Le vendredi 4 juillet 2003.
Société / France / Droit / Libertés / Propriété intellectuelle

L'organe consultatif sur la propriété intellectuelle en veut aux libertés

Soutenu par un membre de la Cnil, le CSPLA suit les éditeurs sur la voie du flicage
  

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La commission spécialisée "libertés individuelles" du Conseil supérieur à la propriété littéraire et artistique (CSPLA), l'organisme chargé par le ministère de la Culture de de préparer la transposition de la directive européenne sur les droits d'auteur dans la société de l'information, a publié le 26 juin un avis. Présidé par Maurice Viennois, conseiller honoraire à la Cour de cassation et membre de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), le groupe de travail avance des propositions sans nuance sur un nombre de sujets touchant aux droits d'auteur à l'ère du numérique. Celles-ci sont à l'occasion contraires aux recommandations de la Cnil elle-même et ne manqueront pas de faire bondir les défenseurs des libertés publiques sur internet.

Créé en mai 2001, le CSPLA réunit les principaux syndicats d'auteurs, éditeurs, producteurs et diffuseurs, deux associations de consommateurs et huit "personnalités qualifiées". Dans son avis du 26 juin, le Conseil propose d'abord que, pour faciliter la recherche d'infractions en contrefaçon sur le réseau, la durée de détention des données de connexion par les opérateurs techniques soit portée à trois ans, soit "la durée de prescription de l'action pénale en matière de délits".

Les principes du régime de conservation et d'effacement de ces données ont été fixés par la loi sur la sécurité quotidienne (LSQ) du 15 novembre 2001, dont les décrets d'application n'ont toujours pas été adoptés. Lors de l'examen du texte, la Cnil, garant officiel de la protection des libertés en informatique, s'était prononcée pour que ces "logs" de connexion ne soit pas conservés au-delà de trois mois. Après concertation avec les autorités judiciaires, le Forum des droits sur l'internet, l'organisme de "corégulation" de l'internet en France, recommandait de son côté une durée de conservation maximale d'un an.

Cnil contre Cnil
La commission du CSPLA va plus loin, en voulant permettre aux sociétés de créer des fichiers d'adresses IP d'internautes pratiquant l'échange de contenus illicites, qu'il s'agisse de musique, de films ou de logiciels. Elle souhaite ainsi "que le Parlement trouve (...) une solution permettant aux sociétés de gestion et aux ayants-droit de procéder à la constitution de tels fichiers dans le seul but d'assurer la protection de ces droits".

En rendant cet avis, la commission soutient a posteriori un amendement sénatorial au projet de loi de transposition de la directive sur la vie privée, adopté par la Chambre haute le 1er avril dernier. Le sénateur Alex Türk, vice-président de la Cnil, avait fait étendre aux entreprises victimes d'infractions le droit de procéder à des "traitements de données à caractère personnel relatives aux infractions, condamnations et mesures de sûreté". Les majors et sociétés de protection de droits d'auteur pourraient ainsi collecter des informations nominatives sur les usagers de réseaux P2P en infraction avec le droit d'auteur (voir notre article du 25 avril 2003 : La Sacem pourra-t-elle faire sa propre police contre le piratage en ligne ?).

Pourtant, dans un avis émis le 15 mars 2001 à la demande de la société Webcontrol, la Cnil avait estimé que la constitution sur les réseaux peer-to-peer de fichiers d'infractions par des sociétés privées était non-conforme aux principes de la loi "informatique et libertés".

Pour le devoir de censure
Au moment où l'Assemblée nationale s'apprête à examiner en deuxième lecture la loi sur la confiance dans l'économie numérique, le CSPLA soutient encore dans son avis une "transposition parfaite" de la directive "Commerce électronique" à l'origine de la loi. Les dispositions de ce texte prévoient entre autres la mise en cause de la responsabilité des hébergeurs n'ayant pas obtempéré à la demande de retrait d'un contenu à "caractère illicite".

Cette responsabilité des hébergeurs, déjà prévue et finalement retoquée dans des lois précédentes, fait pourtant encore largement débat. Depuis longtemps, les associations mobilisent contre ce devoir de censure imposé aux prestataires techniques sur notification des ayants-droit, même sans décision de justice.

Auto-gestion de droits numérique
La dernière recommandation de la commission est sûrement la plus étonnante et tient presque de l'anticipation orwelienne. Dans son avis, elle prend acte du développement de solutions techniques permettant "de créer un système général d'empreinte informatique permettant de vérifier si les fichiers échangés sur le réseau sont autorisés et de bloquer les échanges de fichiers illicites lors de leur passage par un serveur ou un routeur". Soit le fin du fin de la "gestion de droits numérique" (Digital Rights Management, DRM), permettant d'identifier, de localiser et d'intercepter à tout moment tout contenu en circulation sur le réseau, grâce à un système de marqueurs logiciels intégrés aux fichiers.

La commission prend le soin de rappeler qu'un tel système de police du réseau géré en direct par les ayants-droit ne pourrait naturellement être mis en place que s'il est "conforme notamment au principe constitutionnel de protection de la vie privée et aux stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales". Gageons que les majors du divertissement et les sociétés de droits d'auteur sauront un jour attaquer ces derniers garde-fous, ainsi qu'elles ébranlent déjà les garants officiels des libertés sur le réseau.

Avis N°2003-1 relatif à la propriété littéraire et artistique et libertés individuelles du 26 juin 2003 (CSPLA):
http://www.culture.gouv.fr/culture/cspla/avislibertes.htm

La Commission "propriété littéraire et artistique et libertés individuelles" (CSPLA):
http://www.culture.gouv.fr/culture/cspla/comspecial.htm

Rapport de la Commission sur la propriété littéraire et artistique et les libertés individuelles, en .pdf (CSPLA):
http://www.culture.fr/culture/cspla/raplibertesindiv.pdf

La Sacem pourra-t-elle faire sa propre police contre le piratage en ligne? (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a8719

Huit "sages" pour plancher sur les droits d'auteur numériques (Transfert.net):
http://www.transfert.net/a5567



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