![]() |
Après l'éviction
de Martin Winkler par France Inter.
Médicaments: les labos en roue
libre
Par Philippe
PIGNARRE
jeudi 24 juillet 2003
Philippe Pignarre, ancien cadre d'un grand labo, est l'auteur du «Grand
Secret de l'industrie pharmaceutique» Le débat est-il possible ? La tâche est rendue difficile par la curieuse
habitude rhétorique prise par certains acteurs : ils ne parlent jamais en leur
nom mais toujours au nom des autres. Ainsi le LEEM ne s'exprime plus au nom des
industriels mais prétend parler au nom des patients, ou au nom des médecins (un
exemple récent a été donné par le Medef qui s'est exprimé «au nom des
travailleurs» spoliés pour répondre aux intermittents). Cette curieuse habitude de toujours parler au nom des autres a une seule
fonction : rendre tout débat impossible. C'est une application locale de ce que
font les hommes politiques quand ils disent que leur politique «est la seule
possible». Il n'y a plus rien à dire. Toute autre parole que la leur est
a priori disqualifiée. Cette habitude rhétorique survient au moment où la question des médicaments
s'enflamme de tous les côtés. Le sida n'y est pas pour rien. Pendant que 95 %
des personnes qui dans le monde auraient besoin d'une trithérapie en sont
privées, dans les pays riches l'abus de médicaments fait désormais partie des
principales causes de mortalité. Quand le gouvernement dérembourse des médicaments inefficaces ou dangereux,
il s'engage parallèlement à laisser les industriels fixer librement leurs prix
pour les nouveaux médicaments qui seront reconnus «innovants» par les experts
(nous serons alors le pays le plus libéral au monde : même aux Etats-Unis, les
compagnies d'assurances négocient des rabais sur les prix des médicaments auprès
des industriels). Mais peut-on faire confiance à ces experts ? N'ont-ils pas
consciencieusement et pendant des années renouvelé les AMM (autorisations de
mise sur le marché) de ces médicaments aujourd'hui bannis ? Cela mériterait une
enquête. La réforme de l'assurance maladie pourrait être l'occasion de changer les
choses. Les médicaments doivent être politisés comme l'ont été les OGM. Tout le
monde s'en portera mieux. Les mutuelles, les ONG, les associations de patients
et de médecins ne doivent pas hésiter à dire : nous ne voulons pas de ce nouveau
médicament (dossier clinique insuffisant, pas d'études comparatives, etc.) !
C'est ce qu'il aurait fallu dire quand le dossier des cox (une famille de
nouveaux anti-inflammatoires) a été remis en cause en 2002 par la presse
américaine. Il fallait immédiatement ramener leur prix au niveau des médicaments
de référence. Les experts sont restés muets. Le marché des médicaments est complètement asymétrique : tout le pouvoir est
du côté de l'offre (l'industrie pharmaceutique). La demande est rendue
impuissante par son éclatement : ceux qui choisissent les médicaments ne sont
pas ceux qui les consomment, lesquels ne sont pas ceux qui les paient
directement. Quant aux payeurs (Sécurité sociale et mutuelles), ils n'ont aucun
droit de regard. Il s'agit donc de s'opposer à tout ce qui renforce l'offre et constituer la
demande (les patients) en force politique. C'est ce qui s'est passé quand
mutuelles et associations se sont opposées avec succès à une directive
européenne autorisant la publicité grand public pour les médicaments. Plus
personne ne pourra alors parler au nom des autres : c'est bien ce dont ont peur
ceux qui ont fermé la bouche à Martin Winckler.
(La Découverte, 2003).
a suppression brutale de la
chronique de Martin Winckler sur France Inter (Libération du 22 juillet)
pose le problème du libre débat sur les médicaments. Au-delà des raisons
avancées par la direction de la radio pour justifier cette décision (Winckler a
été aimablement traité de «petit médecin mégalomane»), il est en effet
pour le moins troublant qu'elle intervienne à la suite d'une chronique sévère du
médecin écrivain sur les spots publicitaires du LEEM (Les Entreprises du
médicament, nouveau nom du Syndicat national de l'industrie pharmaceutique)
diffusés sur les ondes de France Inter.