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Rebonds

La France se dit laïque mais la recherche médicale y subit le dogme de la religion.
La nouvelle loi bioéthique otage des églises

Par Sylvain REBOUL
lundi 02 août 2004

Sylvain Reboul
enseignant de philosophie, Angers.



la nouvelle loi de bioéthique peut susciter l'hilarité par son côté absurde ou la colère devant l'hypocrisie qu'elle manifeste. Mais il est nécessaire d'aller plus loin pour tenter de comprendre comment on a pu en arriver là.

Si nous en comprenons la teneur, elle interdit les recherches fondamentales ou appliquées sur l'embryon humain et le clonage thérapeutique tout en suspendant cette interdiction pendant cinq ans dans des cas à finalité thérapeutique avérés, quitte à revoir dans cinq ans cette interdiction de principe, si ces finalités thérapeutiques (dont la possibilité du clonage thérapeutique, officiellement interdit) s'avéraient un succès. Ce texte, qu'on n'ose appeler une loi, tant celui-ci semble se suspendre lui-même, peut satisfaire momentanément les chercheurs : bien qu'il sépare arbitrairement recherches fondamentales et recherches thérapeutiques, il lève, en effet, l'interdiction totale de la loi de 1994. Mais il reste d'une indiscutable absurdité logique, ce qui rendra certainement problématique, sinon impossible, son application, sinon en autorisant au coup par coup ces recherches tout en faisant croire hypocritement qu'elles restent globalement interdites et/ou qu'elles peuvent l'être à tout moment, afin de soumettre les chercheurs à la menace, en forme d'épée de Damoclès, d'une sanction toujours possible. Comment expliquer cette décision législative pour le moins paradoxale ?

Il semble que la position d'interdiction totale des églises quant aux recherches sur l'embryon humain dans un but indissociablement de connaissance et de thérapie (y compris le clonage dit thérapeutique) se soit imposée, aux yeux des parlementaires qui l'ont votée, comme ayant une valeur supérieure à l'avis des citoyens alors que nous sommes dans une démocratie qui se veut laïque. La position militante (lobbying) et l'attitude de refus métaphysique et absolu ­ donc systématique ­ des églises, au nom de valeurs métaphysiques chrétiennes, de toute recherche sur l'embryon humain et du clonage thérapeutique ont joué en cette affaire un rôle décisif. Or, cela paraît contraire au développement des connaissances scientifiques et du progrès médical dont tous les hommes pourraient, à terme, bénéficier. De même, le refus de l'avortement et de la contraception chimique ou physique par l'église catholique est contraire à l'autonomie des femmes. Quant au refus du préservatif, il est, dans le contexte du sida, objectivement criminel. Mais, dans ces cas, nos représentants ont eu raison de ne pas suivre ces interdits religieux.

Là, en revanche, l'aspect paradoxal de cette loi signifie une chose : une position religieuse est, en tant que religieuse, nécessairement antidémocratique. Son autorité prétendue et sa légitimité viennent d'en haut (Dieu) et non d'en bas (les individus citoyens). On ne peut et on ne doit pas mêler, sans risquer ce genre de paradoxe, une pratique démocratique de la politique et une vision transcendante (absolue) des valeurs : elles s'opposent terme à terme. Il est bon de le rappeler dans un pays qui se dit et se veut le seul laïque de la planète.

Si le gouvernement et les parlementaires de notre pays, au nom de la laïcité, ont eu raison de refuser de mettre Dieu et la référence chrétienne dans la future Constitution européenne, ils ont tort, pour le même motif, de faire d'une interdiction de nature religieuse de connaissance et de thérapie un dogme suspendu au-dessus de la tête des citoyens et des chercheurs.

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