Diététique. Adam Drewnowski, nutritionniste, analyse
les causes de ce mal en progression:
«L'obésité
est étroitement liée au statut économique des ménages»
Par Julie LASTERADE
samedi 12 juin 2004
Vous annoncez que la prévalence de l'obésité s'élève à 7 % dans les
quartiers aisés de Seattle et à 16 % dans les quartiers défavorisés. Cela vous
surprend ? Non, nous pensions bien qu'obésité et précarité étaient liées. De la même
façon, je suis sûr qu'ici en France la prévalence de l'obésité est plus grande à
Bobigny que dans le XVIe arrondissement de Paris. Le problème, c'est que nous
n'avons pas encore les chiffres. Il existe très peu de recherches sur le sujet.
Néanmoins, nous avons pu faire ce travail à Seattle. Et nous avons vérifié
l'hypothèse qui associe manque de ressources et exclusion à l'obésité.
Jusque-là, tout tournait autour des raisons médicales, métaboliques. On parlait
de pulsions alimentaires provoquées par des carences métaboliques, de
neurotransmetteurs, de mutations génétiques. Il s'agit maintenant de réévaluer
tous ces paramètres et de prendre également en compte les ressources économiques
et les classes sociales. Pour que les plus défavorisés puissent s'acheter de quoi composer des
menus équilibrés ? Exactement. Il suffit de regarder dans les supermarchés. Les aliments les
moins chers sont à la fois les plus caloriques et les plus appétissants. Comme
nos pulsions naturelles nous poussent vers le gras et le sucré, ce n'est pas une
coïncidence. Les industries alimentaires ont évolué pour nous offrir ce qui nous
attire. D'ailleurs, les études qui évaluent le coût des régimes le montrent
bien. Manger des légumes frais, des fruits, de la viande revient quotidiennement
plus cher que de manger sucré. Prenez les régimes Atkins (hyperprotéiné à base
de viande, ndlr) ou Southbeach (du nom d'un quartier chic de Miami et à base de
saumon frais, de légumes et de fruits, ndlr), ils font plus que doubler le
budget alimentaire quotidien d'un Américain moyen. Les gens qui ont besoin d'un
tel régime ne peuvent pas se le permettre. Récemment, un groupe de scientifiques
recommandait de manger du saumon trois fois par semaine. C'est sain mais
élitiste. A ce prix-là, mieux vaut déménager dans un quartier favorisé. Vous pensez que les recommandations nutritionnelles ne sont pas
suffisantes ? Bien sûr qu'il faut des recommandations et des programmes de nutrition, comme
le Programme national nutrition santé (PNNS), pour éduquer les gens, améliorer
les connaissances. Mais on ne prend pas suffisamment en compte que l'obésité est
étroitement liée au statut économique des ménages. Il faut y associer un
programme politique, financier. Il faut des subventions pour faciliter l'accès
des plus démunis aux aliments les plus chers. Que pensez-vous des fast-foods comme McDonald's, qui communiquent
maintenant sur leurs salades, et les laitages qu'ils introduisent dans leurs
menus ? En intégrant des aliments plus sains pour la santé, ils espèrent capter une
nouvelle clientèle. Plus fortunée, elle se paiera les salades à 5 euros pendant
que les autres continueront à s'acheter des hamburgers à 75 centimes d'euro.
C'est une très bonne idée marketing.
omme leurs cousins
américains, ils aiment les sodas, le gras, le sucré, la télé et les jeux vidéo.
Ils sont deux millions d'enfants en France à être obèses. Les médecins parlent
d'épidémie. Elle aurait déjà touché 10 à 12 % des 5-12 ans et 7 à 10 % des
adultes. Coût en terme de santé publique : 1,8 milliard d'euros par an.
Difficile à traiter, difficile à limiter. Jeudi et vendredi à Paris, médecins,
diététiciens, épidémiologistes et chercheurs se sont réunis en colloque pour
parler «Alimentation de l'enfant et de l'adolescent». Le terme «obésité»
revenait sur toutes les lèvres. Adam Drewnowski, directeur du Centre de santé
publique en nutrition à l'université de Washington, est venu présenter son
travail sur les «goûts et choix alimentaires chez l'enfant et
l'adolescent». Adam Drewnowski revient sur les dernières hypothèses qui
expliquent l'obésité. Car ce qu'il constate aux Etats-Unis pourrait bien être
valable en France.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=214511