Gregory Stock
annonce la modification génétique de l'homme par l'homme. Cet éminent
universitaire américain souhaite même que les parents saisissent cette
chance "d'améliorer" leurs enfants, de génération en
génération, grâce au génie génétique.
Gregory Stock, auteur et universitaire, se fait fort
de démonter tout adversaire de débat
(DR) |
Remodeler l'être
humain : Notre futur génétique inévitable, tel est le titre du
dernier livre
de Gregory Stock, paru aux Etats-Unis à l'été 2002 et accueilli par une
large couverture médiatique. Cet Américain de 52 ans, qui dirige le
programme
"Médecine, Technologie et Société" de
l'université de Californie à Los Angeles (UCLA), rejoint l'analyse
d'autres auteurs, de
Jeremy Rifkin et son
Siècle Biotech à
Francis Fukuyama et
sa
Fin de L'Homme, pour qui la convergence des plusieurs
techniques mènera bientôt, dans 20 ou 30 ans, à des bébés génétiquement
modifiés. Des sortes d'enfants
"sur mesure", dont les
traits génétiques auront été choisi
"à la carte" :
d'abord par la sélection des oeufs selon des critères génétiques, grâce à
la fécondation in vitro, qui se généralisera pour éviter la transmission
de maladies génétiques. Puis, selon Gregory Stock, à mesure qu'avancera le
décryptage des fonctions complexes du génome et que se perfectionenront
les techniques de manipulation des cellules, la société avancera vers la
modification génétique
"positive" des embryons à naître
pour y ajouter telle ou telle qualité.
"Qu'on le veuille ou non, on se retrouvera
bientôt face ces enjeux. Autant en prendre notre parti et en tirer le
meilleur", dit, en substance, l'auteur. Celui qui avoue être plus
qu'un simple observateur se fait fort de débattre avec toute personne
opposée aux modifications génétiques humaines, comme il l'a fait avec
Jeremy Rifkin ou l'universitaire George
Annas, qui demande un traité internatoinal pour qualifier ces
techniques de crimes contre l'humanité.
"J'invite les gens à lire le dernier chapitre
du livre de Gregory Stock s'ils veulent comprendre pourquoi je suis
inquiet au sujet de la biotechnologie", a dit Francis Fukuyama. Ceux
qui, comme ce dernier, tentent de trouver des solutions pour empêcher ce
mouvement, liront donc avec intérêt les arguments de cet Américain à
l'assurance rieuse.
Les bébés OGM et la modification de la
descendance génétique humaine que vous annoncez semblent bien lointains.
Comment pensez-vous qu'ils deviendront une réalité ?
Greg Stock : D'abord, cela commence avec les
fécondations in vitro. On fait un diagnostic pré-implantatoire de
l'embryon, qui consiste en une analyse génétique. On cherche à détecter
des maladies génétiques afin de ne garder que les oeufs sains mais l'on
peut aussi repérer d'autres traits ou qualités. Aujourd'hui, la sélection
des oeufs au cours d'une fécondation in vitro est limitée aux cas où il y
a un fort risque de maladie génétique parce que c'est une pratique
onéreuse. Mais de plus en plus de couples y ont recours et la procréation
assistée se généralisera d'ici une dizaine d'années, quand elle sera bon
marché et anodine. A terme, je pense que la fécondation in vitro deviendra
le mode de procréation le plus courant. Quand elle permettra facilement
d'éviter à son enfant toutes les maladies génétiques connues, il sera
considéré comme absurde de ne pas l'utiliser ! De plus, je pense que
les femmes voudront progressivement y avoir recours pour des raisons de
"timing" et d'horloge biologique : elles congèleront des ovules sains
étant jeunes pour être sûr de pouvoir enfanter même si elles ont un
accident, une maladie ou un problème de fertilité. La procréation
assistée, c'est la première étape.
Que se passe-t-il ensuite ? La sélection
des oeufs lors d'une fécondation in vitro est loin d'une manipulation
volontaire du génome des enfants...
L'intervention réelle sur le
génome de notre descendance mettra plus de temps à se développer, surtout
parce que cette technique sera en concurrence avec la sélection génétique
des oeufs lors de fécondations in vitro... Elle commencera d'ici à une
vingtaine d'années probablement. Il faut comprendre que la différence
entre sélection et manipulation n'est pas si grande. Il y a peu de
dispositions législatives qui encadrent cette pratique et on peut analyser
assez librement telle ou telle particularité génétique.
