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Diététique. Adam Drewnowski, nutritionniste, analyse les causes de ce mal en progression:
«L'obésité est étroitement liée au statut économique des ménages»

Par Julie LASTERADE
samedi 12 juin 2004



comme leurs cousins américains, ils aiment les sodas, le gras, le sucré, la télé et les jeux vidéo. Ils sont deux millions d'enfants en France à être obèses. Les médecins parlent d'épidémie. Elle aurait déjà touché 10 à 12 % des 5-12 ans et 7 à 10 % des adultes. Coût en terme de santé publique : 1,8 milliard d'euros par an. Difficile à traiter, difficile à limiter. Jeudi et vendredi à Paris, médecins, diététiciens, épidémiologistes et chercheurs se sont réunis en colloque pour parler «Alimentation de l'enfant et de l'adolescent». Le terme «obésité» revenait sur toutes les lèvres. Adam Drewnowski, directeur du Centre de santé publique en nutrition à l'université de Washington, est venu présenter son travail sur les «goûts et choix alimentaires chez l'enfant et l'adolescent». Adam Drewnowski revient sur les dernières hypothèses qui expliquent l'obésité. Car ce qu'il constate aux Etats-Unis pourrait bien être valable en France.

Vous annoncez que la prévalence de l'obésité s'élève à 7 % dans les quartiers aisés de Seattle et à 16 % dans les quartiers défavorisés. Cela vous surprend ?

Non, nous pensions bien qu'obésité et précarité étaient liées. De la même façon, je suis sûr qu'ici en France la prévalence de l'obésité est plus grande à Bobigny que dans le XVIe arrondissement de Paris. Le problème, c'est que nous n'avons pas encore les chiffres. Il existe très peu de recherches sur le sujet. Néanmoins, nous avons pu faire ce travail à Seattle. Et nous avons vérifié l'hypothèse qui associe manque de ressources et exclusion à l'obésité. Jusque-là, tout tournait autour des raisons médicales, métaboliques. On parlait de pulsions alimentaires provoquées par des carences métaboliques, de neurotransmetteurs, de mutations génétiques. Il s'agit maintenant de réévaluer tous ces paramètres et de prendre également en compte les ressources économiques et les classes sociales.

Pour que les plus défavorisés puissent s'acheter de quoi composer des menus équilibrés ?

Exactement. Il suffit de regarder dans les supermarchés. Les aliments les moins chers sont à la fois les plus caloriques et les plus appétissants. Comme nos pulsions naturelles nous poussent vers le gras et le sucré, ce n'est pas une coïncidence. Les industries alimentaires ont évolué pour nous offrir ce qui nous attire. D'ailleurs, les études qui évaluent le coût des régimes le montrent bien. Manger des légumes frais, des fruits, de la viande revient quotidiennement plus cher que de manger sucré. Prenez les régimes Atkins (hyperprotéiné à base de viande, ndlr) ou Southbeach (du nom d'un quartier chic de Miami et à base de saumon frais, de légumes et de fruits, ndlr), ils font plus que doubler le budget alimentaire quotidien d'un Américain moyen. Les gens qui ont besoin d'un tel régime ne peuvent pas se le permettre. Récemment, un groupe de scientifiques recommandait de manger du saumon trois fois par semaine. C'est sain mais élitiste. A ce prix-là, mieux vaut déménager dans un quartier favorisé.

Vous pensez que les recommandations nutritionnelles ne sont pas suffisantes ?

Bien sûr qu'il faut des recommandations et des programmes de nutrition, comme le Programme national nutrition santé (PNNS), pour éduquer les gens, améliorer les connaissances. Mais on ne prend pas suffisamment en compte que l'obésité est étroitement liée au statut économique des ménages. Il faut y associer un programme politique, financier. Il faut des subventions pour faciliter l'accès des plus démunis aux aliments les plus chers.

Que pensez-vous des fast-foods comme McDonald's, qui communiquent maintenant sur leurs salades, et les laitages qu'ils introduisent dans leurs menus ?

En intégrant des aliments plus sains pour la santé, ils espèrent capter une nouvelle clientèle. Plus fortunée, elle se paiera les salades à 5 euros pendant que les autres continueront à s'acheter des hamburgers à 75 centimes d'euro. C'est une très bonne idée marketing.

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