PRESSE

Daniel Schneidermann
licencié du Monde

Daniel Schneidermann, chroniqueur au supplément radio-télé du Monde, pourrait être amené à quitter prochainement le quotidien : dans son dernier livre, intitulé "Le cauchemar médiatique", à paraître le 2 octobre chez Denoël, il s'en prend en effet, avec vigueur, à la direction du journal.


Daniel Schneidermann et la Une du Monde
 
 

onvoqué lundi matin 30 septembre par la direction du journal pour un entretien préalable à licenciement, Daniel Schneidermann, chroniqueur au supplément Radio-Télévision du Monde, devrait quitter très prochainement le quotidien. Motif de la direction : faute grave. La direction utilise l'article 3b de la convention collective des journalistes qui veut qu'un journaliste ne doit "en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l'entreprise de presse dans laquelle il travaille".
La décision serait liée à certains passages de son prochain livre, "Le Cauchemar médiatique", qui sort le 2 octobre chez Denoël, et où il consacre un chapitre entier à l'affaire de "La Face cachée du Monde" et à ses rapports avec la direction du journal depuis la sortie du livre de Pierre Péan et Philippe Cohen.
La direction du Monde n'a pas souhaité, lundi, commenter ces informations.
A la sortie du livre de Péan et Cohen, en mars dernier, Daniel Schneidermann avait été l’un des seuls journalistes maison, avec le dessinateur Plantu, à demander des explications à ses dirigeants (dans une chronique du Monde Radio-Télé d’abord puis dans l’émission de France Inter "Tam, Tam, etc..." où il dénonçait notamment la censure dont le médiateur du journal, Robert Solé, avait été victime à propos de l’affaire).
Daniel Schneidermann, par ailleurs animateur de l’émission de France-5 "Arrêt sur images", revient aujourd'hui à la charge dans "Le Cauchemar médiatique", publié le 2 octobre aux éditions Denoël.
Les trois-quarts du livre consistent en une longue analyse sur les derniers emballements de la presse : le traitement délirant de l‘insécurité, la rumeur persistante d’immenses réseaux pédophiles, l’incroyable supercherie de Thierry Meyssan sur les attentats du 11 septembre, la fascination hallucinante pour le Loft etc.

Ouvrir "ses bouches, ses comptes et ses archives"

Il faut en fait attendre la fin du livre pour lire son interprétation d’une autre "folie médiatique", "l’affaire du Monde", allumée par le livre de Péan-Cohen et alimentée, comme toujours, par une série de mensonges et de non-dits. "Je pensais que, plutôt que de répondre comme un clan italien… on devait répondre comme un journal dans une démocratie développée au 21e siècle, en ouvrant ses bouches, ses comptes et ses archives", écrit Daniel Schneidermann. Simplement savoir : "Les affirmations de Péan et Cohen sont-elle vraies ou non ?" Edwy Plenel, ancien trotskiste, lui a donné pour seule réponse : "Il faut savoir si tu es dedans ou dehors, Schneidermann" ? "Tout droit issue, commente l'auteur du fameux " Choisis ton camp camarade", des plus beau temps de l'époque stalinienne.
Daniel Schneidermann ne se résout ni à se taire, ni à quitter le quotidien qui a "publié mon premier papier en 1979". Du coup, le journaliste se livre à un bel exercice d’équilibriste. Oui, la "Face cachée du Monde" accumule les erreurs, les approximations, les délires sans fondements. Colombani est "brutal certes, mais aussi attentionné, cynique peut-être mais aussi sincèrement attentif aux bonheurs et aux malheurs de ses collaborateurs". Plenel a de nombreuses qualités : sa curiosité, sa réactivité son énergie. " Beaucoup lui vouent une réelle admiration".

"Double-casquette"

Mais, selon lui, Péan et Cohen ont aussi vu juste. Daniel Schneidermann décrit, lui aussi, ce qu'il estime être la tendance autoritaire et paranoïaque de la direction, le malaise d’une rédaction souvent infantilisée, les excès de l’investigation fondée sur des PV, les dérives marketing du journal, le refus de reconnaître les dérapages, l’absence de transparence sur les comptes, les problèmes posées par la double casquette de Jean-Marie Colombani. "Le jour de la mort de Lagardère, quel Colombani signe l’article "Hommage à Jean-Luc le fidèle»,s’interroge t-il " le journaliste ou le directeur de publication du Monde ?". Daniel Schneidermann voudrait que le débat interne puisse enfin avoir lieu, que les langues se délient. Appel aux confrères de la rédaction, courages camarades ! : "nous devons nous souvenir qu’on est dans une entreprise en 2003 avec une liberté d’expression protégée par un code du travail, des syndicats…". Et à la question "dedans ou dehors ?" , il répond "les deux, si possible chef".
Ce n'était visiblement pas possible. J.-P.N.O.

© Le Nouvel Observateur 1999/2000