La directive européenne de renforcement du
copyright avance malgré les critiques
Réactions en chaîne contre les amendements
de Mme Fourtou, qui veut "terroriser" les "pirates"
Proposé par la Commission européenne en janvier 2003,
le texte de la directive IP/03/144 destinée à "dissuader les contrefacteurs et les pirates" a
soulevé une première vague de
protestations de la part d'associations, de juristes et de
spécialistes de l'informatique. Rendus publics en septembre dernier,
les amendements à ce texte déposés par Janelly Fourtou,
parlementaire chargée de mener les débats concernant cette
directive, ont suscité une nouvelle volée de critiques. Des
industriels, directement visés par cette future législation qui
conçoit la propriété intellectuelle de manière très extensive, se
sont alors joints au front des opposants. Examinées au Parlement
européen le 4 novembre 2003, les propositions de madame Fourtou ont
encore choqué de nombreux eurodéputés. Ceux-ci ont jusqu'au 6
novembre 2003 pour déposer leurs amendements au texte, dont la
version définitive sera établie le 27 novembre prochain.
La première version de la directive européenne sur la
propriété intellectuelle a suscité un grand nombre de critiques. La
plupart concernaient un point précis : la valeur juridique des
systèmes de protection et d'authentification techniques, comme il en
existe sur les CD de musique. Le texte prévoyait en effet des
sanctions pénales pour toute violation de ces systèmes à des fins
commerciales.
Cette mesure a été dénoncée d'une part comme un frein
à la fabrication de produits compatibles et, d'autre part, comme une
entrave à la liberté de la "copie privée", une
exception au droit qui s'applique notamment aux logiciels et aux CD.
Selon le New York Times, même des entreprises comme
Microsoft ou Nokia ont vu dans cette loi "une entrave
à l'innovation technique".
De nombreux parlementaires ont souhaité modifier ce
texte. Parmi les 199 amendements déposés, ceux de Janelly Fourtou,
membre du Parti populaire européen, ont provoqué un tollé.
La délation, un univers
sale
L'épouse de Jean-René Fourtou, PDG de Vivendi
Universal, propose notamment de sanctionner toute violation des
systèmes de protection, même si celles-ci ne sont pas effectuées
dans un but commercial. Si cet amendement était inscrit dans le
texte de la future directive, les mineurs qui téléchargent, sur
l'internet, des fichiers musicaux soumis à des droits d'auteur,
seraient passibles de peines allant jusqu'à l'emprisonnement.
Parmi les voix qui se sont élevées pour dénoncer cette
mesure, celle de l'European Net-Alliance a été
relayée hier par le Financial Times. Le journal a
publié
des extraits de la lettre envoyée par cette coalition qui réunit
notamment Deutsche Telekom, Vodafone ou British Telecom dans ses
rangs et qui dénonce "les mesures disproportionnées et
inadéquates concernant tous les types d'infractions à la propriété
intellectuelle" prévues par les amendements Fourtou.
Parmi les amendements les plus polémiques figure celui
qui propose d'autoriser le recours à des témoins anonymes pour
dénoncer les violations du droit d'auteur. Ce point a fait bondir
Ross Anderson, l'un des plus virulents opposants à la directive,
professeur d'informatique à l'université de Cambridge. "La loi anglaise n'autorise pas l'intervention des
témoins anonymes dans les affaires de terrorisme. Si les enfants qui
échangent de la musique sont traités plus durement que les
terroristes, c'est que quelque chose ne tourne vraiment pas
rond", condamne le spécialiste.
Anderson, membre de l'influente ONG Foundation for Internet Policy Research,
ajoute : "Il est choquant que le Parlement
européen ait confié la tâche de rapporteur d'une telle loi à une
femme mariée au dirigeant d'une maison de disques. Au Royaume-Uni,
un tel conflit d'intérêt aurait été considéré comme profondément
malsain."
Quand il n'y a pas de
crime...
Le 4 novembre 2003, lors de l'examen de ces
amendements au Parlement européen, différentes propositions ont été
émises. Des parlementaires ont préconisé la réduction du champ
d'application de la directive à quelques domaines précis couverts
par la propriétété intellectuelle, ou la limitation des sanctions
aux infractions commises uniquement pour des motifs commerciaux.
C'est notamment ce qu'a proposé Willi Rothney,
parlementaire allemand membre du Parti socialiste européen, qui a
rappelé que de nombreux pays, comme l'Allemagne, disposent déjà de
lois punissant ces infractions. "S'il n'y a pas de but
commercial, il n'y a pas de crime", a-t-il souligné.
Le 27 novembre 2003, les membres de la Commission
juridique du Parlement européen voteront une version définitive du
texte. Version qui sera soumise, le 15 décembre 2003, à
l'approbation des parlementaires réunis en session
plénière.