De la question du voile à l'ouverture du mariage à des personnes 
            du même sexe, la France des débatteurs professionnels n'aime rien 
            tant que ces empoignades enflammées qui occupent les terrains 
            médiatique et politique... tout en se lamentant qu'elles y prennent 
            autant de place !
            Au bal de l'hypocrisie, les danseurs mondains se bousculent.
            
             Et, pour mieux excuser leur 
            précipitation à entrer sur la piste, ils montrent du doigt le 
            prétendu chef d'orchestre, ils le travestissent en vilain 
            provocateur, en semeur de désordre ou, variante, en obsédé des 
            médias. A chacun son bouc émissaire.
            En prenant le risque de la cabale, des procès en opportunisme par 
            ceux qui n'en manquent pas, des insultes de toutes catégories et du 
            divorce éventuel avec une partie de mon électorat local, je ne fais 
            que rester conforme à des engagements de longue date sur le terrain 
            des libertés et de l'égalité des droits et à la ligne constante des 
            Verts concernant les questions de société. Mon initiative est donc 
            politique, et je la revendique comme telle. La preuve, s'il en 
            fallait une, est d'ailleurs apportée par la société elle-même, qui 
            s'est emparée du débat à tous les étages, du Café du commerce au 
            sommet de l'Etat.
            Si la controverse a pris une telle ampleur, c'est parce qu'elle 
            touche aux fondements de notre organisation sociale, parce qu'elle 
            affirme la légitimité d'une orientation sexuelle minoritaire, parce 
            qu'elle dérange notre vision sociale du couple et de l'union légale, 
            notre conception de la famille et, partant, l'idée que nous nous 
            faisons de la filiation.
            Fallait-il s'interdire de lancer un tel débat ? Selon quels 
            principes y aurait-il un moment politique plutôt qu'un autre pour 
            bousculer les préjugés et faire bouger les lignes d'une société ? Si 
            les Neuwirth, les Badinter, les Simone Veil avaient attendu le "bon" 
            moment, si les "343 salopes", les objecteurs de conscience, 
            les Lip et les Larzac, les Cohn-Bendit et les Bové n'avaient pas 
            "désobéi" et pris le risque de la "provocation", notre vieux pays 
            serait encore perclus d'archaïsmes qui nous paraissent à des années- 
            lumière d'aujourd'hui.
            Il est dans la responsabilité d'un homme politique - c'est même 
            la noblesse de sa mission - de prendre des risques devant la société 
            quand il s'agit de défendre une cause qu'il croit juste. C'est la 
            vertu de la démocratie de permettre à la société d'en débattre et de 
            choisir. La fonction politique consiste à ouvrir et non à clore le 
            débat démocratique.
            De quoi s'agit-il, en effet ? De défendre une certaine conception 
            de l'Etat de droit dont l'égalité est un principe fondateur ; 
            d'affirmer que l'orientation sexuelle, au même titre que la race, la 
            religion, les opinions politiques ou le handicap, ne doit plus 
            constituer une barrière à l'accès aux droits et à la jouissance des 
            libertés. De ce point de vue, les excès de la polémique à laquelle 
            nous assistons, où la raison démissionne souvent devant la peur et 
            la méfiance, illustrent jusqu'à la caricature cette difficulté 
            typiquement française à accepter la pluralité des modes d'existence 
            comme faisant partie intégrante du pluralisme social. Après la loi 
            sur le voile, qui stigmatise une religion et contribue à ethniciser 
            les rapports sociaux, ce blocage sur l'ouverture du mariage à des 
            personnes du même sexe est un nouveau signe inquiétant de 
            l'affaiblissement de la pluralité, à la base de notre contrat 
            républicain. L'acceptation de la pluralité est la condition d'une 
            société ouverte dans laquelle la "promesse d'universalité" ne se 
            décline pas comme une menace, mais comme une chance.
            Défendre une société ouverte, c'est refuser les lois Sarkozy et 
            Perben II, c'est se battre contre les marqueurs bio-informatiques 
            qui permettront à Big Brother de nous suivre à la trace vingt-quatre 
            heures sur vingt-quatre, c'est défendre le logiciel libre, c'est 
            engager une lutte sans merci contre les transnationales du vivant 
            qui veulent tout breveter ; c'est aussi dénoncer un système 
            économique qui exclut des catégories sociales entières, des paysans 
            aux ouvriers, et qui concentre toujours plus le pouvoir médiatique, 
            financier et technologique entre les mains de quelques 
puissants.
            Dans ce combat-là, il ne peut être établi de hiérarchie des 
            luttes contre les formes dites "anciennes" d'atteinte aux libertés, 
            comme l'homophobie, la xénophobie ou l'antisémitisme, et les 
            nouvelles formes d'aliénation qui menacent aujourd'hui l'identité 
            même de l'homme.
