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Société

Filtrer le net, c'est «donner l'illusion de vivre dans un monde propre et en ordre»
Colloque international sur le terrorisme et le racisme sur l''Internet • La France plaide pour un code de bonne conduite et des dispositifs de filtrage • Meriem Marzouki, présidente de l'Iris, explique son désaccord •

Par Catherine COROLLER
mercredi 16 juin 2004 (Liberation.fr - 12:23)



la France est à l'initiative de la conférence de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) sur «le lien entre la propagande raciste, xénophobe et antisémite sur Internet et les crimes inspirés par la haine» qui s'est ouverte mercredi matin à Paris. Michel Barnier, le ministre des Affaires étrangères ouvrira ce matin les débats, François Fillon (Education nationale) et Renaud Muselier (secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères), la clôtureront demain.

«Si l'intolérance n'a pas gagné la partie,a déclaré le chef de la diplomatie française, elle a progressé presque partout en Europe ces dernières années, en s'appuyant notamment sur l'instrument à la fois extraordinaire et nouveau d'internet». Barnier a estimé que l'OSCE devait être le lieu d'un travail de réflexion, qui pourrait déboucher par exemple sur un code de conduite. Mais dès le début de la conférence, malgré un accord général sur la nécessité de combattre la diffusion d'appels à la haine sur internet, les approches paraissaient très différentes.

Meriem Marzouki est la présidente de l'Association Iris (Imaginons un réseau Internet solidaire). Elle explique pourquoi elle n'est pas d'accord avec l'objectif de la conférence de l'OSCE sur «le lien entre la propagande raciste, xénophobe et antisémite sur Internet et les crimes inspirés par la haine»: l'élaboration de ce code de bonne conduite par lequel les professionnels de l'Internet s'engageraient à lutter contre les contenus incitant à la haine raciale et au terrorisme.

Pourquoi jugez-vous qu'un code de bonne conduite ne serait pas efficace pour combattre les crimes racistes?
S'en remettre à des méthodes de gouvernance comme un code de bonne conduite qui est un espace de droit mou, ou des dispositifs techniques de filtrage comme le recommande Renaud Muselier (dans une tribune du Monde de mercredi à ne me semble pas de nature à résoudre la question. Mieux vaudrait essayer de faire avancer cette idée que le racisme et la xénophobie ne sont pas des opinions mais des délits, y compris dans les pays comme les Etats-Unis où, au nom de la liberté d'expression, on refuse toute sanction.

Pour moi, il faut prévoir des sanctions très fortes. Sur les questions de racisme, il arrive qu'on se trouve face à des contenus absolument intolérables avec lesquels il faut être intransigeant. Et qu'on ne vienne pas me dire comme Renaud Muselier qu'il faut respecter les pratiques juridiques des différents états. C'est démissionner complètement. Les droits de l'homme sont universels.

Que reprochez-vous aux codes de bonne conduite et aux dispositifs de filtrage?
Ils sont synonymes d'un désengagement de l'Etat et de ses prérogatives. Et ils reposent sur une très forte intervention des intermédiaires techniques privés et des représentants des différentes communautés. On voit très bien vers quels dangers on va si on laisse tout entre ces mains-là. Avec une charte de bonne conduite par-ci et un dispositif de filtrage par-là, l'Etat se défausse. Il laisse les associations, voire les communautés, décider de ce qu'il faut filtrer ou non.

L'autre inconvénient des dispositifs de filtrage est qu'ils servent à fermer les yeux, qu'ils permettent de se barricader. Si on filtre les contenus racistes, qu'est-ce que ça signifie? Qu'on va faire comme si ces choses-là n'existaient pas, qu'on ne va pas les voir donc on ne va pas lutter. Il faut laisser les contenus apparaître de façon à pouvoir mener des actions auprès des pays où tenir de tels discours n'est pas réprimé.

L'autre danger de ces dispositifs, c'est qu'on fait des gens des mineurs. Comme on les empêche de porter les yeux sur ces contenus, on leur donne l'illusion de vivre dans un monde propre et en ordre. C'est aller beaucoup plus que loin que ce que prévoit la loi. La loi ne dit pas qu'il faut empêcher les populations d'avoir accès à ce genre de discours. Elle dit qu'il faut réprimer. Le risque de ces dispositifs, c'est enfin qu'ils soient utilisés pour d'autres objectifs, de censure ou d'atteinte à la liberté de création.

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