Lemonde.fr


Les journalistes américains inquiets pour leur métier
LE MONDE | 26.05.04 | 13h53    MIS A JOUR LE 26.05.04 | 16h08
Selon une étude menée par le centre de recherche Pew, 51  % des professionnels de l'information pensent que leur activité évolue dans la mauvaise direction. Principaux fautifs  : la pression économique et le manque de temps.

New York de notre correspondant

Les scandales après la découverte des falsifications de deux journalistes du New York Times et de USA Today, et la difficulté pour les médias de critiquer l'administration Bush après les attaques du 11 septembre 2001 ont créé un malaise parmi les journalistes américains. Selon une étude réalisée par le centre de recherche Pew sur l'opinion et la presse et par le Project for Excellence in Journalism (Projet pour l'excellence dans le journalisme), 51 % des professionnels de l'information travaillant pour des médias nationaux et 46 % pour des médias locaux pensent que leur métier évolue dans une mauvaise direction.

"En cette année électorale et à un moment où le public et les politiques sont de plus en plus critiques sur la presse, nous pensons qu'il était particulièrement important de voir ce que les journalistes pensaient d'eux-mêmes, de leur profession et de leurs performances", explique Tom Rosenstiel, directeur du Project for Excellence in Journalism. En tout, 547 personnes ont été interrogées entre le 10 mars et le 20 avril, des rédacteurs en chef, des reporters et des dirigeants de quotidiens, de magazines, de services d'information en ligne et de télévisions nationales et locales.

Le malaise est notamment lié aux contraintes économiques plus durement ressenties. Pour 66 % des journalistes d'organes nationaux, les pressions financières "affectent sérieusement" la qualité de la couverture de l'actualité. Ils n'étaient que 49 % à penser ainsi en 1999 et 41 % en 1995. Le constat est le même dans les médias locaux, le poids des impératifs économiques inquiète 57 % des personnes interrogées, contre 46 % en 1999 et 33 % en 1995.

"La plupart des secteurs de l'information, en dehors de l'Internet, perdent de l'audience tant la concurrence est devenue sévère", souligne M. Rosenstiel. D'où des restrictions budgétaires. Les experts de Pew précisent que 4 % des emplois (2 000 postes) ont été supprimés dans la presse écrite entre 2000 et 2004. Dans les réseaux nationaux des chaînes de télévision, le nombre de correspondants a diminué de 35 % et les sujets traités par journaliste ont augmenté de 30 %.

Du coup, un nombre croissant de professionnels, 45 % cette année contre 35 % en 1995, estiment que les erreurs factuelles sont de plus en plus fréquentes. Ils sont encore plus nombreux, près de 80 %, à considérer ne pas consacrer assez de temps et ne pas avoir les moyens d'approfondir les questions politiques et économique complexes. Ils s'inquiètent aussi du fait que la pression économique pourrait rendre la presse "timide" dans son travail.

Interrogés sur ce que leur métier apporte de positif, les journalistes ont des points de vue différents selon le média pour lequel ils travaillent. Ceux de radio ou de télévision mettent en avant la réactivité face à l'événement, tandis que ceux qui travaillent pour la presse écrite citent d'abord la qualité de leur investigation et leur rôle de dénonciation des dérives ("watchdog").

TROP PEU CRITIQUES

Les remarques des journalistes sur la pratique de leur métier touchent aussi leur traitement du conflit irakien. Ils sont 55 % dans les médias nationaux à estimer avoir été trop peu critiques vis-à-vis de l'administration Bush. Les journalistes locaux sont moins sévères puisque seuls 37 % estiment que les médias ont été trop complaisants avec le président.

L'étude indique qu'une majorité de journalistes (54 % de la presse nationale) se considèrent comme politiquement "modérés" et 34 % se présentent comme de gauche. En 1995, ils n'étaient que 22 % à se considérer comme des libéraux au sens américain. Seuls 7 % des journalistes des médias nationaux déclarent être "conservateurs".

Seul véritable signe encourageant dans l'étude, le cynisme semble reculer. Seulement 37 % des journalistes nationaux jugent que les médias sont trop cyniques. Ils étaient respectivement 53 % et 51 % à avoir cette opinion en 1999. Mais, depuis cinq ans, l'actualité aux Etats-Unis a beaucoup changé de nature entre le 11 Septembre et les guerres en Afghanistan et en Irak.

Eric Leser

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 27.05.04


Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Monde 2004
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.
Politique de confidentialité du site.
Besoin d'aide ? faq.lemonde.fr