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«The Economist» mine
Berlusconi
Le magazine anglais libéral ne lâche pas le chef du gouvernement
italien.
Par Christophe
BOLTANSKI
vendredi 08 août 2003
Londres de notre correspondant Conspiration ? Silvio Berlusconi menace de porter plainte. Les avocats
de son holding, Fininvest, dénoncent une «campagne hostile» visant à
discréditer le gouvernement italien et à entacher la réputation «d'un des
hommes d'affaires les plus brillants et les plus expérimentés de ces vingt-cinq
dernières années». Le leader italien avait déjà entamé des poursuites, en avril 2001, contre le
magazine à la suite d'un long article expliquant qu'il n'était «pas digne de
gouverner». Un quotidien lui appartenant, Il Giornale, mobilisé pour
l'occasion, avait même évoqué une conspiration gauchiste et comparé Bill Emmott,
le directeur de la rédaction de The Economist, à Lénine à cause de sa
barbiche et de son front dégarni. Un rapprochement qui a fait sourire en Grande-Bretagne. Tout à la fois
journal d'information, d'opinion, d'affaires, de référence et d'irrévérence,
The Economist ne se laisse pas facilement enfermer dans une case. Mais
s'il y a bien une étiquette qu'il récuse, c'est celle de socialiste. Ultralibéral libertaire. Fondé en 1843 par un industriel passionné
d'économie politique, James Wilson, ce magazine a toujours défendu la libre
entreprise, les privatisations ou l'orthodoxie monétaire. Il a bien appelé à
voter travailliste aux élections de 2001, pour la première fois en quarante ans,
mais uniquement parce que Tony Blair était, à ses yeux, «le seul conservateur
crédible sur le marché». Ultralibéral, tendance libertaire, The Economist prône la
dépénalisation de toutes les drogues, même les plus dures, réclame la fin de la
monarchie au nom de l'avancement au mérite, et continue d'approuver le recours à
la force contre Saddam Hussein. Dans les années 80, il a soutenu Margaret
Thatcher dans sa croisade contre «l'Etat» et «les concentrations de
muscles antidémocratiques tels que les syndicats». Plus récemment, il
a pris la défense des marques contre Naomi Klein et son livre No Logo,
bible des altermondialistes. Son humour très anglais, ses unes volontiers provocantes, son exhaustivité,
le sérieux et la concision de ses articles séduisent un public croissant. Les
ventes du magazine s'élevaient à 881 259 exemplaires en 2002, contre à peine 300
000 au milieu des années 80. Une belle machine à sous qui a généré un profit
avant impôt de 20,9 millions de livres (42 millions d'euros), lors de son
dernier exercice (avril-mars 2003). Malgré son ancrage londonien, il réalise la
moitié de ses ventes aux Etats-Unis. Un lectorat influent et très huppé : un
lecteur sur trois serait millionnaire. «Avant, je pensais, maintenant je lis
The Economist», a déclaré un jour un gourou de Wall Street. «Notre principale force c'est notre indépendance», clame l'un de ses
journalistes, John Grimond. Le groupe Economist, qui possède, en outre, une
lettre confidentielle (Economist Intelligence Unit), n'est pas coté en
Bourse. Le Financial Times (groupe Pearson) possède 50 % de ses
parts, mais, statutairement, ne peut pas acquérir davantage d'actions, ni
exercer un contrôle sur le journal. Le directeur de la rédaction est nommé par
un «trustee», un conseil composé de personnalités indépendantes qui n'ont
pas d'intérêt financier dans le groupe. Un éditorialiste américain de renom, Andrew Sulivan, a accusé récemment
The Economist, ce temple du laisser-faire, d'être «une entreprise
collectiviste» dirigée par un soviet d'«old boys» tous issus du même
collège d'Oxford (Magdalene). L'individualisme, exalté dans les colonnes, est en
effet proscrit à l'intérieur. Bill Emmott conduit une armée des ombres. Ses
journalistes ne signent jamais leur copie. Un anonymat parfois durement ressenti
par les intéressés mais gage de qualité, selon John Grimond : «Nous
n'hésitons pas à partager nos informations, nos sources. Parce que notre voix
est collégiale, elle a plus de consistance.» Finalement, la comparaison avec
Lénine était peut-être pertinente .
he Economist aurait pu
opter pour une de ses formules aussi concises qu'assassines. Lors de sa seconde
attaque en deux ans contre le Premier ministre italien, l'hebdomadaire anglais a
préféré la sobriété : un «Cher M. Berlusconi» barre la couverture de son
numéro du 2 août. Dans une lettre ouverte, son éditorialiste le met au défi de
répondre à un questionnaire digne d'un juge d'instruction. Eléments à l'appui,
il l'accuse de corruption, de trafic d'influence, de détourner le cours de la
justice et bien d'autres méfaits.