Le personnel d’EDF et
GDF est en lutte un peu partout dans le pays contre le projet de loi
qui vise à transformer ces entreprises en sociétés anonymes,
condition préalable à l’ouverture de leur capital, puis à leur
privatisation. (Lire EDF,
la CGT se dégonfle : vers la crise ? NDLR)
Négligeant la forte
mobilisation du personnel pour la défense du service public - et
même menaçant de sanctionner les grévistes-, ignorant les prises de
position de nombreuses collectivités locales ainsi que l’opinion
publique majoritairement hostile à l’ouverture du capital, le
gouvernement maintient le projet de loi et décide de le faire voter
dans l’urgence en première lecture à l’Assemblée nationale. Il
répète à qui veut bien l’entendre qu’il n’est pas question de
privatiser, que le service public sera préservé et il fait mine de
céder aux revendications du personnel en déclarant que le capital ne
sera ouvert que dans un délai d’un an environ, après le travail
d’une commission qui évaluera les besoins exacts en capitaux. En
réalité, il s’agit là d’un pur effet d’annonce car ce délai est de
toute manière techniquement nécessaire à la mise en ¦uvre de la loi.
Pourtant, l’assurance avec laquelle Sarkozy martèle ces déclarations
(la même d’ailleurs qu’avait Strauss-Kahn à l’époque lorsqu’il
jurait que France Télécom ne serait jamais privatisée ! ) en
arrive à tromper une partie de la population qui pense maintenant
que l’action du personnel a abouti. Il n’en est rien. Il faut
insister sur le fait que c’est le passage d’EDF et GDF en sociétés
anonymes qui représente le feu vert à la privatisation, puisque
l’ouverture du capital se fait ensuite sans contrôle parlementaire.
Dans cette période
cruciale où la bataille se joue aussi au niveau de l’opinion, on
constate l’ampleur de la désinformation faite par les media et le
gouvernement au sujet de l’évolution de ces entreprises.
L’ouverture du
capital est présentée comme résultant des obligations européennes,
alors que les Directives imposent l’ouverture du marché de l’énergie
à la concurrence mais ne disent rien sur le statut des entreprises
du secteur énergétique qui peuvent être publiques ou privées. Même
si elle n’est pas obligatoire, l’ouverture du capital d’EDF et GDF,
et à terme leur privatisation, relèvent bien de la même logique
libérale qui consiste à réduire le plus possible le domaine du
service public pour étendre celui du marché et de la recherche de
profit.
Jamais n’est
abordée dans les grands media la question essentielle du contenu
d’un véritable service public de l’énergie : on nous parle de
la nécessité de donner à EDF et GDF les moyens financiers de se
développer dans le contexte concurrentiel, mais on se garde bien de
discuter de la nature du développement dont aurait besoin le service
public. De même, jamais n’est posée la question des choix
énergétiques répondant aux besoins sociaux et environnementaux. Un
débat parlementaire sur la question de l’orientation énergétique du
pays a été bâclé en 3 jours, alors que la décision de lancer le
palier nucléaire EPR avait déjà été officiellement annoncée.
Jamais n’est
dénoncée l’absurdité de la notion de "marché électrique européen"
prônée par la Commission européenne, absurdité qui a été pourtant
démontrée par des spécialistes peu susceptibles de penchants
anti-libéraux comme François Soult (EDF, chronique d’un désastre
inéluctable, Calmann Levy), ou Marcel Boiteux, ancien Président
d’EDF. Les lois de la physique (il se perd beaucoup d’électricité
dans les lignes de transport), les obstacles géographiques (comment
faire passer des lignes haute tension à travers les Pyrénées ou les
Alpes) et écologiques (au nom de quoi les imposer à des populations
qui les refusent), enfin les caractéristiques particulières de
l’électricité (elle ne se stocke pas, la production doit donc à tout
moment correspondre à la consommation appelée sur le réseau) sont
autant de réalités qui rendent inconcevable un marché électrique
européen.
Jamais n’est remise
en cause cette marche forcée vers la libéralisation du secteur de
l’énergie malgré les expériences très négatives dans les autres
pays. Il a pourtant été prouvé que la concurrence non seulement ne
fait pas baisser les prix mais entraîne des envolées spectaculaires.
Le président d’EDF en est réduit à "s’engager formellement à ce que
la hausse du kilowattheure ne soit que modérée". On sait
parfaitement que les investissements nécessaires pour garantir la
production et le transport de l’électricité sont très lourds. Les
opérateurs privés refusent de les réaliser car ils ne sont pas
rentables sur le court terme et il n’y a pas de garanties de
débouché au niveau des clients lorsque le secteur est ouvert à la
concurrence. Des risques énormes de pannes, de coupures géantes et
de pénurie d’électricité existent alors à cause du manque
d’investissement mais aussi à cause du comportement des producteurs
qui peuvent organiser la pénurie pour faire monter les prix.