La différence
entre une qualité et un défaut génétique est assez ténue... Cette notion
peut évoluer, en fonction de paramètres culturels. In fine, je pense que
la sélection des oeufs donnera aux parents un choix intéressant : on
pourra faire, à partir du patrimoine de chaque oeuf, une sorte de profil
génétique, un peu comme une projection de ce que l'enfant sera. Les
services scientifiques de la police le font déjà parfois pour retrouver un
criminel à partir d'un échantillon ADN. Les parents choisiront l'enfant
dont les qualités leur conviennent le mieux.
Vous dites que les parents doivent avoir une
large marge de manoeuvre pour choisir et modifier le génome de leurs
enfants. Les croyez-vous assez responsables pour porter un tel
poids ?
Les parents font des erreurs mais ce sont eux qui en
font le moins, par rapport aux autres entités qui pourraient assumer cette
tâche... Je pense que cette responsabilité doit être portée par ceux qui
l'assument déjà. Ce sont les parents qui vivront des années auprès de
l'enfant qu'ils auront choisi et qui feront les milliers de choix qui
forment l'éducation. Je pense que cela serait pire si l'on donnait la
responsabilité de ces choix à l'Etat ou au corps médical, qui n'ont pas à
en assumer les conséquences.
Jeremy Rifkin dit que procréer un bébé sur
mesure est "l'expérience de shopping ultime". L'idée
d'enfant "à la carte" n'est-elle pas la dernière étape du rêve
consumériste et individualiste selon lequel le client est roi ?
Je ne le vois pas ainsi. Je parle plutôt de "sélection de partenaire"
(mate selection en VO, Ndlr). De même que vous
choisissez la personne avec laquelle vous allez vivre, vous pourrez
décider du profil de votre enfant, selon des critères d'affinité
personnels. Par exemple, si l'on donnait le choix aux parents de choisir
le sexe de leur enfant, je pense que 25 % des gens utiliseraient cette
possibilité. Les uns voudraient une fille à la place d'un garçon ou
l'inverse. Mais cela ne changerait pas le fait qu'il y ait des filles et
des garçons au niveau de la société, ils seraient simplement répartis chez
des gens qui les désireraient. Ce n'est que de la statistique. De même,
certains parents préféreraient par exemple un enfant extraverti, d'autres
un enfant plus réservé. Pouvoir choisir d'autres traits génétiques ne
changerait pas le fait que chaque enfant est différent et unique. De plus
la génétique ne détermine pas tout. Il reste l'acquis et l'imprévisibilité
de la vie réelle.
Ne pensez-vous pas que les choix des parents
concernant les caractéristiques de leurs enfants pourront être sujets à
des effets de mode néfastes ?
Si et je pense que les vogues
de choix des prénoms est un bon exemple. Mais notre rapport à la famille
et à la procréation est déjà soumis à des modes et à des changements
humains. Nous nous marions différemment, nous avons plus ou moins
d'enfants, de plus en plus tard. Pendant des siècles, nous n'avions aucun
contrôle sur le moment où nous allions avoir des enfants. La contraception
a déjà modifié en profondeur notre rapport à la procréation.
La possibilité pour certains parents de
pouvoir "améliorer" les qualités de leur enfant ne créera-t-elle pas une
discrimination génétique, qui s'ajoutera aux inégalités existantes ?
N'existe-t-il pas un risque que les enfants "non-améliorés" soient
victimes de discrimination à l'école, à l'embauche, ou dans l'accès aux
crédits ou aux assurances ?
Il y aura effectivement une
différence et une inégalité, qui sera fonction du niveau de
démocratisation des pratiques d'amélioration génétique. Mais c'est le cas
pour énormément de choses, qu'il s'agisse des nouvelles technologies ou de
l'accès aux meilleurs soins médicaux. Je pense qu'au départ, ces
techniques seront pratiquées par peu de gens, des "early
adopters" qui feront figure de testeurs. Mais dès que ces pratiques
seront reconnues comme ayant une valeur, il y aura une énorme pression
sociale pour qu'elles soient inclues dans les prestations médicales de
base. Si on veut parler de discrimination, je pense qu'elle ne creusera
pas un fossé entre riches et pauvres, mais entre générations. Même l'homme
le plus riche du monde ne pourra pas se payer les améliorations possibles
pour la génération suivante !
