![]() |
Santé. L'ONU
s'attaque à la fistule obstétricale, infirmité qui génère l'incontinence et la
mise au ban de millions de mères pubères.
Jeunes vies brisées après maternité
Par Sylvie
BRIET
lundi 08 mars 2004
(1) Pour en savoir plus, consulter
[www.unfpa.org->http://www.unfpa.org] ou
[www.equipop.org->http://www.equipop.org] Pour la première fois, le Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa)
lance une campagne internationale sur la fistule obstétricale (1). Et espère
rompre le silence qui entoure le sujet. Ostracisme. Lorsque, durant plusieurs jours, la tête de l'enfant
comprime les tissus qui séparent la filière génitale de la vessie et parfois du
rectum, les tissus se nécrosent et une brèche se forme à leur place : la
fistule. La jeune femme devient incontinente. Les urines, parfois les matières
fécales, s'écoulent par la cavité vaginale. L'infirmité s'aggrave avec le temps.
Au bout de quelques semaines, le mari perd patience et renvoie sa jeune épouse
chez ses parents. Qui, parfois, n'ont plus la capacité d'accueillir leur fille.
«La vie devient impossible pour ces femmes, elles sont souillées en
permanence, elles sentent mauvais et se retrouvent ostracisées. On les met dans
une cabane au fond du jardin ou on les chasse... Elles vont se laver la nuit.
C'est une infirmité épouvantable», note le Pr Jacques Milliez,
gynécologue-obstétricien, membre de l'organisation non-gouvernementale
Equilibres et populations, qui a enquêté dans les pays africains. Certaines
jeunes filles peuvent vivre plusieurs années avant d'entendre parler d'un
médecin capable de guérir les «femmes qui fuient». Pourquoi ce problème qui conduit des êtres humains à vivre de façon inhumaine
est-il si peu connu ? Jusqu'ici, la mortalité des femmes enceintes était la
priorité des organismes internationaux : 600 000 femmes meurent en accouchant
chaque année dans le monde. Ils ont compris que les deux questions étaient liées
et, depuis un an, ils se sont attaqués au problème. En Afrique, 2 millions de femmes vivent avec une fistule obstétricale et
environ 100 000 cas viennent s'ajouter chaque année. «Ce sont des estimations
en dessous de la réalité, ces femmes sont des parias, on ne les connaît pas
toutes. Il y a un travail de recherche statistique à faire, mais nous avons
décidé de les aider d'abord. On pourrait aussi parler du millier de femmes qui
meurent d'un avortement médicalisé. Les Nations unies n'ont pas le droit d'aider
les services d'avortement. Nous aidons à la prévention», note France Donnay,
de l'Unfpa, elle-même gynécologue-obstétricienne et pratiquant de nombreuses
interventions dans les pays africains. «Nous avons décidé de nous occuper de
ces femmes parce que personne ne le faisait. Nous choisissons un hôpital ou un
centre médical, nous nous installons dans une salle d'opération, nous passons
une annonce à la radio. Nous faisons des interventions pendant une semaine et
quand nous revenons, six mois plus tard, les femmes sont plus
nombreuses.» Car la fistule s'opère. Le taux de réussite est même important. Il atteint 90
% à Addis-Abeba (Ethiopie), dans un hôpital créé exprès et qui a mis au point
une technique servant de modèle aux autres pays. On peut former facilement des
chirurgiens à cette opération, mais les campagnes manquent dramatiquement de
personnel médical. Matrones. La prévention passe par des moyens tout simples. Exemple :
on donne aux matrones (femmes sans formation qui aident aux accouchements) des
toises de 1,50 m. Quand elles repèrent une femme en dessous de cette taille,
elles l'envoient dans un centre médical. Mais cette prévention relève aussi de
la stratégie politique. «La fistule obstétricale est au croisement de la
pauvreté et de la condition faite aux femmes, remarque Robert Toubon,
d'Equilibres et populations. La lutte pour le recul de la pauvreté doit
donner une place prioritaire aux femmes. La question touche les droits des
femmes, les droits des enfants : que les filles ne se marient pas trop jeunes,
qu'elles ne soient pas "engrossées" alors qu'elles sont à peine
formées.» L'Afrique n'est pas le seul continent touché. La fistule touche beaucoup de
jeunes en Asie, notamment au Pakistan, au Bangladesh, au Bhoutan... Il est
d'autant plus important d'y agir que, dans 90 % des cas, les femmes bien opérées
et suivies peuvent reprendre une vie normale.
n Occident, on ne sait plus ce
que ces mots signifient : fistule obstétricale. Cette infirmité a disparu. Mais
en Asie et en Afrique, elle touche de nombreuses femmes. Des jeunes filles
mariées dès 12-13 ans se retrouvent enceintes à la puberté. Leur corps n'est pas
prêt. Si l'accouchement est difficile, dure plusieurs jours, sans soins
appropriés, le bébé meurt, la mère parfois aussi. Si elle en réchappe, ce n'est
pas indemne.