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Santé. L'ONU s'attaque à la fistule obstétricale, infirmité qui génère l'incontinence et la mise au ban de millions de mères pubères.
Jeunes vies brisées après maternité

Par Sylvie BRIET
lundi 08 mars 2004

(1) Pour en savoir plus, consulter [www.unfpa.org->http://www.unfpa.org] ou [www.equipop.org->http://www.equipop.org]

n Occident, on ne sait plus ce que ces mots signifient : fistule obstétricale. Cette infirmité a disparu. Mais en Asie et en Afrique, elle touche de nombreuses femmes. Des jeunes filles mariées dès 12-13 ans se retrouvent enceintes à la puberté. Leur corps n'est pas prêt. Si l'accouchement est difficile, dure plusieurs jours, sans soins appropriés, le bébé meurt, la mère parfois aussi. Si elle en réchappe, ce n'est pas indemne.

Pour la première fois, le Fonds des Nations unies pour la population (Unfpa) lance une campagne internationale sur la fistule obstétricale (1). Et espère rompre le silence qui entoure le sujet.

Ostracisme. Lorsque, durant plusieurs jours, la tête de l'enfant comprime les tissus qui séparent la filière génitale de la vessie et parfois du rectum, les tissus se nécrosent et une brèche se forme à leur place : la fistule. La jeune femme devient incontinente. Les urines, parfois les matières fécales, s'écoulent par la cavité vaginale. L'infirmité s'aggrave avec le temps. Au bout de quelques semaines, le mari perd patience et renvoie sa jeune épouse chez ses parents. Qui, parfois, n'ont plus la capacité d'accueillir leur fille. «La vie devient impossible pour ces femmes, elles sont souillées en permanence, elles sentent mauvais et se retrouvent ostracisées. On les met dans une cabane au fond du jardin ou on les chasse... Elles vont se laver la nuit. C'est une infirmité épouvantable», note le Pr Jacques Milliez, gynécologue-obstétricien, membre de l'organisation non-gouvernementale Equilibres et populations, qui a enquêté dans les pays africains. Certaines jeunes filles peuvent vivre plusieurs années avant d'entendre parler d'un médecin capable de guérir les «femmes qui fuient».

Pourquoi ce problème qui conduit des êtres humains à vivre de façon inhumaine est-il si peu connu ? Jusqu'ici, la mortalité des femmes enceintes était la priorité des organismes internationaux : 600 000 femmes meurent en accouchant chaque année dans le monde. Ils ont compris que les deux questions étaient liées et, depuis un an, ils se sont attaqués au problème.

En Afrique, 2 millions de femmes vivent avec une fistule obstétricale et environ 100 000 cas viennent s'ajouter chaque année. «Ce sont des estimations en dessous de la réalité, ces femmes sont des parias, on ne les connaît pas toutes. Il y a un travail de recherche statistique à faire, mais nous avons décidé de les aider d'abord. On pourrait aussi parler du millier de femmes qui meurent d'un avortement médicalisé. Les Nations unies n'ont pas le droit d'aider les services d'avortement. Nous aidons à la prévention», note France Donnay, de l'Unfpa, elle-même gynécologue-obstétricienne et pratiquant de nombreuses interventions dans les pays africains. «Nous avons décidé de nous occuper de ces femmes parce que personne ne le faisait. Nous choisissons un hôpital ou un centre médical, nous nous installons dans une salle d'opération, nous passons une annonce à la radio. Nous faisons des interventions pendant une semaine et quand nous revenons, six mois plus tard, les femmes sont plus nombreuses.»

Car la fistule s'opère. Le taux de réussite est même important. Il atteint 90 % à Addis-Abeba (Ethiopie), dans un hôpital créé exprès et qui a mis au point une technique servant de modèle aux autres pays. On peut former facilement des chirurgiens à cette opération, mais les campagnes manquent dramatiquement de personnel médical.

Matrones. La prévention passe par des moyens tout simples. Exemple : on donne aux matrones (femmes sans formation qui aident aux accouchements) des toises de 1,50 m. Quand elles repèrent une femme en dessous de cette taille, elles l'envoient dans un centre médical. Mais cette prévention relève aussi de la stratégie politique. «La fistule obstétricale est au croisement de la pauvreté et de la condition faite aux femmes, remarque Robert Toubon, d'Equilibres et populations. La lutte pour le recul de la pauvreté doit donner une place prioritaire aux femmes. La question touche les droits des femmes, les droits des enfants : que les filles ne se marient pas trop jeunes, qu'elles ne soient pas "engrossées" alors qu'elles sont à peine formées.»

L'Afrique n'est pas le seul continent touché. La fistule touche beaucoup de jeunes en Asie, notamment au Pakistan, au Bangladesh, au Bhoutan... Il est d'autant plus important d'y agir que, dans 90 % des cas, les femmes bien opérées et suivies peuvent reprendre une vie normale.

 

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