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La définition des troubles varie selon les études
LE MONDE | 23.10.04 | 20h54
Pour communiquer et développer des études comparables, les spécialistes de pathologies mentales se sont accordés sur des classifications internationales, largement inspirées de la nosographie américaine.

Est-il réellement possible d'évaluer la prévalence des troubles psychiques dans la population générale ? Contrairement aux maladies somatiques dont la définition ne souffre guère de problèmes d'interprétation, le recensement des troubles mentaux, dont le diagnostic est éminemment plus subjectif, pose de redoutables difficultés de méthodologie aux chercheurs.

Pour communiquer et développer des études comparables, les spécialistes de pathologies mentales se sont accordés sur des classifications internationales, largement inspirées de la nosographie américaine. Elles s'apparentent à des listes de symptômes, qui doivent figurer selon des combinaisons et des fréquences particulières pour caractériser un diagnostic précis. Mais s'ils prétendent à l'exhaustivité, ces systèmes ne sont pas sans défauts : la définition des troubles psychiques varie d'un système à l'autre, ce qui entraîne des différences de résultats, parfois très importantes.

En matière de psychiatrie, les premières enquêtes épidémiologiques sur des populations de grande ampleur ont été menées aux Etats-Unis au début des années 1980. Les questionnaires étaient alors basés sur le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM), un catalogue de plus de 300 symptômes, régulièrement remanié, et devenu la bible des psychiatres du monde entier. Dans les années 1990, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) s'est à son tour dotée d'un système d'évaluation, basé sur la classification internationale des maladies (CIM 10).

La plupart des études épidémiologiques reprennent l'une ou l'autre de ces classifications : le Mini International Neuropsychiatric Interview (MINI), un entretien diagnostique rapide qui a été utilisé pour l'enquête française "Santé mentale en population générale", s'inspire ainsi à la fois du DSM et de la CIM.

PAS DE "GOLD STANDARD"

Il n'existe pas, "à l'heure actuelle de "gold standard" dans l'évaluation des troubles psychiques", explique Aude Caria, psychologue et responsable méthodologique de l'enquête française, dans une note de cadrage. Or ces différences de méthodologie induisent de nombreux biais dans les comparaisons entre enquêtes, les résultats "pouvant varier de 3 % à 15 % pour les troubles dépressifs par exemple". Ainsi, l'enquête française aboutit, pour les "épisodes dépressifs", à des prévalences plus élevées que les études qui utilisent les critères du DSM IV, plus restrictifs. Les résultats des enquêtes peuvent varier en fonction de la définition des troubles, de la manière dont l'enquêteur pose les questions, mais aussi en fonction de la mémoire des personnes interrogées sur leurs troubles ou plus simplement, de leur niveau culturel.

Chercheur à l'Inserm et co-inventeur du MINI, le docteur Yves Lecrubier admet que les études épidémiologiques en santé mentale comportent de nombreux biais. "Les variations sont certaines d'une étude à l'autre, et ce pour des problèmes méthodologiques", explique-t-il.

Cependant, "les résultats des enquêtes sont fiables au niveau des troubles principaux : on ne se trompe pas sur le nombre de personnes qui présentent une souffrance et un certain nombre de troubles". Reste à affiner, dans ce qui est mesuré, la proportion de personnes qui nécessitent réellement une prise en charge : comme le soulignait le Conseil économique et social, dans un rapport de 1997 sur les maladies mentales, le "risque d'une nosographie extensive serait de psychiatriser à outrance notre société".

Cécile Prieur

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 24.10.04


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