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Espagne : Attali manie mieux la gomme que le crayon
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FUTUR ANTÉRIEUR
Espagne : Attali manie mieux la gomme que le crayonMise en ligne : 17 mars 2004
par Stéphane Leroy
Dans sa chronique de L'Express, Jacques Attali glose sur la victoire de... la droite espagnole. Un loupé « pujadien » discrètement corrigé sur le site web de l'hebdomadaire.
L'annonce erronée d'un retrait d'Alain Juppé, par le présentateur du journal de 20 heures sur France 2, David Pujadas, a fait grand bruit. On aurait pu revenir près de 80 ans en arrière, lorsque le quotidien La Presse publia le 9 mai 1927 une édition spéciale.. Elle racontait, avec force détails, l'arrivée triomphale à New York des aviateurs Nungesser et Coli après leur traversée de l'Atlantique. Un grand moment de presse : le journal dut démentir dès le lendemain. En fait, les deux malheureux avaient disparu corps et biens, et le quotidien, ridiculisé, disparut peu après.
Ces souvenirs affleurent un peu quand on lit, dans la dernière livraison de L'Express, la chronique de Jacques Attali. L'ancien conseiller de François Mitterrand y livre chaque semaine ses réflexions, aussi variées que son abondante bibliographie, ses sources et ses activités [1] Dans le numéro du lundi 15 mars 2004, cette chronique, intitulée L'Europe à droite toute, analyse le passage d'une Europe « presque toute entière sociale-démocrate » il y a cinq ans et maintenant quasi entièrement à droite. Cela en s'appuyant sur... l'exemple espagnol - le numéro daté du 15 est donc sorti le lendemain de l'élection du 14 mars qui a vu les socialistes espagnols battre, contre toute attente, le parti conservateur :
« Aujourd'hui, ne sont plus à gauche que les gouvernements suédois, britannique et allemand. (...) Après la Grèce, qui vient de passer à droite, après l'Espagne, on verra sans doute le Luxembourg conforter très largement sa majorité libérale. » L'omniscient essayiste explique que les nombreuses qualités de modernisme et de renouvellement des partis de droite en Europe leur ont valu cette réussite. « Ces partis sont aussi mieux en phase avec les aspirations modernes à la réussite individuelle, à la liberté ; ils sont aussi mieux à même de tenir de façon plausible un discours favorable à la baisse des impôts, à la réduction de la bureaucratie, à l'élimination des contrôles. (…) Ils sont donc, au total, plus que la social-démocratie, en prise directe avec les enjeux actuels de la mondialisation. Après l'attentat de Madrid, la victoire de la droite en Espagne le confirme. »
On admirera le sentiment d'infaillibilité de l'auteur, qui a fait un pari d'avant-bouclage sur le résultat des élections espagnoles, et a perdu. Mais après ce loupé, un examen ultérieur de la version en ligne de ce texte, objet d'une réécriture discrète sur le site web de L'Express, ouvre des perspectives. On y trouve bien cette chronique, mais à ceci près que les deux mentions d'une victoire de la droite espagnole en ont été effacées :
« Après la Grèce, qui vient de passer à droite, on verra sans doute le Luxembourg conforter très largement sa majorité libérale. » De même la phrase « Après l'attentat de Madrid, la victoire de la droite en Espagne le confirme » a disparu dans les limbes électroniques.
Voilà un avantage décisif du Net : écrivez sans vérifier vos assertions, spéculez, émettez des hypothèses audacieuses ; vous avez eu la main heureuse, tout va bien. Vous vous êtes trompé : un coup de gomme virtuelle, et vous avez à nouveau raison. Brillante démonstration. Dommage que notre trop modeste auteur ne la prolonge pas sur son propre site où ne figurait le 17 mars que sa précédente chronique du 8 mars.
Stéphane Leroy
Stéphane Leroy
[1] En relation par son agence conseil avec Pierre Falcone, principal suspect d'une affaire de trafic d'armes vers l'Angola, Jacques Attali a été mis en examen dans ce dossier en 2001.Une autre affaire liée à cette agence conseil intéresse des enquêteurs : Le Parisien du 6 mars 2004 affirme que Jacques Attali, interrogé comme témoin par la brigade financière en avril 2003, est soupçonné par un magistrat de Moscou « d'avoir participé à une opération de financement occulte de la municipalité de Saint-Pétersbourg » de deux millions de dollars. Ces soupçons seraient relayés par une récente note de synthèse de la police française à laquelle le quotidien semble avoir eu accès.