Des cryptologues déchiffrent un terme censuré 
            dans un "mémo" adressé par la CIA à Geoges Bush
            Un passage recouvert à l'encre noire dans un 
            document récemment diffusé par la Maison Blanche a été reconstitué. 
            La méthode pourrait être appliquée à bon nombre d'archives 
            déclassifiées.
            
            Il "s'ennuyait" devant la télévision, le week-end de 
            Pâques, "lorsque le mémo de la CIA à George Bush a été 
            diffusé", se souvient David Naccache, spécialiste du chiffrement 
            des données de la société française Gemplus.
            
             "J'ai aussitôt téléphoné à Claire 
            Whelan, une étudiante de la Dublin City University, dont je dirige 
            la thèse, pour lui proposer de s'attaquer aux passages 
            caviardés", raconte-t-il. Mission accomplie, ou presque.
            Le "mémo" en question, adressé le 6 août 2001 par la CIA au 
            président Bush et intitulé "Ben Laden déterminé à frapper aux USA", 
            venait d'être déclassifié par la Maison Blanche. Celle-ci voulait 
            prouver que la précision des avertissements des services de 
            renseignement n'était pas suffisante pour permettre au président 
            d'empêcher les attaques du 11 Septembre. Mais cinq passages 
            précisant les sources des renseignements collectés avaient été 
            recouverts d'encre noire.
            Pour le cryptologue David Naccache, ces fragments illisibles 
            étaient autant de chiffons rouges. Le résultat de ses efforts - 
            "conduits à titre privé", précise-t-il, soucieux de ne pas 
            impliquer son employeur dans son initiative - a été présenté mardi 4 
            mai lors de la conférence Eurocrypt 2004 qui a réuni jusqu'au 6 mai 
            à Interlaken, en Suisse, le gratin de la cryptographie mondiale. 
            "La démonstration était fort impressionnante", juge 
            Jean-Jacques Quisquater (université de Louvain-la-Neuve), 
            spécialiste du domaine, qui salue cette entreprise de 
            "reverse engineering de document censuré".
            David Naccache et son élève ont en effet réussi à découvrir l'un 
            des mots censurés. Le terme "Egyptian" leur semble le seul possible. 
            Ils veulent peaufiner leur méthode avant de rendre leur verdict sur 
            un passage plus long, afin de ne pas la discréditer. Et ils ont 
            carrément jeté l'éponge pour un mot totalement isolé, faute 
            d'indices suffisants. 
            La technologie employée n'a, à première vue, rien de 
            révolutionnaire. Les deux chercheurs ont d'abord "redressé" le 
            texte, déformé lors de sa numérisation - l'inclinaison n'était que 
            de 0,52°. Ils ont ensuite utilisé un logiciel de reconnaissance de 
            caractères pour déterminer la police du texte qui fixe le nombre de 
            signes par unité de longueur. Le simple recours à un dictionnaire 
            d'anglais permet alors d'établir une liste de mots possibles. "1 
            530 correspondaient", indique David Naccache.
            Mais l'article "an" précédant le mot mystère impliquait que 
            celui-ci commençait nécessairement par une voyelle, ce qui a permis 
            de ramener la liste à 346 mots. En français, un indice fourni par 
            des articles comme "un" ou "une" aurait, de la même façon, permis de 
            resserrer les recherches. La sélection a aussi été facilitée par le 
            fait que la police de caractère, l'Arial, est "proportionnelle", 
            c'est-à-dire que la "chasse" des lettres varie. L'espace occupé par 
            un i diffère de celui pris par un w, ce qui peut donner des indices 
            supplémentaires, par rapport aux polices dites "monospace", comme le 
            Courrier, souvent utilisé, où toutes les lettres se valent.
            "Parmi les mots "survivants", cinq ou six pouvaient faire 
            sens, mais seul Egyptian correspondait au contexte", indique le 
            cryptologue. Cette dernière étape relève plus de l'intelligence 
            humaine que de la géométrie du texte. Pour choisir parmi Ukrainian, 
            univited, unofficial, incursive, Egyptian, indebted et Ugandan, les 
            deux chercheurs se sont appuyés sur leur bon sens, l'Ouganda et 
            l'Ukraine semblant trop éloignés du théâtre des opérations pour être 
            retenus, par exemple.
            Sans doute l'analyse du "mémo" de la CIA ne dévoile-t-elle qu'un 
            "secret de polichinelle", reconnaît David Naccache. Mais la 
            méthode systématise les recherches. Dans un autre "mémo", elle a 
            révélé que des hélicoptères civils militarisés par les Irakiens 
            avaient été achetés à la Corée du Sud. Et rien ne s'oppose à 
            l'application automatisée de cette technique à l'ensemble des 
            documents déclassifiés, dans lesquels elle pourrait mettre au jour 
            "des mots isolés, voire des groupes de deux ou trois mots". 
            Avis aux censeurs...
            Hervé Morin