SCÉNARISTE. "Il faut que tu écrives pour
l'image", lui avait dit François Truffaut. C'était en 1975, il était
alors journaliste. Depuis, Jacques Santamaria a produit plus d'une
trentaine de scénarios pour la radio, la télévision ou le cinéma.
Troisième rendez-vous de notre série d'été
Il rit, heureux. Il vient de recevoir le prix du Nouveau Talent
TV 2003, décerné par la Société des auteurs-compositeurs dramatiques
(SACD), et trouve cela franchement comique. "Je suis très flatté
d'avoir ce prix, mais c'est le mot "nouveau" qui m'amuse.
Vous pensez, en 1974 déjà, je faisais
du documentaire pour la télévision ! Cela fait pratiquement
trente ans..."
Jacques Santamaria, la petite cinquantaine confortable, est à la
fois auvergnat et corse, discret et bavard, courtois et narquois.
L'œil vif derrière ses lunettes rondes, il prend son temps pour
parler et choisit ses mots avec autant de soin que le vin qui va
accompagner son déjeuner. Un connaisseur !
Le scénario, ça le travaille depuis l'enfance, du temps où il
dévorait les livres d'aventures, les films en Technicolor et les
feuilletons radiophoniques. Non pas qu'il voulait faire
l'acteur ; il rêvait bel et bien d'écrire des histoires pour
les faire jouer par les autres. La légende familiale raconte même
que, à l'âge de 6 ans, il aurait déclaré à ses parents :
"Quand je serai grand, je causerai dans le poste."La réponse
ne s'est pas fait attendre : "On verra plus tard, va à
l'école et passe ton bac." Il a obéi, en bon fils, et même un
peu plus, puisqu'il a obtenu sa maîtrise de droit.
Mais, obstiné "comme un teckel qui ne veut pas lâcher son
os"- l'expression est de lui -, il fera toute sa
carrière dans l'audiovisuel public. Entré à l'ORTF en 1972, il
occupe toutes sortes de fonctions, histoire de se faire la
main : écrivain de pièces satiriques, animateur du
"Top 50", journaliste... Il quittera définitivement la radio en
1999, après avoir occupé les fonctions de directeur des programmes
de France-Inter. "Le couronnement de ma carrière
radiophonique", dit-il dans un grand éclat de rire.
Et puis, comme dans les histoires pour enfants, il rencontre un
bon génie. Et ce bon génie s'appelle François Truffaut. En reportage
sur le tournage de L'Argent de poche, en 1975, Jacques
Santamaria sympathise avec le cinéaste. Une amitié se noue. Les deux
hommes parlent métier, tant et si bien qu'un jour Truffaut lui
glisse à l'oreille : "Jacques, maintenant, il est temps de
rentrer dans le rêve. Il faut que tu écrives pour l'image." Il
n'a jamais oublié ce conseil, et avoue même que, s'il est scénariste
aujourd'hui, il le doit entièrement à Truffaut.
Cette même année, Georges Conchon lui demande de travailler avec
lui sur le scénario de Sept morts sur ordonnance, réalisé par
Jacques Rouffio. "Je lisais, relisais et commentais. Quelle
formidable école ! Il faut que je vous avoue, quitte à passer
pour un iconoclaste, que je ne crois absolument pas à toutes ces
écoles, stages et autres maîtres ès scénarios qui veulent former des
scénaristes en dix leçons. Vous imaginez un peu le nombre de bons
films qui seraient réalisés si tous ces gens qui suivent des stages
se mettaient tout à coup à bien écrire ! L'imagination ne
s'apprend pas. Seul le métier de journaliste s'apprend, et c'est la
meilleure école pour écrire des histoires. On enquête, on furète, on
cerne son sujet puis on rédige. Visionner La Comtesse aux pieds
nus de Mankiewicz en apprend plus au néophyte que toutes les
écoles réunies."
