dignité humaine, a été atteint. Il s'agissait de mettre un terme aux agissements d'un groupement terroriste virtuel qui depuis plusieurs années empoisonnait à travers son portail alternatif la vie des Français et des Bretons d'en-bas à coups de Chroniques Mensongères et de propagation d'écrits censurés." Quelques heures plus tard, selon la même source, l'Autre Portail était "cédé par le gouvernement au groupe telecom russe Ru.Online, propriété de l'homme d'affaires Boris Berezovski, pour la somme de trois millions d'euros. Dans une remarquable libération d'énergies tous azimuts, Rezo a aussitôt été incorporé à Jersey, et sa direction a été confiée à Jerrebie Meremi, bien connu des internautes et des sénateurs pour son grand sens de l'entreprenance et de la rentabilitance à long terme. Cette vente permet d'une part au gouvernement de récupérer une somme équivalente à un centième de point de croissance, et d'autre part à Ru.Online d'acquérir à peu de frais l'Autre Portail ainsi que SPIP". Selon une autre source, qui n'a pu être vérifiée, le gouvernement avait déjà entâmé à ce sujet des pourparlers commerciaux avec Ru.Online, dès le mois de mars. L'opération-surprise était donc parfaitement planifiée.

09 H 00 : la presse internet commence à réagir, s'émouvant et s'indignant de la reconversion de Rezo en portail libéral. Pourtant, même si la presse traditionnelle en parle peu, cette opération de démantèlement n'est qu'un prélude. En effet, le 30 juin 2003, le parlement européen devrait autoriser les brevets logiciels et frapper ainsi d'un sérieux coup de matraque l'internet non-commercial et le logiciel libre. C'est peu dire que la tension est montée en quelques heures chez les partisans de l'internet libre. Tension qui a vite atteint à l'exaspération. Privés de leur portail, menacés de voir l'Internet indépendant disparaître à court terme, les adeptes de Rezo se sont immédiatement rassemblés dans un grand mouvement de solidarité, qui allait, quelques heures plus tard, élever les plus étonnantes barricades virtuelles que le Net ait connu.

11 H 00 : "IL FAUT HACKER YAHOO !", tel est désormais le mot d'ordre qui se propage en quelques minutes sur tous les forums et newsgroups du Net. On décide de faire appel à Laurent Chemla, célèbre pionnier de l'Internet français, autrefois pirate en culotte courte, comme il l'avoue dans ses "Confessions d'un voleur" [8] : "Informaticien programmeur, associé d'une toute petite société de services informatiques, j'ai toujours été passionné par les réseaux télématiques. Une passion qui m'a valu, en 1986, d'être le premier inculpé pour le piratage d'un ordinateur en France, piraté à partir d'un Minitel, certes, mais après tout, on a les gloires qu'on peut. Comme il n'existait pas encore de loi contre le piratage informatique, j'ai été inculpé de vol d'énergie. Tout cela s'est terminé par une relaxe mais, quand même, voilà de quoi lancer une belle carrière de voleur !" Bref : l'homme idéal pour pirater Yahoo ! et le transformer en portail du web indépendant, d'autant que Chemla est un proche de Lazuly. En effet, une simple recherche "Whois" permet de constater que, avant de prendre la fuite, Pierre Lazuly était clandestinement hébergé au domicile de Laurent Chemla (d'où peut-être cette impression de Lazuly qu'habite parfois en lui un colocataire)...

12 H 00 : les choses vont vite sur Internet. Non seulement Laurent Chemla est injoignable, mais déjà des centaines d'internautes pensent que le piratage de Yahoo ! n'est pas une bonne solution à long terme. Commentant cette information sur les ondes, le spécialiste du web François de Closets résume l'opinion générale des internautes à la mi-journée : "Si Yahoo ! était piraté, comme c'est déjà arrivé par le passé, cela ne durerait que quelques heures. Le web indépendant connaîtrait certes une opération de promotion-éclair sans précédent, mais dès le lendemain, le plus célèbre des portails commerciaux reprendrait ses droits." Cette opinion est à peu près partagée par tous. Il faut trouver une autre solution.

