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Evénement
11 septembre
George Soros, financier milliardaire, pointe les fautes de l'administration Bush
:
«Une vision
idéologique qui se définit par la survie du plus fort»
Par Philippe
GRANGEREAU
mercredi 24 mars 2004
Pourquoi vous engagez-vous avec autant de virulence contre Bush ? J'en suis arrivé à la conclusion que, aussi bien sur le plan national
qu'international, l'administration Bush représente une menace au concept de
«société ouverte», dont j'assure la promotion au travers d'un réseau de
fondations pour défendre l'établissement d'Etats de droit en Russie, dans les
ex-pays de l'Est et en Afrique... Avant même le 11 septembre 2001,
l'administration Bush avait l'intention de rétablir la suprématie américaine
dans le monde. Le 11 septembre leur a donné l'ennemi qu'ils cherchaient. Depuis
lors, le Parti républicain est devenu un instrument pour des conservateurs
extrémistes et fondamentalistes qui l'ont poussé très loin à droite, rompant
l'équilibre qui prévalait jusqu'alors aux Etats-Unis. Pendant dix-huit mois, le
pays a été dominé par un groupe qui croyait dans la suprématie américaine, dans
le pouvoir comme force dominante des relations entre pays, au mépris des lois
internationales. Ces tendances, déjà présentes dans l'administration Reagan, ont
été exacerbées. Tout s'est passé comme dans une bulle financière : lorsque la
réalité est interprétée de manière fausse, la perception de cette réalité en
ressort tout d'abord renforcée, mais au bout d'un moment la bulle éclate... Quelle est la vision du monde de Bush ? C'est une vision idéologique, une forme de darwinisme social qui se définit
par la survie du plus fort. Elle met en avant la concurrence entre les pays, et
non la coopération. Ces nouveaux «suprémacistes» américains pensent que la
concurrence peut aussi se régler par des moyens militaires, pas seulement par
les mécanismes du marché. Les trois piliers de la machine conservatrice sont la
supériorité militaire, le fondamentalisme religieux et le fondamentalisme du
marché. Les fondamentalistes du marché pensent que le gouvernement ne doit pas
intervenir dans l'économie... Ce qui est une justification visant à permettre
aux intérêts des corporations de supplanter l'intérêt général. Les Américains ont-ils pu se laisser berner par Bush ? Cela reste un mystère pour moi. La manière dont Bush a utilisé l'attaque
terroriste du 11 septembre a favorisé une réponse émotionnelle fondée tout
d'abord sur la peur, qui a créé un climat d'union nationale pour une guerre
contre le terrorisme. Mais on a vu aussi à l'oeuvre une espèce de machine de la
vérité à la Orwell très efficace. Un certain nombre de think-tanks et de
médias ont poussé de manière très intelligente et sophistiquée leurs points de
vue extrêmes. Pour comprendre cela, il faut se référer au roman d'Orwell,
1984, avec son «ministère de la Vérité», qui appelle parfois les
choses d'un nom opposé afin d'imposer un point de vue. La différence est que,
dans le roman, il y a un ministère de la Vérité qui centralise tout, tandis
qu'aux Etats-Unis on arrive au même résultat bien que les médias soient
indépendants. Je crois que la vérité importe peu pour les gens. Le système
américain valorise le succès, surtout financier d'ailleurs. C'est sans doute
pourquoi il est possible de promouvoir certaines idées, même fausses, à partir
du moment ou elles rencontrent un certain succès. L'Amérique de Bush est-elle selon vous une puissance hégémonique ? Les Etats-Unis sont la puissance dominante du monde globalisé. Leur budget
militaire est équivalent à celui de tous les autres pays mis ensemble. De fait,
les Etats-Unis sont devenus une sorte de puissance impérialiste. Quelle influence le complexe militaro-industriel exerce-t-il sur les
décisions politiques ? Vous vous souvenez du slogan «Ce qui est bon pour General Motors est bon
pour l'Amérique» ? L'attitude n'a pas changé. Désormais c'est «Ce qui est
bon pour l'industrie du pétrole et pour Halliburton (l'entreprise
d'ingénierie était dirigée par Dick Cheney, l'actuel vice-président américain,
avant 2000, ndlr) est bon pour l'Amérique». Le degré d'influence de ces
corporations peut être mesuré par la disparité des fonds recueillis auprès
d'elles par le Parti républicain d'une part, autour de 100 millions de dollars,
et le Parti démocrate de l'autre, autour de 14 millions. Voilà pourquoi je
contribue à la campagne démocrate, pour rétablir ne serait-ce qu'un peu
l'équilibre. L'Europe peut-elle devenir un contrepoids à l'Amérique ? L'Europe pourrait montrer la voie à suivre aux Etats-Unis, mais elle ne le
fait pas. Ce qui s'est passé au Kosovo la semaine dernière nous rappelle
cruellement que l'Europe a échoué à régler les problèmes qui étaient clairement
de sa responsabilité dans les Balkans. Les Etats-Unis font davantage que
l'Europe pour assister des pays comme la Géorgie afin d'y promouvoir l'avènement
d'un régime démocratique.Il est essentiel que l'Europe assume ses
responsabilités en mettant en oeuvre une réelle politique d'engagement
constructif vis-à-vis des pays de l'Est avant que tout soit perdu. La Russie, où
se reconstitue un régime proche de celui des tsars, est d'ores et déjà perdue...
eorge Soros lance un violent
pamphlet contre George W. Bush (1) à six mois des élections américaines. Né à
Budapest en 1930, le financier milliardaire a vécu l'occupation allemande et a
quitté la Hongrie communiste en 1947 pour l'Angleterre, puis les Etats-Unis, où
il est arrivé en 1956. Il y a fait fortune en créant et dirigeant un fonds
d'investissement international. Il s'est impliqué dans nombre d'activités
philanthropiques depuis 1979.
(1) Pour l'Amérique, contre Bush, éditions Dunod.