            L'universalité n'est pas le rouleau compresseur qui écrase les 
            différences, mais le seul outil de lutte contre un totalitarisme 
            moderne qui a su prendre plusieurs visages.
            Plus que jamais, il est urgent de redonner son sens à notre 
            triptyque républicain "Liberté, Egalité, Fraternité". Le collectif 
            pour l'égalité des droits ne fait rien d'autre quand il réclame 
            l'ouverture du mariage à des personnes du même sexe. Si le mariage 
            est un contrat entre deux personnes désirant vivre ensemble par 
            consentement mutuel, pourquoi resterait-il interdit à des 
            contractant(e)s de même sexe ? Au nom des principes judéo-chrétiens 
            que la Pologne et quelques autres pays de l'Union veulent voir 
            inscrits dans la prochaine Constitution européenne ? Au nom de la 
            norme sociale ? Au nom de la "tradition", pour reprendre les 
            arguments de Chirac et de Jospin ? La société tout entière est 
            menacée quand elle se méfie d'elle-même et qu'elle en vient à 
            confondre préjugés et valeurs normatives.
            Ainsi, pourquoi était-il "démagogique" de proposer la 
            légalisation contrôlée du cannabis pendant la campagne 
            présidentielle de 2002 ? Parce que le candidat socialiste ne voulait 
            pas affronter le problème de peur de déplaire à une partie de son 
            électorat ? Pourquoi était-ce "déplacé" de vouloir débattre du droit 
            à mourir dans la dignité ? Parce qu'il fallait attendre l'affaire 
            Humbert pour en parler ? Pourquoi était-ce "populiste" de proposer à 
            l'Assemblée nationale d'autoriser les immigrés à voter dans les 
            élections locales et européennes, promesse faite en 1981 ?
            Parce qu'ils ne veulent pas assumer le décalage entre le temps 
            politique et le temps de la société, parce qu'ils déterminent leur 
            action en fonction de leur calendrier électoral ou du rapport de 
            forces au sein de leur parti, les hommes politiques ont vidé de son 
            sens le concept de volontarisme. Chaque fois qu'ils l'invoquent, 
            c'est pour mieux démissionner de leurs responsabilités. Au point que 
            la politique est aujourd'hui vécue comme une "illusion" par nombre 
            de nos concitoyens réfugiés dans l'abstention ou le vote blanc.
            Nous devons nous attacher à démontrer que la politique reste 
            encore l'un des meilleurs outils au service du combat pour les 
            libertés, pour la pluralité et le droit de choisir démocratiquement 
            la société dans laquelle nous voulons vivre. C'est tout le sens de 
            la problématique de l'écologie politique : avant tout, une 
            interrogation sur la liberté et nos libertés. Elle ne peut donc être 
            réduite à la question du rapport de l'homme à la nature sans prendre 
            le risque de verser dans la défense de l'"ordre naturel", petit 
            cousin très proche de l'ordre moral.
            Oui, nous sommes autant à notre place et toujours dans notre rôle 
            quand nous défendons l'ouverture du mariage à des personnes du même 
            sexe que lorsque nous arrachons du colza transgénique avec 
            Greenpeace. Et qu'on ne vienne pas nous dire que nous sacrifions à 
            un "phénomène de mode" ou à un "égalitarisme ambiant" sous la 
            pression d'un "lobby". Franchement, si le supposé lobby des 
            homosexuels était si puissant, aurait-on attendu si longtemps avant 
            de voter le pacs, qui reste une catégorie juridique de second ordre 
            ? Je n'ai pas vu de grandes mobilisations des acteurs habituels de 
            l'indignation professionnelle après qu'un jeune homme eut failli 
            brûler vif parce qu'il était homosexuel. Je n'ai pas entendu 
            beaucoup de voix s'élever contre les exécutions d'homosexuels en 
            Egypte ou à Cuba... L'homophobie se porte bien sur une bonne partie 
            de la planète, souvent encouragée par les Etats, les religions ou 
            les lois.
            Il faut le répéter : les homosexuels ne demandent pas des 
            privilèges, mais des droits. Formaliser politiquement cette exigence 
            relève de nos responsabilités et de notre volonté de défendre une 
            société plus juste et plus ouverte. Et que tous les hypocrites 
            aillent au diable. Pour paraphraser Pialat, l'éternel révolté, je 
            leur dis : "Si vous ne m'aimez pas, sachez que je ne vous aime 
            pas non plus."
            Noël Mamère est député (Verts), maire de Bègles 
            (Gironde).