13 H 00 : Sans se douter des tumultes qui animent l'Internet depuis le début de la journée, Serge Humpich se met à table pour déjeuner. Au menu : escalope milanaise, spaghetti bolognaise.

14 H 00 : ce message est posté sur un newsgroup et fait très vite le tour du monde : "l'action de Yahoo ! sur le Nasdaq est au plus bas. Plutôt que de pirater le site, mieux vaut tenter une OPA sauvage sur Yahoo Inc. Un seul homme peut nous aider à mener à bien une telle opération : Serge Humpich."

Pour réunir les fonds nécessaires à l'OPA sur Yahoo Inc., Serge Humpich est l'homme de la situation. On l'avait un peu oublié depuis la célèbre affaire datant d'il y a deux ans, où il avait défrayé la chronique en démontrant comment les cartes bancaires pouvaient être piratées [9]. Humpich, qui commençait à s'ennuyer un peu, se prête au jeu avec enthousiasme. En quelques heures, selon un processus que le surdoué de l'algorythme a refusé de nous dévoiler, les quelques centaines de millions de dollars sont facilement réunis pour lancer l'OPA. Et dès l'ouverture de Wall Street, soit à 18 H (heure de Paris), l'OPA est lancée. Du jamais vu : trois heures plus tard, Yahoo ! Inc. est la propriété du collectif pour le Web Indépendant [10].

19 H 00 : un nouveau conseil d'administration est nommé, et la direction de Yahoo Inc. est confiée à Arnaud Martin, Antoine Pitrou et Philippe Rivière. Ces derniers prennent une première décision : Yahoo !, désormais, tournera sous Spip. Le président du directoire, Valentin Lacambre, insiste pour que Yahoo ! soit hébergé sur un serveur AlternC. Quant à M. Buronfosse, irresponsable de la communication™, il souligne que le nom "Yahoo !™" sonne un peu vieillot, et qu'il serait bon de trouver pour le site une marque™ à la sonorité plus "frenchy"™. On fait alors tourner la bonne vieille machine à trouver des noms en "oo"™ inventée à la grande époque™ de la Nouvelle Economie par Kasskooye, et celle-ci, qui marche encore, donne très vite le nom adequat au nouveau portail grandiose du web indépendant : ce sera "Wayoo !". Refusant la terminaison en .com™, qui ne sonne pas assez indé™, on dépose rapidement le domaine www.wayoo.net.

21 H 00 : le site www.wayoo.net est inauguré. Au slogan de Rezo "le portail modeste et génial de l'Internet non-commercial", le nouveau board de Yahoo/Wayoo préfère jouer la différence et adopter comme slogan : "le portail modeste et génial du web indépendant".

Quant à Pierre Lazuly, que nos lecteurs se rassurent, même s'il se cache, il est toujours vivant. Hier soir, contacté dans son exil par notre rédaction, il nous informait en exclusivité du nouveau projet qu'il concocte déjà, histoire de se faire un peu oublier par les services secrets : "Un très très gros projet, en quelque sorte un Spip pour vidéo. Mais mais, gros problème, c'est déjà beaucoup de boulot de le faire pour le média écrit, mais c'est plus dur pour du son, et c'est encore plus dur de la vidéo (formats, volumes de données surtout). En gros, Spip pourrait peut-être quasiment le faire (...) En gros c'est un peu comme les documents attachés (...) Sauf que attacher de la vidéo, c'est exploser tous les quotas disque en un rien de temps. Ca marcherait peut-être avec un Spip installé sur un serveur très costaud avec des quotas de pros, faudrait essayer. Mais c'est un gros projet !" Bon courage, Pierre, de la part de toute l'équipe de l'Arsène et de la part de tout le web indé qui te soutient. Et si, par hasard, tu venais à prendre deux semaines de vacances, n'hésite pas à nous rendre l'Autre Portail dans sa vraie version !

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