Société

La genèse de l'amendement Garraud ressemble à celle de la loi «anti-Perruche».
Interruption involontaire de grossesse: un étrange lobby

Par Blandine GROSJEAN
samedi 29 novembre 2003

eudi, quelques minutes après le vote à l'Assemblée de l'amendement Garraud créant le délit d'interruption involontaire de grossesse (IIG), un groupement baptisé «les Mères orphelines» diffusait un communiqué : «L'adoption de l'amendement Garraud apporte du baume au coeur des parents privés de leur enfant, dont la douleur était jusqu'à présent tenue pour quantité négligeable par le droit. Il apporte un remède à une poignante injustice et aidera les familles à faire enfin le deuil de leurs enfants.» «Les Mères orphelines» se présentent comme un groupement «informel» de femmes ayant perdu leur bébé lorsqu'elles étaient enceintes. C'est sans doute plus compliqué.

A y regarder de plus près, la genèse de l'amendement de l'UMP Jean-Paul Garraud ressemble fort à celle de la loi «anti-Perruche». Cette loi avait été votée par les parlementaires pour s'opposer à la Cour de cassation qui reconnaissait un préjudice dans le fait d'être né et instaurait, selon ses détracteurs, un «droit à être avorté». Pour l'IIG comme pour l'affaire Perruche, ce sont des professeurs de droit catholiques qui ont mené la fronde contre la Cour de cassation.

Trois fois, dans des affaires où des femmes enceintes avaient perdu leur bébé suite à des négligences médicales ou à des accidents de voiture, la Haute Cour a dit que l'enfant à naître n'était pas une personne. On ne pouvait invoquer d'homicide involontaire. Comme dans l'histoire Perruche, ces professeurs de droit ne se sont pas contentés d'allumer la Cour de cassation dans des revues juridiques, ils ont «conseillé» et instrumentalisé des associations de parents. Le «Collectif contre l'handiphobie», dans l'affaire Perruche. «Les Mères orphelines» pour l'IIG.

«Les Mères orphelines» sont directement nées de ces juristes qui ont contacté les avocats des trois mères ayant perdu devant la Cour de cassation, comme nous l'a expliqué Cécile Lemoine, une de leurs porte-parole. Dans ce groupe «informel» qui a fait du lobbying auprès des parlementaires, il n'y aurait que les trois mères du départ et quelques sympathisants. Les juristes qui les «conseillent» seraient ceux qui en sous-main ont rédigé une proposition de loi déposée en février 2002 par des députés peu progressistes. Leur texte visait à créer «une protection pénale de l'enfant à naître» ­ et pas seulement de la femme enceinte comme pour Garraud ­ «contre les atteintes involontaires à la vie», afin de «reconnaître la dimension éthique et affective dont est porteur le futur enfant». Ces professeurs ont-ils fait profiter Garraud ­ magistrat ­ de leurs lumières ?

Même s'il se défend de vouloir porter atteinte à l'IVG, Jean-Paul Garraud a été reconnu comme un allié par les mouvements antiavortement. «Son amendement est une brèche, au moins psychologique, dans le mur de la culture de mort» estime Laissez-les vivre. Quand le député PS Jean-Marie Le Guen dénonce dans cet amendement «un travail de contournement sur des textes annexes pour dessiner petit à petit une silhouette juridique au foetus», une stratégie «plus subtile qu'une remise en cause frontale du droit à l'IVG», il n'a peut-être pas la berlue. Vendredi, le garde des Sceaux Dominique Perben s'est indigné des commentaires «excessifs et partisans» suscités par ce texte qu'il a soutenu. Une élue de son camp, Françoise de Panafieu, a juré qu'elle n'accepterait «jamais une telle mesure». Le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, a promis aux médecins que leurs «conditions d'exercice ne seraient en aucune manière affectées».

 

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