Président de la Ligue des Droits de
l'Homme |
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Le
gouvernement s'apprête à faire adopter une loi régissant
l'économie numérique et censée provoquer la confiance
dans ce domaine. Le moins que l'on puisse dire, c'est
que la vision qui guide le gouvernement, à l'instar de
tous les textes, concernant de près ou de loin les
libertés et adoptés depuis le début de cette
législature, n'est qu'une manifestation supplémentaire
d'autoritarisme. Pour s'en tenir à l'essentiel, quatre
points au moins sont inadmissibles :
1. Le mail n'est pas une
correspondance Le courrier électronique
n'est pas reconnu comme une correspondance. Sous le
prétexte de lutter contre le spam, le gouvernement ouvre
ainsi la possibilité à quiconque (et surtout à la police
et autres services…) de s'immiscer, sans aucun contrôle
judiciaire, dans un échange de
correspondances.
Si le projet de loi affirme le
principe de la liberté de communication par voie
électronique, il restreint la portée de cette liberté
par des exceptions qui excèdent largement ce que tolère
la Cour Européenne des droits de l'Homme : ni les
exigences de la défense nationale, ni la notion vague,
et donc dangereuse, d'ordre public ne peuvent à elles
seules constituer des motifs légitimes d'atteintes à la
liberté de communication.
2. Une limitation justifiée par le
développement du marché Le plus
extraordinaire est la justification de telles
restrictions par la "nécessité, pour les services
audiovisuels, de développer la production
audiovisuelle". Justifier une limitation de la liberté
de communication par le développement de sociétés
privées ou même publiques, voici qui est une nouveauté
en droit français ou européen. Le marché transformé en
censeur des libertés publiques, voici une innovation que
seul un gouvernement aussi peu respectueux des libertés
mais tout à fait soumis au libéralisme, pouvait
concocter !
3. Des
acteurs privés qui se substituent à la Justice
C'est aussi cette logique qui conduit à
faire des hébergeurs des sortes de juges privés en
leur confiant le soin de déterminer ce qui est publiable
ou non, sous peine de voir leur responsabilité civile
et/ou pénale engagée. Il ne s'agit pas ici de soutenir
que la loi - qu'elle concerne la diffamation, le
racisme, etc. - ne doit pas s'appliquer. Il s'agit
de refuser que ce soit des acteurs privés qui se
substituent, au moins dans un premier temps, à la
Justice.
Outre que le système retenu s'apparente
à une usine à gaz qui fera la fortune des cabinets
d'avocats, on imagine, là encore, les dégâts d'un
processus qui conduira, immanquablement, les hébergeurs
à rechercher le risque zéro et donc à restreindre,
d'eux-mêmes, la liberté d'expression et de
communication.
4. Un
régime spécifique pour la
prescription Enfin, et ce n'est pas la
moindre des critiques que l'on peut faire à ce projet,
il est proposé de déplacer le point de départ de la
prescription de trois mois, pour les textes non publiés
à l'identique sur papier, à la fin de la mise à
disposition au public sur le Net. Autant dire que le
délit de presse commis par voie de communication
électronique est imprescriptible…
Certes, le
problème de la prescription sur ce moyen de
communication n'est pas simple. La Ligue des Droits d
el'Homme, elle-même, a pris une position que certains de
ses partenaires ont pu contester. Mais, ce sur quoi nous
sommes tous d'accord c'est que, d'une part, rien ne peut
justifier un régime dérogatoire et, d'autre part, que le
projet actuel constitue une véritable atteinte à la
liberté de la presse.
Nous n'avons pas cessé
d'alerter collectivement les parlementaires de toutes
obédiences sur ces problèmes. Ceux de la majorité ont
opposé un autisme dont ils sont coutumiers dès qu'il
s'agit d'en rester aux principes fondamentaux en matière
de libertés. Ceux de l'opposition ont réservé un accueil
plus favorable à nos critiques. Reste à espérer que le
Conseil Constitutionnel soit saisi et qu'il ne se
contente pas, comme il en a pris l'habitude, de
cautionner ce que fait le gouvernement. En tout état de
cause, si ce projet devait être adopté et appliqué dans
sa rédaction actuelle, il conviendra, si alternance il y
a, d'en exiger la réécriture. |