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septembre sera créé un Observatoire français des médias. Son
ambition : devenir un «cinquième pouvoir» face à un «quatrième
pouvoir» (les médias, donc) accusé de mettre ses intérêts
particuliers au-dessus de l'intérêt général. Cette structure a
été présentée vendredi à Perpignan par un de ses initiateurs,
Bernard Cassen (par ailleurs directeur général du Monde
diplomatique et président d'honneur d'Attac), dans le
cadre du festival de photojournalisme Visa pour l'image.
Idéologie néolibérale. Cet observatoire serait la première
retombée concrète de réflexions menées lors des deux derniers
forums sociaux de Porto Alegre, notamment à l'initiative du
Monde diplo et de l'agence de presse indépendante IPS
(basée à Rome). En bref : le mouvement altermondialiste
reproche aux «médias dominants», contrôlés par des
«groupes puissants», de ne rendre compte du monde qu'à
travers le prisme de «l'idéologie néolibérale» et donc
de ne pas donner un reflet fidèle de la société (1). D'où
l'idée de «placer l'information sous surveillance» dans
chaque pays : une quinzaine d'observatoires locaux seraient
actuellement en gestation un peu partout dans le monde, la
structure française constituant une sorte de matrice. Ils
regrouperaient, par tiers, des journalistes, des
universitaires et des usagers de l'information. En France,
Cassen annonce la participation d'un «grand syndicat de
journalistes», de chercheurs du CNRS et de plusieurs
associations, dont l'Acrimed (Action-Critique-Médias, animée
par Henri Maler).
La critique des médias s'est fortement développée dans le
sillage d'Internet et de l'altermondialisme. L'objectif de
l'observatoire français est apparemment de lui donner une plus
forte légitimité et de la doter de moyens d'action concrets :
campagnes, manifs et décryptage systématique du traitement de
l'information. Le discours est musclé et pas toujours
follement nuancé : «L'absolue liberté des médias, prônée
par les propriétaires des groupes de communication, est
inconcevable car elle ne pourrait se réaliser qu'aux dépens de
la liberté de tous les autres.» Et Cassen de résumer :
«Ce qu'Attac a fait contre la mondialisation libérale,
l'observatoire va le faire contre les méfaits et les ravages
du système médiatique.»
Par avance, l'accusation de se poser en gendarme des médias
est réfutée : «Nous nous attendons à un tir de barrage.
Cette accusation sera servie comme prétexte pour s'opposer aux
objectifs de l'association», rétorque Cassen. Henri
Maler, d'Acrimed, répond pour sa part : «Pourquoi les
acteurs sociaux n'observeraient-ils pas les médias en train de
les observer ?» Cet angle-là est plus original, et rejoint
des préoccupations exprimées lors d'autres débats organisés
par Visa pour l'image. En résumé, on assisterait à une révolte
de l'«observé». C'est déjà vrai dans la photo : «Il
est de plus en plus rare de tomber sur des gens tout à fait
innocents de l'image qu'ils donnent, témoigne le
rapporteur de guerre Patrick Chauvel. Les combattants
perçoivent bien la fonction de la photo, ils en sont
conscients. Du coup, on a désormais l'impression de
photographier des combattants publics qui, demain,
distribueront peut-être eux-mêmes leurs propres
images.»
Capacité critique. Lors du même débat, jeudi, le chercheur
Dominique Wolton constatait : «On a sous-estimé la capacité
critique du récepteur (des textes et des images).»
L'information tendrait à devenir une partie de ping-pong entre
émetteurs et récepteurs, chacun en connaissant de mieux en
mieux les règles. Par ailleurs, soulignait Wolton, l'in
formation est aussi un marché (assez peu lucratif en ce qui
concerne l'info généraliste) : chacun est libre de s'orienter
vers le média qui lui semble le mieux refléter la réalité.
Dès lors, le concept d'observatoire des médias n'est-il pas
en retard d'une bataille ? Bernard Cassen le reconnaît
lui-même : «Le pouvoir de prescription des médias est en
chute libre. 95 % d'entre eux appelaient hier à voter pour
Maastricht, et à peine plus de la moitié des Français l'ont
fait.» Mais le problème serait ailleurs : «Les seuls
juges des médias aujourd'hui, ce sont les médias», dit le
patron du Monde diplomatique, semblant oublier les
lecteurs. Mais Henri Maler précise : «Les tenanciers des
médias dominants ont le monopole de l'information sur
l'information et les conditions de sa production.» Cassen
conclut : «Il faut développer un contrôle éthique des
médias.» S'il s'agit de tenir un discours moral sur la
presse, la voie est libre.
(1) L'argumentation in extenso est sur
http://acrimed.samizdat.net/article.php3?id_article=862