Pour communiquer et développer des études
comparables, les spécialistes de pathologies mentales se sont
accordés sur des classifications internationales, largement
inspirées de la nosographie américaine.
Est-il réellement possible d'évaluer la prévalence des troubles
psychiques dans la population générale ? Contrairement aux maladies
somatiques dont la définition ne souffre guère de problèmes
d'interprétation, le recensement des troubles mentaux, dont le
diagnostic est éminemment plus subjectif, pose de redoutables
difficultés de méthodologie aux chercheurs.
Pour communiquer et développer des études comparables, les
spécialistes de pathologies mentales se sont accordés sur des
classifications internationales, largement inspirées de la
nosographie américaine. Elles s'apparentent à des listes de
symptômes, qui doivent figurer selon des combinaisons et des
fréquences particulières pour caractériser un diagnostic précis.
Mais s'ils prétendent à l'exhaustivité, ces systèmes ne sont pas
sans défauts : la définition des troubles psychiques varie d'un
système à l'autre, ce qui entraîne des différences de résultats,
parfois très importantes.
En matière de psychiatrie, les premières enquêtes
épidémiologiques sur des populations de grande ampleur ont été
menées aux Etats-Unis au début des années 1980. Les questionnaires
étaient alors basés sur le Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux (DSM), un catalogue de plus de 300 symptômes,
régulièrement remanié, et devenu la bible des psychiatres du monde
entier. Dans les années 1990, l'Organisation mondiale de la santé
(OMS) s'est à son tour dotée d'un système d'évaluation, basé sur la
classification internationale des maladies (CIM 10).
La plupart des études épidémiologiques reprennent l'une ou
l'autre de ces classifications : le Mini International
Neuropsychiatric Interview (MINI), un entretien diagnostique rapide
qui a été utilisé pour l'enquête française "Santé mentale en
population générale", s'inspire ainsi à la fois du DSM et de la
CIM.
PAS DE "GOLD STANDARD"
Il n'existe pas, "à l'heure actuelle de "gold standard" dans
l'évaluation des troubles psychiques", explique Aude Caria,
psychologue et responsable méthodologique de l'enquête française,
dans une note de cadrage. Or ces différences de méthodologie
induisent de nombreux biais dans les comparaisons entre enquêtes,
les résultats "pouvant varier de 3 % à 15 % pour les troubles
dépressifs par exemple". Ainsi, l'enquête française aboutit,
pour les "épisodes dépressifs", à des prévalences plus élevées que
les études qui utilisent les critères du DSM IV, plus restrictifs.
Les résultats des enquêtes peuvent varier en fonction de la
définition des troubles, de la manière dont l'enquêteur pose les
questions, mais aussi en fonction de la mémoire des personnes
interrogées sur leurs troubles ou plus simplement, de leur niveau
culturel.
Chercheur à l'Inserm et co-inventeur du MINI, le docteur Yves
Lecrubier admet que les études épidémiologiques en santé mentale
comportent de nombreux biais. "Les variations sont certaines
d'une étude à l'autre, et ce pour des problèmes
méthodologiques", explique-t-il.
Cependant, "les résultats des enquêtes sont fiables au niveau
des troubles principaux : on ne se trompe pas sur le nombre de
personnes qui présentent une souffrance et un certain nombre de
troubles". Reste à affiner, dans ce qui est mesuré, la
proportion de personnes qui nécessitent réellement une prise en
charge : comme le soulignait le Conseil économique et social, dans
un rapport de 1997 sur les maladies mentales, le "risque d'une
nosographie extensive serait de psychiatriser à outrance notre
société".
Cécile Prieur