DE LA RADIO AU CINÉMA ET À LA TÉLÉ
Obéissant en partie à Truffaut, il "rentre dans le rêve"
en créant, en 1985, sous l'impulsion de Jean-Noël Jeanneney, alors
PDG de Radio France, les Ateliers de création radiophonique
décentralisés pour alimenter les stations locales de Radio France en
programmes élaborés. Il en prend la direction avec la volonté de
créer des émissions vivantes pleines de sons et de sens. Les séries
que les ateliers produisent, telles que "Le Tour de France", truffé
d'archives, ou un lumineux "Van Gogh", restent des pièces
d'anthologie. Il met lui-même la main à la pâte en écrivant des
polars non dénués d'humour. "Ecrire pour la radio est tout un
art, car l'oreille travaille plus vite que l'œil ; on est
obligé de réunir concision et richesse, et de sacrifier les
dialogues quand le son est puissant."
Le temps venu, il se décide à "écrire pour l'image" et, à
la demande du réalisateur Jacques Tréfouel, adapte pour le cinéma
Les Eaux dormantes, un suspense criminel et psychologique
emprunté à Boileau-Narcejac.
L'écriture est pour lui un art majeur et, comme tel, il y apporte
un soin extrême. Tout d'abord, il se met en quête d'un sujet,
dépouille la presse, découpe les faits divers, écoute les
conversations de comptoir, file l'homme de la rue ou, à l'inverse,
se plonge dans des livres d'histoire à la recherche d'événements
susceptibles d'être transformés en fiction. Il prend beaucoup de
notes sur des petits bouts de papier, et, quand enfin il tient la
bonne idée, commence alors un long travail de gestation.
"Je fouille, je farfouille, je tournicote, j'explore,
j'examine, je scrute, j'invente. Je grogne et je ronchonne. Cela me
prend énormément de temps. Puis, quand l'ensemble me paraît limpide,
vient alors le moment de coucher tout ce travail sur le papier,
c'est pour moi ce qu'il y a de plus rapide." Là encore, maître
Jacques ne fait rien comme tout le monde ; foin du traitement
de texte. Installé à sa table de travail, deux bouteilles d'eau et
un cigare pour tout viatique, il taille tranquillement ses crayons à
mine de plomb avant de rédiger son histoire d'une belle écriture
régulière. "Je préserve ainsi l'aspect artisanal et solitaire de
mon travail." Le manuscrit corrigé, raturé, reste cependant
toujours lisible pour les petites mains qui le rentreront dans
l'ordinateur. Il a ainsi écrit une bonne quinzaine de films de
cinéma et de télévision, et plus d'une vingtaine de pièces pour la
radio.
Cette belle carrière de scénariste a bien failli s'arrêter le
jour où il fut nommé directeur des programmes de France-Inter.
"Quand on a un poste comme celui-là, il est impossible d'avoir le
temps d'écrire. On rentre chez soi, le soir, complètement vidé."
Il en profitera pour faire accepter plus d'imaginaire dans les
programmes de la station, en favorisant les reportages et en
rétablissant un genre oublié, le feuilleton radiophonique, avec,
notamment, Le Perroquet des Batignolles, Les Fantastiques
Aventures de Mme Muller ou Le Secret du coffre
rouge.
En 1999, il retrouve sa liberté et retourne à l'écriture.
France 3 lui commande alors un film de prestige en costumes.
"Il y a longtemps que le personnage de Bernard de Fontenelle
m'intriguait. Ce philosophe, neveu de Corneille, qui mourut à
100 ans, se félicitait de n'avoir jamais prononcé le mot
amour." Mélangeant fiction et réalité, Jacques Santamaria écrit,
dans un français élégant, Un cœur oublié, dans lequel il
analyse finement le sentiment amoureux chez Fontenelle. Michel
Serrault, enthousiaste, accepte le rôle d'emblée : "Un
scénario comme ça, on m'en propose un tous les vingt ans." Le
film est un succès.
