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Winckler muselé par les labos
?
Le
médecin chroniqueur a été remercié par France Inter.
Par Isabelle
ROBERTS
mardi 22 juillet 2003
Le 27 juin, Jean-Luc Hees, directeur de France Inter, appelle Martin Winckler
au Mans, où il vit et d'où il fait sa chronique quotidienne en direct, et lui
annonce qu'il n'est pas reconduit à la rentrée. «Il m'a dit qu'il n'avait pas
besoin de chronique médicale, ayant déjà des gens pour ça au sein de la
rédaction de France Inter», raconte Winckler. Selon l'écrivain, sa chronique
doit se poursuivre jusqu'au 11 juillet, mais le 4 on lui annonce par lettre
recommandée qu'il vient de faire sa dernière prestation. «C'est une censure
de dernière minute, fulmine Winckler, alors que jusqu'ici j'avais
toujours eu une liberté totale !» Que s'est-il passé ? «Je l'ai compris
le 11 juillet», explique l'écrivain. Ce jour-là, à 7 h 50, en lieu et place
de la chronique de Winckler, un droit de réponse du Leem. Le Leem ? Un organisme
qui représente l'ensemble des entreprises du médicament, soit les plus gros
laboratoires pharmaceutiques. Spots de pub. Le droit de réponse concerne la chronique du 15 mai 2003
intitulée : «Pourquoi entend-on sans arrêt des spots de l'industrie
pharmaceutique en ce moment ?» Winckler y fustigeait le LEEM et ses
campagnes de pub qui «ne sont qu'une façade. Pourquoi ? Parce que depuis une
vingtaine d'années l'industrie ne découvre pratiquement plus aucun médicament
majeur». Se basant sur un ouvrage de Philippe Pignarre (lire encadré),
Winckler poursuivait en expliquant comment les laboratoires, pour compenser,
truquaient les résultats cliniques, effectuaient des tests au rabais dans le
tiers-monde, corrompaient la communauté médicale ou encore inventaient des
maladies de toutes pièces... Petit détail : la campagne de pub vilipendée par l'écrivain était diffusée du
12 mai au 21 juin sur Radio Classique, France Info et... France Inter. Radio
France, qui n'est pas autorisée par la loi à diffuser des pubs de marques mais
seulement des réclames collectives ou d'intérêt général, pouvait-elle se
permettre de mécontenter un tel annonceur ? De là à penser que le LEEM,
courroucé, aurait pu menacer Radio France de représailles, il n'y a qu'un pas
que Winckler franchit allègrement : «Dix minutes avant ma chronique et dix
minutes après, les spots du LEEM passaient, explique-t-il, j'étais donc
certainement en porte-à-faux.» D'autant que ce n'est pas la première fois
que l'écrivain attaque les laboratoires pharmaceutiques. En avril déjà, il a
signé une chronique fustigeant une campagne contre le cholestérol parrainée par
Pfizer et en janvier il a sorti un polar qui critique l'industrie du médicament.
Pour Winckler, l'affaire est entendue : «Avec ce droit de réponse, le LEEM a
signé la cause de mon licenciement.» «Petit médecin mégalomane». France Inter a-t-elle subi des pressions
du LEEM pour interrompre la chronique de Winckler ? «Je n'accepte pas qu'un
petit médecin mégalomane insinue des choses pareilles, tonne Jean-Luc Hees.
J'ai 52 ans, je dirige cette antenne depuis cinq ans et, sur mon honneur, je
vous jure que je n'ai pas subi de pressions !» Pourquoi licencier Winckler
alors ? «Une chronique, il faut que ce soit bon neuf fois sur dix et pas une
fois sur deux.» Il aura tout de même fallu près de dix mois à Hees pour s'en
apercevoir... Il dit avoir pris sa décision lors de la guerre en Irak, quand la
chronique de Winckler a été interrompue pendant plusieurs jours : «Il a
piraté le site Internet de France Inter pour écrire des choses du genre :
"Comment ? Ma chronique est supprimée ? Il n'y a pas que la guerre dans la
vie..." Depuis cette époque il y avait un loup dans la bergerie», conclut
Hees. Qui ne décolère pas : «En plus pour la première fois de ma vie, j'ai dû
manger un droit de réponse ! Normalement, je les refuse tous : je vais
systématiquement au procès, mais là notre service juridique m'a dit que ce
n'était pas plaidable, qu'on était dans la diffamation.» Contrairement à la presse, où un journal est quasi systématiquement obligé de
passer un droit de réponse, à la radio et à la télé les règles sont beaucoup
plus strictes. Pour éviter que les antennes soient envahies par des droits de
réponse, il faut que le passage incriminé soit proche de la diffamation,
«susceptible de porter atteinte à l'honneur ou à la réputation», dit la
loi. «Liberté d'expression». Pour Blandine Fauran, directrice des affaires
juridiques du LEEM, c'était bien le cas de la chronique de Winckler du 15 mai :
«Elle contenait des affirmations attentatoires à l'honneur et à la réputation
du LEEM, nous avons donc demandé un droit de réponse qui devait être diffusé
dans un espace similaire à celui de la chronique de départ. ça s'est passé très
simplement, car notre droit de réponse n'a pas été contesté.» Un peu trop
simplement ? Bien sûr, Blandine Fauran nie toute pression ou tout chantage au
retrait de la pub exercé sur France Inter : «Ce n'est clairement pas le cas,
nous sommes respectueux de la liberté d'expression, de toute façon quand nous
avons décidé de diffuser cette campagne sur France Inter, nous savions que
Martin Winckler faisait cette chronique.» Pourquoi attaquer la chronique de
Winckler et pas le livre de Pignarre dont il s'est inspiré ? «C'est la
liberté d'expression de Philippe Pignarre, son point de vue d'auteur, répond
Blandine Fauran, et puis les termes utilisés par Winckler étaient à la fois
plus forts et plus flous que ceux de Pignarre.» Le LEEM respectera-t-il de la même façon la «liberté d'expression» de Martin
Winckler quand sortira à l'automne un recueil de ses chroniques ? Une chose est
sûre, France Inter n'y apposera pas son logo et n'en fera pas la promotion,
comme elle en a l'habitude avec les livres de ses collaborateurs. Amère
pilule. (1) Prix du livre Inter en 1998, pour la Maladie de Sachs...e puissant lobby de
l'industrie pharmaceutique a-t-il obtenu la tête de Martin Winckler, chroniqueur
à France Inter ? Depuis septembre 2002 et jusqu'au 4 juillet, tous les matins,
l'écrivain et médecin (1) assurait une chronique «scientifique au sens large
du terme», comme il la décrit, intitulée Odyssée. Au menu : des
sujets aussi variés que le ronronnement du chat, le fonctionnement du cerveau ou
les médicaments génériques.