L’absurdité de tout ce processus est reconnue par beaucoup des
technocrates qui travaillent à mettre en place cette libéralisation,
et ceci quelle que soit leur appartenance politique.
On ne peut qu’être
sidéré par le seul argument qui reste pour justifier la poursuite de
la libéralisation : "c’est inéluctable, il faut s’adapter aux
Directives européennes (l’argument suprême consistant à rappeler que
la libéralisation fait l’unanimité puisqu’elle a été approuvée au
sommet de Barcelone en mars 2002 conjointement par le Président de
la république J. Chirac et le premier ministre L. Jospin), c’est le
sens de l’histoire, il ne faut pas refuser la modernité ni en avoir
peur". Sont ainsi rangés dans le camp des archaïques ou des
craintifs tous ceux qui dénoncent les dangers du processus de
libéralisation du secteur de l’énergie, qui savent que rien de tout
cela n’est inéluctable car ce qui a été engagé par une décision
politique peut de la même manière être arrêté par une décision
politique.
Mais pour pouvoir
peser sur le gouvernement et obtenir l’arrêt du processus de
libéralisation, refuser la privatisation d’EDF et la dégradation du
service public, il est indispensable que tous les citoyens soient
informés de ces enjeux majeurs. Or les media dans leur grande
majorité ne font pas cette information. Ils ne font pas non plus une
information correcte sur les actions du personnel en lutte contre le
projet de loi. Tous les media ont largement commenté la coupure du
réseau de la SNCF de Paris Saint-Lazare qui a pénalisé les passagers
"pris en otages", mais combien d’entre nous avait auparavant entendu
parler des nombreuses actions qui avaient lieu un peu partout depuis
des semaines pour rétablir le courant aux plus démunis après coupure
pour impayé, basculer en tarif de nuit les abonnés pour abaisser
leur facture, faire des opérations péages gratuits, etc ?
L’opinion publique est aujourd’hui dans sa majorité favorable à la
lutte du personnel d’EDF, mais pour combien de temps ? Des
attaques régulières contre les soi-disant privilèges exorbitants des
agents EDF se multiplient sans aucune possibilité de démenti. On
nous dit que le personnel paie l’électricité moins cher et donc la
gaspille allègrement, c’est d’ailleurs le seul moment où on parle de
la nécessité des économies d’énergie ! On entend que le comité
d’entreprise d’EDF est le plus riche de France et que ce sont les
citoyens ordinaires qui par leur facture d’électricité paient pour
les vacances du personnel d’EDF, et qui paient aussi pour leur
retraite. Ou que la garantie de l’emploi est un privilège honteux
dans le contexte actuel de chômage. Il faut a minima rétablir
quelques vérités. Il est vrai que les salarié-es d’EDF paient moins
cher leur électricité, c’est un élément de leur salaire, de même que
l’offre de séjours de vacances à des prix avantageux dans des
centres gérés par le Comité d’entreprise. Si le budget du comité
d’entreprise était transformé en augmentation de salaire pour le
personnel, celle-ci serait environ de 5%. L’avantage que représente
le kilowattheure moins cher ne dépasse pas 1500 euros par an pour un
grand pavillon. Même en intégrant ces deux éléments de salaire
(l’avantage de l’électricité moins chère et la récupération en
salaire du budget du CE) le salaire moyen du personnel d’EDF est à
qualification équivalente inférieur au salaire moyen dans le secteur
privé. Alors combien coûte aux citoyens ordinaires les
"extraordinaires privilèges" des salariés d’EDF ? L’Etat -donc
le contribuable- n’a pas versé un euro à EDF depuis 22 ans, et c’est
au contraire EDF qui chaque année verse à l’Etat une rémunération
qui varie selon les années entre 300 millions et 1,3 milliards
d’euros. Les pensions des retraité-es d’EDF sont payées par les
cotisations patronales et salariales d’EDF, sans contribution
extérieure. Au final, l’unique canal de prélèvement sur les
usagers-citoyens se fait à travers leur facture d’électricité et de
gaz : or le prix du kilowattheure en France est l’un des moins
chers d’Europe !
Mais alors, si le
service public est capable d’offrir aux usagers un kilowattheure
très bon marché, s’il est capable non seulement de ne pas absorber
des crédits publics mais au contraire de rémunérer l’Etat, et en
même temps de donner à ses salariés des "avantages" considérables
ainsi que la garantie de l’emploi, c’est que son principe est bien
supérieur à celui du marché, non ? Plutôt que vouloir remplacer
le service public qui a prouvé son efficacité par le marché de
l’énergie qui a montré son échec, ne doit-on pas exiger du
gouvernement l’arrêt du processus en cours ? Et exiger la
participation démocratique à la définition de la politique
énergétique ? 20 juin 2004
Christiane Marty,
membre du conseil scientifique d’Attac
Courriel d’information ATTAC
n°474 mercredi 23 juin 2004 - http://attac.org/
Lire aussi :
EDF,
la CGT se dégonfle : vers la crise ?
EDF : La base
s’impatiente ! ! ! ! |