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Evénement
Les Etats-Unis dans l'ère de la 
paranoïa 
Les excès du «Patriot Act», loi antiterroriste de Bush, pèsent sur la 
société américaine. 
Par Pascal 
RICHE
jeudi 11 septembre 2003 
Washington de notre correspondant Voté dans l'urgence quarante-cinq jours après la tragédie du World Trade 
Center, le Patriot Act autorise par exemple les agents du FBI à opérer 
des recherches secrètes au domicile de personnes suspectées de terrorisme, à 
multiplier les écoutes téléphoniques sur la base d'un seul mandat judiciaire, ou 
encore à consulter les fichiers des bibliothèques, des banques, des universités 
et même des cabinets médicaux. «Le gouvernement peut aujourd'hui entrer chez 
vous, télécharger le contenu de votre ordinateur, fouiller dans vos affaires 
personnelles, parfois emporter des choses, et ne pas vous dire qu'il vous a 
rendu visite», résume-t-on à l'Aclu (American Civil Liberties 
Union). Espionnés. Face à cette situation, les résistances ont été faibles. 
Mais elles se renforcent peu à peu. Plus de 150 communautés, y compris quelques 
grandes villes et trois Etats, ont voté des résolutions pour dénoncer le 
Patriot Act. Le Congrès exige un premier bilan concret de son 
application. Un représentant (républicain) de l'Idaho a introduit en juillet une 
proposition pour l'amender, qu'il a réussi à faire voter par la chambre de cet 
Etat du Nord-Ouest. Face à cette grogne croissante, qui touche tant les milieux 
progressistes que les conservateurs, John Ashcroft est contraint de défendre son 
bébé : «Notre stratégie marche. Nos outils sont efficaces. Nous gagnons la 
guerre contre le terrorisme», a-t-il répété pendant sa tournée. Selon un 
sondage Louis-Harris, l'attorney general chute dans le coeur des 
Américains : son taux d'opinions favorables est tombé de 65 % en décembre 2001 à 
48 % en août 2003. Mais Ashcroft n'en rêve pas moins de muscler encore plus son 
Patriot Act, qu'il juge «insuffisant». Hier, Bush a annoncé pour 
un renforcement de cette loi. La plupart des Américains ne sentent pas les conséquences de ces mesures. En 
revanche, les étrangers (1) ou les Américains musulmans ont souvent l'impression 
qu'ils sont espionnés, voire harcelés. «On a été cambriolés, entre 
guillemets, six mois après le 11 septembre, et on ne peut s'empêcher de penser 
que c'est un travail de professionnel», témoigne Isabelle Lajmi (2), une 
Française de la banlieue de Washington, mariée à un Tunisien et mère de trois 
fils âgés de 18 à 24 ans. Les cambrioleurs n'ont presque rien emporté (un 
appareil photo et un Discman), «alors qu'ils ont pris le temps de crocheter 
soigneusement la porte, de fouiller soigneusement nos papiers et nos vêtements». 
