ne soixantaine
de militants antipub comparaissent aujourd'hui devant le
tribunal de Paris. Interpellés lors de quatre opérations de
barbouillage des affiches publicitaires du métro parisien, ils
sont poursuivis par la RATP, qui leur réclame près d'1 million
d'euros pour dégradation (lire ci-contre).
A l'origine du mouvement, un simple appel lancé sur
Internet, en octobre dernier, appelant au «recouvrement
d'espaces publicitaires» dans le métro parisien. Le
manifeste dénonce pêle-mêle «la marchandisation du
monde», «la dégradation généralisée de la protection
sociale», «la réforme des retraites», «l'école
livrée aux marchands», «la médecine à deux
vitesses». Vaste programme, émanant d'un mystérieux
collectif composé d'«enseignants, chômeurs, chercheurs,
intermittents, personnel de santé, archéologues, précaires,
fonctionnaires, étudiants, architectes, etc.». Ouf !
Surprise. Rien de nouveau sous le soleil,
affirme-t-on à l'époque, en référence aux nombreux mouvements
antipublicitaires qui émaillent déjà la galaxie des
altermondialistes : Résistance à l'agression publicitaire
(RAP), Casseurs de pub, La Meute ou encore Paysages de France.
Et pourtant... La première opération commando dans les
couloirs du métro, le 17 octobre, crée la surprise. Plusieurs
centaines d'anonymes, qui, pour la plupart, ne se connaissent
pas et ne militent au sein d'aucune organisation
contestataire, se retrouvent «spontanément» dans les
couloirs du métro et barbouillent des dizaines de panneaux.
Equipés de rouleaux de peinture, de bombes et de marqueurs,
ils recouvrent les affiches de croix noires et de slogans
détournés : «La pub tue», «la pub nuit à votre
entourage». Et prennent de court la «police» de la RATP...
et leurs «collègues» publiphobes qui n'ont pas vu venir cette
nouvelle génération.
Malgré les interpellations, les opérations se succèdent,
gagnant des villes de province, dont Montpellier ou Marseille.
Selon les antipub, une quinzaine de villes de France et
d'Europe préparent aujourd'hui des actions. «On a sollicité
les Italiens, explique Ahmed Meguini, un militant de 26
ans. Là-bas, ils sont déments. A quatre avec trois bouts de
ficelle, ils peuvent bloquer Rome pendant toute une
journée.»
Pas de chefs. La recette de leur succès ? Une
apparente absence d'organisation. Au départ, un petit groupe
de contestataires et un webmaster. Quelques notions de droit
prodiguées par une assistante juridique. Depuis, on
«organise des actions cohérentes sur le fond, sans réelle
concertation sur la forme», ajoute Ahmed Meguini. Les
antipub n'ont pas de chef. Tout au plus des «référents»,
chargés de coordonner les petits groupes qui oeuvrent dans le
métro, et qui changent d'une opération à l'autre. «C'est ce
qui nous différencie d'autres mouvements contestataires comme
Attac, dont la lourdeur nuit au message et à la rapidité
d'action», affirme une militante. Jean-Claude Oubbadia,
membre et administrateur de RAP, autre mouvement antipub,
confirme : «Ils ont un vrai sens communautaire tout en
gardant leur autonomie de pensée. C'est efficace. Nous, on
s'engueule avant de s'engager dans quelque chose d'actif. Eux,
ils foncent.»
Légalistes. Ces autres mouvements observent de près
la nouvelle génération dont les motivations et les méthodes
ont évolué. Arrivées en France au début des années 90, ces
associations agissent le plus souvent dans un cadre légal.
C'est le cas de RAP, fondée en 1992 par le plus célèbre des
militants antipub, Yvan Gradis, en collaboration avec François
Brune, l'auteur du Bonheur conforme, et René Macaire,
penseur catholique adepte de la non-violence. Leurs objectifs
: «aider à la prise de conscience des procédés
publicitaires» et «promouvoir le vote de lois
protégeant les libertés menacées par ces procédés, au moyen
éventuel d'actions de résistance individuelle ou
collective». Depuis dix ans, l'association, qui compte
quelque 600 adhérents, s'est fait connaître à travers des
opérations coup de poing : appel à remettre dans les boîtes
aux lettres de la Poste les prospectus distribués par les
facteurs ou encore sit-in pacifiques. Cependant, contrairement
aux antipub du métro, qui «assumeront devant les juges leur
démarche illégale mais non-violente», le RAP refuse de
revendiquer en son nom toute action hors la loi.
Autre organisation légaliste, Paysages de France, créée en
1992 à Grenoble. En douze ans, l'association a fait
disparaître plus d'un millier de panneaux illégaux des bords
des routes, n'hésitant pas à traîner les autorités devant les
tribunaux pour obtenir gain de cause. Toutefois, c'est vers la
fin des années 90 que ces mouvements connaissent leur
véritable essor et se radicalisent. En 1999, un groupe de
Lyonnais crée le magazine Casseurs de pub, s'inspirant
d'une revue canadienne, Adbusters. Plus radicaux, ils
ne se contentent plus de critiquer la pub, mais combattent un
système, appelant notamment à s'abstenir de regarder la télé
ou à se passer de la voiture.
Mondialisation. Selon Arnaud Gonzague (1), leur
«avènement est une conséquence du mouvement social de 1995,
qui a également marqué l'avènement d'un courant
antimondialisation (Attac, la Confédération paysanne) ou le
retour en force du féminisme (la Meute, qui s'oppose aux
pubs sexistes, ndlr)». La dénonciation d'un
«totalitarisme» du système publicitaire «s'érige
progressivement en critique du pouvoir des
multinationales». C'est également la thèse de Naomi Klein,
dont le livre No logo est la référence des antipub.
Bref, ces militants nouvelle génération font de la pub un
symbole à abattre, celui d'une mondialisation jugée sauvage.
«On n'attaque pas la pub par phénomène de mode, conclut
l'un d'eux, mais parce qu'elle est le carburant de la
marchandisation du monde.»
(1) In Qui veut la peau de la pub, Mango document,
2002.