"La LEN ne nous inspire pas confiance"
 
 
Lancer l'impression  
 
07/05/2004.
Président de la Ligue des Droits de l'Homme
 
   Le site
ldh-france.org
Lui écrire
Le gouvernement s'apprête à faire adopter une loi régissant l'économie numérique et censée provoquer la confiance dans ce domaine. Le moins que l'on puisse dire, c'est que la vision qui guide le gouvernement, à l'instar de tous les textes, concernant de près ou de loin les libertés et adoptés depuis le début de cette législature, n'est qu'une manifestation supplémentaire d'autoritarisme. Pour s'en tenir à l'essentiel, quatre points au moins sont inadmissibles :

1. Le mail n'est pas une correspondance
Le courrier électronique n'est pas reconnu comme une correspondance. Sous le prétexte de lutter contre le spam, le gouvernement ouvre ainsi la possibilité à quiconque (et surtout à la police et autres services…) de s'immiscer, sans aucun contrôle judiciaire, dans un échange de correspondances.

Si le projet de loi affirme le principe de la liberté de communication par voie électronique, il restreint la portée de cette liberté par des exceptions qui excèdent largement ce que tolère la Cour Européenne des droits de l'Homme : ni les exigences de la défense nationale, ni la notion vague, et donc dangereuse, d'ordre public ne peuvent à elles seules constituer des motifs légitimes d'atteintes à la liberté de communication.

2. Une limitation justifiée par le développement du marché
Le plus extraordinaire est la justification de telles restrictions par la "nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle". Justifier une limitation de la liberté de communication par le développement de sociétés privées ou même publiques, voici qui est une nouveauté en droit français ou européen. Le marché transformé en censeur des libertés publiques, voici une innovation que seul un gouvernement aussi peu respectueux des libertés mais tout à fait soumis au libéralisme, pouvait concocter !

3. Des acteurs privés qui se substituent à la Justice
C'est aussi cette logique qui conduit à faire des hébergeurs des sortes de juges privés en leur confiant le soin de déterminer ce qui est publiable ou non, sous peine de voir leur responsabilité civile et/ou pénale engagée. Il ne s'agit pas ici de soutenir que la loi - qu'elle concerne la diffamation, le racisme, etc. - ne doit pas s'appliquer. Il s'agit de refuser que ce soit des acteurs privés qui se substituent, au moins dans un premier temps, à la Justice.

Outre que le système retenu s'apparente à une usine à gaz qui fera la fortune des cabinets d'avocats, on imagine, là encore, les dégâts d'un processus qui conduira, immanquablement, les hébergeurs à rechercher le risque zéro et donc à restreindre, d'eux-mêmes, la liberté d'expression et de communication.

4. Un régime spécifique pour la prescription
Enfin, et ce n'est pas la moindre des critiques que l'on peut faire à ce projet, il est proposé de déplacer le point de départ de la prescription de trois mois, pour les textes non publiés à l'identique sur papier, à la fin de la mise à disposition au public sur le Net. Autant dire que le délit de presse commis par voie de communication électronique est imprescriptible…

Certes, le problème de la prescription sur ce moyen de communication n'est pas simple. La Ligue des Droits d el'Homme, elle-même, a pris une position que certains de ses partenaires ont pu contester. Mais, ce sur quoi nous sommes tous d'accord c'est que, d'une part, rien ne peut justifier un régime dérogatoire et, d'autre part, que le projet actuel constitue une véritable atteinte à la liberté de la presse.

Nous n'avons pas cessé d'alerter collectivement les parlementaires de toutes obédiences sur ces problèmes. Ceux de la majorité ont opposé un autisme dont ils sont coutumiers dès qu'il s'agit d'en rester aux principes fondamentaux en matière de libertés. Ceux de l'opposition ont réservé un accueil plus favorable à nos critiques. Reste à espérer que le Conseil Constitutionnel soit saisi et qu'il ne se contente pas, comme il en a pris l'habitude, de cautionner ce que fait le gouvernement. En tout état de cause, si ce projet devait être adopté et appliqué dans sa rédaction actuelle, il conviendra, si alternance il y a, d'en exiger la réécriture.
Michel Tubiana est président de la LDH depuis 2000.
Rédaction, JDN

Copyright 2002 Benchmark Group - 4, rue Diderot 92156 Suresnes Cedex, FRANCE