CONSEIL
NATIONAL DE LA RESISTANCE - Ils commémorent
avec Attac le 60e anniversaire de l'élaboration de
leur projet de société, aujourd'hui laminé par le
gouvernement. «Ne nous prenez pas pour
de vieux ringards de 85 ans!» assène Claude
Alphandéry. Autour de lui, les autres pouffent:
«85 ans? Tu nous rajeunis...» C'est une
impressionnante brochette de grandes figures de la
résistance qu'avait réunie Attac-France la semaine
dernière à Paris. Il y a là Raymond Aubrac;
Maurice Kriegel-Valrimont, qui reçut, avec Leclerc
et Rol-Tanguy, la reddition de l'armée allemande à
la libération de Paris; Philippe Dechartre, ancien
ministre de De Gaulle; l'historien Jean-Pierre
Vernant; Lise London, ancienne des Brigades
internationales et capitaine de la résistance;
Stéphane Hessel, qui rejoignit De Gaulle à Londres
en 1941...
Ils sont là pour lancer les
commémorations d'un événement par ailleurs
largement passé sous silence: l'adoption dans la
clandestinité, le 15 mars 1944, du programme du
Conseil national de la résistance (CNR)
–l'organisation fondée par Jean Moulin pour
fédérer les forces de la résistance sur le
territoire français. Ce document, diffusé sous le
titre Les jours heureux, jetait les bases de
l'organisation sociale de l'après-guerre:
«l'instauration d'une véritable démocratie
économique et sociale, impliquant l'éviction des
grandes féodalités économiques et financières de
la direction de l'économie»; «la liberté de la
presse, son indépendance et son honneur à l'égard
de l'Etat, des puissances d'argent et des
influences étrangères»; «le droit au travail et le
droit au repos»; «un plan complet de sécurité
sociale»; «une retraite permettant aux vieux
travailleurs de finir dignement leurs jours»...
Obtenu au terme d'âpres débats visant à ménager
toutes les sensibilités en présence (gaullistes,
catholiques, socialistes, communistes...), le
texte, dit Philippe Dechartre, constitue «une
victoire exemplaire de l'esprit de délibération
sur l'esprit de lobby».
ABSENCE DE
PERSPECTIVESL'anniversaire du
programme du CNR a peu été célébré au cours des
décennies qui ont suivi: au début, «on n'en
parlait pas: on l'appliquait». Plus tard, la
guerre froide et les conflits coloniaux ont divisé
les anciens résistants. Et dans la période
récente, le souvenir semble presque devenu
«honteux», comme le souligne Jacques Nikonoff,
président d'Attac: «Comment expliquer que la
France de 1945, ruinée, crée par exemple la
sécurité sociale, et que soixante ans plus tard,
alors que les richesses ont décuplé, les
gouvernements détruisent peu à peu ses fondement?»
Avec quelques autres, les résistants présents
ont signé un appel de l'organisation
altermondialiste dénonçant cet état de fait. Ils
ont pris part ce week-end aux commémorations
organisées par les comités locaux d'Attac, tandis
qu'un colloque intitulé Rassemblement de la
résistance et des alternatives au néolibéralisme
se tenait à Nanterre. Plus que tout, c'est
l'actuelle absence de perspectives, la
«distribution générale de la peur», comme dit
Raymond Aubrac, qui les inquiète. «Même au sein
des périodes les plus noires, insiste Dechartre,
une société ne peut vivre sans un projet qui la
porte, sans une transcendance.»