LES CONTRAINTES DES CHAÎNES
Toujours pour France 3, il imagine un polar, La Deuxième
Vérité, sur les mœurs de la bourgeoisie de province, truffé de
rebondissements, dans lequel son vieux copain Claude Chabrol joue le
rôle d'un médecin de campagne. Là encore, le succès est au
rendez-vous. Philippe Monier, le réalisateur de ces deux derniers
films, n'hésite d'ailleurs pas à dire : "C'est un plaisir de
travailler avec Jacques, son écriture perfectionniste et économe
donne tout de suite à voir la dramaturgie. De plus, c'est un
scénariste qui tient compte du budget du film."
Intarissable, Jacques Santamaria analyse les différentes facettes
de son métier. "Je n'écris pas de la même façon pour la
télévision, qui est regardée par un public zappeur, et pour le
cinéma, où les spectateurs captifs ont fait l'effort de venir. Là,
j'ai le temps d'installer un climat. La radio, c'est encore
différent : en l'absence d'images, c'est une école de rigueur
formidable." Il constate surtout que, depuis une quinzaine
d'années, la fiction, qui fait de plus en plus d'audience, est
devenue un enjeu économique important. "Cette évolution a
entraîné la professionnalisation du métier de scénariste. Il faut
savoir que ce qu'on écrit tranquillement à sa table peut poser
d'énormes problèmes lors de la réalisation. Ecrire en dehors de
toute contingence est tout bonnement une faute." Quand on lui
parle des contraintes du cahier des charges imposé par les chaînes,
il répond avec une prudence tout auvergnate : "Ayant
collaboré avec toutes les chaînes, je peux dire que je n'ai jamais
ressenti de manque de liberté. L'écriture est une vaste et infinie
contrainte, et s'il y a manque de liberté, c'est plus dans les
moyens que dans les idées. Il faut travailler et encore travailler,
cela permet de contourner beaucoup d'obstacles."
Des propos qui amusent son ami Claude Chabrol : "J'ai
fait pas mal de télévision, mais j'ai laissé tomber. C'est un vrai
parcours du combattant ! Une fois le contrat signé, on a la
visite quotidienne de ces petits messieurs de la direction qui
viennent vous donner des ordres, le plus souvent contradictoires,
pour vous imposer leur moule. Jacques est malin à ce petit jeu-là.
Il passe au travers des fourches Caudines de ces petits messieurs en
faisant croire qu'il utilise le moule... Mais, en fait, il le
casse ! Il est très fort."
Armelle Cressard
Formation
ESRA , Ecole supérieure de réalisation
audiovisuelle, à Paris (tél. : 01-44-25-25-25), Nice
(04-92-00-00-92) et Rennes (02-99-36-64-64).
FEMIS, Ecole nationale supérieure des métiers de l'image
et du son, à Paris (01-53-41-21-00).
UNIVERSITÉ PARIS-I Panthéon-Sorbonne (01-44-25-04-03).
www.univ-paris1.fr
UNIVERSITÉ PARIS-III Sorbonne nouvelle
(01-45-87-42-28).
UNIVERSITÉ PARIS-VIII Vincennes-Saint-Denis
(01-49-40-67-89).
UNIVERSITÉ AIX-MARSEILLE-I (04-92-95-35-46).
UNIVERSITÉ BORDEAUX-III Michel-Montaigne
(05-57-12-44-57).
Pour de plus amples informations, lire Le Guide :
scénario, mode d'emploi, édité par la revue Synopsis, 8,
rue Martel, 75010 Paris (01-53-34-17-17).
Parcours
1951
Naissance à Lezoux, Puy-de-Dôme
1975
Rencontre avec François Truffaut
1985
Direction des Ateliers de création
radiophonique (Radio France)
1992
Scénario des "Eaux dormantes", pour le
cinéma
1996
Il est nommé directeur des programmes de
France-Inter
1999
Il quittecla radio pour se consacrercà
l'écriture
2001
"Un cœur oublié" pour France 3