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novembre 2003 -  Page 28

La toile de SPIP

Par Philippe Rivière

Il existe un point commun entre des sites Internet aussi opposés que ceux d’Act Up-Paris et de la « mission isolement » de Mme Christine Boutin, le site gouvernemental d’information sur les retraites, celui du Forum social européen ou celui du Monde diplomatique. Tous ces sites fonctionnent grâce à SPIP, un logiciel de publication développé par Arnaud Martin, Antoine Pitrou et le signataire de ces lignes, avec l’appui de dizaines de contributeurs qui échangent leurs « recettes » sur le réseau.

Ce programme n’est pas destiné aux informaticiens, mais à tous ceux qui souhaitent s’exprimer sur la Toile. Il est malléable à souhait, comme en témoigne la diversité des « sites sous SPIP » répertoriés (1). Il a, surtout, la particularité d’être né d’un projet plus politique que technique, et reste imprégné des valeurs que ses concepteurs entendent défendre. Par exemple, au lieu d’imposer des hiérarchies complexes entre les différents intervenants sur un site (visiteurs, rédacteurs, rédacteurs en chef, correcteurs, graphistes, etc.), SPIP insiste sur les responsabilités de chacun. L’aide et la documentation, souvent négligées dans ce type de projet, sont faites pour accompagner les débutants et faciliter leur expression en ligne sans en passer par un professionnel.

Le succès de ce logiciel gratuit, développé par des bénévoles, dérange des intérêts et aiguise des appétits. Mais le programme est protégé par un « contrat » ­ la licence publique générale (GPL) ­ qui le met à l’abri d’éventuelles tentatives d’appropriation ou de privatisation. En le plaçant sous cette licence, les auteurs de SPIP donnent à chaque utilisateur la liberté de lire le code et de le modifier, ainsi que le droit de le redistribuer, en posant une seule condition : que le programme redistribué offre à ses utilisateurs les mêmes libertés.

Un risque pèse sur son avenir, comme sur celui de tous les logiciels « libres » : la reconnaissance, par la Commission de Bruxelles, des brevets informatiques les placerait de facto sous la menace des sociétés d’informatique « propriétaires ». Car les firmes déjà détentrices de milliers de brevets informatiques aux Etats-Unis ou au Japon pourraient faire reconnaître et appliquer ces brevets en Europe, alors que les petits producteurs de logiciels n’ont ni les moyens financiers ni le désir de prendre des brevets pour interdire aux autres d’utiliser leurs trouvailles.

La loi, au lieu de protéger ces biens publics mondiaux, se transformerait alors en épée de Damoclès. En renforçant l’influence des oligopoles, pour qui la licence GPL est contagieuse « tel un virus », elle émietterait cette parcelle d’indépendance technologique conquise par les pays et les groupes sociaux qui tentent de se dégager de leur emprise.

La prochaine version de SPIP sera multilingue (elle est déjà traduite dans des langues telles que l’arabe, le créole de la Réunion, le languedocien, l’anglais, le danois, l’espéranto, etc.). Sur le Net comme ailleurs, la « diversité culturelle », tarte à la crème des colloques sur la « société de l’information », n’existe que si chacun ose participer.


(1) On trouvera cette liste, ainsi que la documentation et les fichiers à télécharger, sur le site http://www.spip.net/

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