Quelques maires de France se disent prêts à marier des couples de
même sexe. Ce geste de désobéissance civile constitue un événement
politique majeur. D'une part, il s'agit de mettre fin à la
principale discrimination dont sont encore victimes les citoyens du
seul fait de leur orientation sexuelle.
D'autre part, il répond à une
revendication universaliste : la participation au droit commun d'une
partie de la population dénoncée souvent comme communautariste.
Le mariage est à l'origine de la famille, il consacre socialement
l'union de deux personnes ayant comme but la solidarité réciproque
sur la base de l'affection mutuelle. Constitution, Déclaration
universelle des droits de l'homme et Convention européenne font du
mariage une liberté fondamen- tale particulièrement protégée.
Cette revendication des lesbiennes et des gays constitue un pas
de plus dans le processus de démocratisation de l'institution
matrimoniale. La demande d'accès au mariage ne doit pas être
interprétée comme une volonté de normalisation de l'homosexualité ou
comme un simple désir d'imitation de l'hétérosexualité. Une telle
critique ne fait que caricaturer une exigence qui n'est autre que le
respect du principe d'égalité.
Le combat des gays et des lesbiennes s'inscrit ainsi au sein
d'une mouvance politique qui les dépasse, et à laquelle d'autres
groupes ont déjà participé. La revendication du mariage pour les
esclaves, la fin de l'interdiction du mariage des infidèles, la
légalisation des unions mixtes ou interconfessionnelles et les
conquêtes pour l'égalité des femmes à l'intérieur du ménage sont là
pour témoigner de cette évolution. Tous ces parias de l'histoire ont
façonné l'institution matrimoniale en lui donnant des contours plus
justes.
Les arguments avancés contre le mariage homosexuel véhiculent les
mêmes peurs et les mêmes préjugés que ceux utilisés aux Etats-Unis
pour interdire le mariage interracial. Ce n'est qu'en 1967 que la
Cour suprême déclara cette interdiction contraire à la Constitution
américaine. Vingt-six ans plus tard, la Cour suprême de l'Etat de
Hawaï a estimé, dans l'affaire Baehr v. Lewin, que le refus du droit
au mariage pour un couple homosexuel constitue une discrimination
arbitraire. Plus récemment, les cours de l'Ontario, de la
Colombie-Britannique et du Québec ainsi que la Cour suprême du
Massachusetts se sont également prononcées en faveur de
l'élargissement du mariage aux couples de même sexe. En Europe, deux
pays, les Pays-Bas et la Belgique, disposent déjà d'une loi
autorisant le mariage gay, et la Suède est prête à le faire dans un
avenir proche.
La dénégation du mariage aux couples de même sexe se fonde sur
une idée monolithique et essentialiste de l'union, plus proche du
sacrement que du contrat civil. Il n'existe pas d'arguments
juridiques pour interdire le mariage homosexuel. Si l'on fait appel
à l'ordre naturel, symbolique ou religieux, c'est de la même manière
qu'on le fit pour condamner l'union des infidèles, pour interdire
les mariages mixtes ou pour justifier la domination des femmes.
Différentes catégories de personnes ont progressivement accédé
d'abord au sacrement et, une fois celui-ci sécularisé, au contrat de
mariage. La Révolution, en brisant le monopole de l'Eglise en
matière matrimoniale, établira les bases d'un changement radical :
le mariage devient un acte laïque. La nuptialité ne dépend plus de
la loi religieuse mais exclusivement de la loi civile.
L'instauration du divorce par l'Assemblée de 1791, repris par le
code civil de 1804, témoigne de ce bouleversement : ce qui fut un
acte religieux est devenu un acte juridique sanctionné par la seule
autorité de l'Etat. C'est à cet acte civil que les gays et les
lesbiennes doivent accéder, en vertu des principes d'égalité devant
la loi et d'universalité de la règle de droit.
Cela n'implique pas que tous les homosexuels partagent les
valeurs qui fondent le mariage ou qu'ils veuillent tous s'unir dans
le cadre de cette institution (en réalité, plus que de mariage, on
devrait parler plutôt de droit au mariage). De même que le droit à
la propriété n'implique pas forcément devenir propriétaire, le droit
au mariage n'oblige pas les gays à se marier.
Il faut aussi dénoncer comme non fondée l'association faite entre
mariage et filiation. Outre que la reproduction ne fut jamais
condition du mariage et que l'une et l'autre renvoient à des régimes
juridiques distincts, faire de la filiation une caractéristique
essentielle du mariage revient à assigner une finalité reproductive
à la sexualité. Ici encore, les réticences ne viennent pas tant du
droit que de la religion : lorsque Jean Paul II ou George Bush
s'opposent au mariage homosexuel, c'est en invoquant la destinée
reproductive de l'union sacrée entre un homme et une femme qu'ils le
font.
Toutefois, ce n'est pas parce que les couples de même sexe ne
peuvent pas se reproduire par les voies biologiques qu'ils doivent
renoncer à la filiation : après tout, l'adoption et les techniques
de procréation médicalement assistée devraient aussi pallier la
stérilité des couples, de tous les couples...
Daniel Borrillo est juriste.