Rien ne permet à Isabelle d'être certaine qu'il s'agit d'une visite 
policière. Mais comme le Patriot Act autorise ce type de visite, rien ne 
permet non plus de l'exclure. D'où le sentiment désagréable du soupçon 
permanent. Fouilles. Sentiment partagé par de nombreux Arabes, qui s'étonnent 
parfois de voir une voiture stationnée devant chez eux, où se méfient de leurs 
conversations téléphoniques. L'an dernier, deux des fils d'Isabelle étudiaient 
au Canada. Pour eux, les contrôles à la frontière étaient «mortels», 
raconte-t-elle : «L'un d'entre eux a été fouillé dans la cabine de l'avion, 
il a dû écarter les bras et retirer sa ceinture devant les autres 
passagers.» Mais pour le reste, la vie de la famille n'a pas changé. Le 11 
septembre n'a ralenti ni l'obtention de la «carte verte» (permis de résidence) 
par les trois fils, ni l'inscription à l'université de l'aîné : «Ce sont les 
bons côtés de la société américaine», reconnaît Isabelle. L'autre grande préoccupation des défenseurs des libertés publiques concerne 
les fouilles de fichiers et d'ordinateurs dans les entreprises, universités ou 
centres culturels. L'Association des bibliothécaires américains est entrée en 
campagne contre le Patriot Act. Sur le terrain, les bibliothécaires 
résistent comme ils le peuvent. A Skokie, une ville multiethnique au nord de 
Chicago, la directrice de la bibliothèque publique, Carolyn Anthony, 53 ans, a 
fait modifier le système informatique pour limiter l'information archivée sur 
les usagers au strict minimum. Elle a multiplié les écriteaux pour prévenir ses 
clients que des agents fédéraux peuvent venir secrètement enquêter sur les 
emprunts de livres. «S'il y a tant de bibliothèques publiques dans ce pays, 
c'est parce que des gens, il y a longtemps, pensaient qu'il était important pour 
la démocratie d'avoir un accès libre à l'information, sans craindre que 
quelqu'un lise par-dessus son épaule», explique Carolyn Anthony. La police se rebiffe. Les autorités policières locales, parfois, 
entrent elles aussi en résistance. C'est le cas de Ron Louie, 57 ans, chef de la 
police de Hillsboro, dans l'Oregon. L'an dernier, le département de la Justice 
avait demandé aux polices locales d'assister les agents fédéraux dans 
l'interrogatoire de milliers de jeunes musulmans de sexe masculin. Ron Louie a 
tiqué : «Les lois de l'Oregon interdisent aux policiers locaux de rechercher 
des informations politiques. Par ailleurs, nous n'avons pas le droit de nous 
occuper du statut des immigrés.» Il a donc annoncé que si la police fédérale 
demandait l'aide de ses services, il consulterait préalablement le responsable 
juridique de Hillsboro, afin de s'assurer «que la demande respecte les lois 
de l'Oregon et les droits constitutionnels». Des dizaines d'autres 
responsables de polices locales ont fait de même. «La demande de John 
Ashcroft nous a beaucoup inquiétés, car nous ne voulons pas saper nos relations 
avec la communauté musulmane. Ce n'est pas aux policiers locaux de faire ce type 
de travail», dit Ron Louie. Arrestations. Les excès de la lutte contre le terrorisme vont parfois 
très loin. Le mois dernier, le Californien Sherman Austin, 20 ans, a été 
condamné à un an de prison ferme pour «distribution d'informations relatives 
à des explosifs, des engins destructeurs et des armes de destruction 
massive». Il avait hébergé sur son site anarchiste (raisethefist.com) un 
tract donnant le mode de fabrication des cocktails Molotov. Il a été arrêté au 
début de l'année par 25 agents fédéraux équipés d'armes automatiques, qui ont 
fouillé la maison familiale. Sherman a plaidé coupable : s'il ne l'avait pas 
fait, il aurait pu être condamné à vingt ans de prison, au terme des nouvelles 
dispositions antiterroristes. (1) Surtout les irréguliers : après le 11 septembre, 762 d'entre eux ont été 
détenus secrètement avant d'être expulsés ou régularisés. Une cour d'appel, en 
juillet, a confirmé la légalité de cette procédure. Un ou deux seraient toujours 
détenus. (2) A sa demande, nous avons modifié son nom.
ravant parfois les huées des 
manifestants, l'attorney general (ministre de la Justice) John Ashcroft a 
sillonné les Etats-Unis depuis août, allant d'une ville à l'autre, avec pour 
ambition de calmer la grogne croissante contre sa politique en général et le 
Patriot Act  loi de renforcement des mesures de sécurité  en 
particulier. Ce road show s'est achevé mardi à New York. Deux ans après 
le 11 septembre, les Américains ont découvert que les outils antiterroristes 
dont ils se sont dotés ont sérieusement érodé leurs libertés publiques.