Ne pensez-vous pas que les "améliorations"
génétiques humaines creuseront un fossé encore plus grand entre pays et
continents ?
Si, aussi. Il y aura une inégalité géographique
mais pas forcément celle que l'on pense... L'Europe n'autorisera les
améliorations génétiques que tard, quand elle aura vu qu'elles décollent
dans tous les autres pays. Je pense que le continent qui les adoptera en
premier est clairement l'Asie. L'idée d'amélioration humaine fait partie
de leur mentalité, comme le concept général "d'eugénisme", qui se traduirait par "bonne naissance" en
chinois. Je suis allé en Chine et je vous promets qu'ils comprennent que
les biotechnologies sont la "nouvelle frontière", et une chance inouïe
pour eux de dépasser l'Occident dans 20 ou 30 ans. Les Etats-Unis, eux,
seront entre les deux car nous sommes toujours un peu "schizophréniques".
Certains voudront la chaise électrique pour ceux qui améliorent le génome
de leurs enfants, d'autres croiront que c'est la révolution, le paradis
technologique tant attendu ! (rires)
Justement, l'idée de bébés génétiquement
modifiés sur mesure n'est-elle pas un fantasme d'omnipotence de la
science, qui se révélera décevant ? Chercheurs et médias se sont
enthousiasmés pour la thérapie génique, qui est au point mort... A quoi
bon modifer son enfant si finalement on ne peut changer que des traits
physiques simples, et que les fonctions complexes de la personnalité
restent un mystère pour les généticiens ?
C'est un rêve pour
certains, une forme d'utopie. Pas pour moi. Je pense que l'avancée de la
génétique sera compliquée mais que l'on trouvera progressivement les
combinaisons de gènes qui sont associées à tel ou tel trait de la
personnalité. Dire que cela n'arrivera pas n'est qu'un déni immature, une
façon de faire l'autruche. Le quotient intellectuel, l'extraversion,
l'agressivité, la propension à être dépressif... tous les qualités
humaines complexes ont une composante génétique. Disons que la génétique
compte pour entre 25 % et 75 % dans leur formation, d'après ce que nous
apprennent les études scientifiques sur les jumeaux identiques (les
travaux du professeur Burt dans ce domaine ont été dénoncés et
l'influence de la génétique sur les traits de personnalité humaine est
contestée, Ndlr). Mais effectivement, nous ne sommes pas entièrement
déterminés par la génétique. Les attentes des gens sont donc en partie
fausses. Aujourd'hui, il y a certaines choses qui dépendent de notre
choix, d'autres que nous laissons au hasard. Nous avons tous un patrimoine
génétique. La question n'est pas de savoir si voulons en connaître la
composition exacte et les qualités mais plutôt, une fois que nous en
aurons connaissance, souhaitons-nous agir dessus ou le laisser tel quel,
avec ses défauts, alors que nous savons le modifier ?
Politiquement, l'idée de modification
génétique humaine est hautement polémique, rejetée par des gens de
"droite" comme de "gauche". Ne pensez-vous pas que ces pratiques seront
combattues, voire interdites ?
On ne peut pas stopper ce
mouvement ! Autant pisser dans un violon ! Comme pour le clonage
ou le travail sur les cellules souches, les lois ne peuvent pas grand
chose. Interdire ces pratiques dans un pays n'empêchera pas les autres de
s'y mettre. Ce n'est qu'un dérivé de pratiques médicales courantes et
largement acceptées. Si je voulais faire émerger l'amélioration génétique
de l'homme par l'homme, je ferais exactement ce qu'il est en train de se
passer : je mènerais un large projet international de décodage du
génome humain comme le Human Genome Project, auquel la France
participe ; je favoriserais les pratiques de fertilisation in vitro
et de diagnostic préimplantatoire pour éviter les maladies
génétiques ; et, bien sûr, je développerais aussi les techniques de
manipulation du patrimoine génétique des cellules... (rires)