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Portrait

Christophe Hondelatte, 42 ans, tente d'imposer son style boy-scout au 13 heures de France 2 et fait le grand écart entre sa foi et sa vocation précoce d'animateur.
Faculté cathodique

Par Pascale NIVELLE
vendredi 28 janvier 2005

Christophe Hondelatte en sept dates
1962
Naissance à Bayonne.
1983
Reporter dans les locales de Radio France.
1989
Reporter à France Info et à France Inter.
1996
Présente le 19 heures de France Inter.
2000
Présentateur du 13 heures sur RTL.
2002
Faites entrer l'accusé.
2004
Le 13 heures de France 2.

imaginons une autre messe. Une autre époque, quand les curés faisaient de l'audience, quand le prêt-à-penser tombait de la chaire. Et Christophe Hondelatte officiant, dans une église du Pays basque, sourire à faire chavirer les paroissiennes. «Quel beau prêtre il aurait fait, j'imagine le show, le dimanche matin», lâche un ami. Entrer dans les ordres ? Le présentateur du 13 heures de France 2, «curaillon grave» comme il dit, y a pensé «mille fois». Culpabilisé entre deux vies, la catholique et la cathodique, il joue avec le diable : «J'ai un rapport compliqué avec la réussite.» L'argent l'éloigne «des gens», la notoriété le fascine et le terrorise. Souvent, en ouvrant le courrier de ses ouailles médiatiques, la tentation l'effleure de passer dans l'ombre : «Le présentateur télé n'est pas loin de Dieu. Des femmes m'écrivent pour s'offrir, en donnant leurs mensurations. Au fond de moi-même, moralement, je sais que ce n'est pas ça, être un type bien.» C'est ce qu'il se dit, au volant de sa Smart. Le lendemain, il pique une colère en se découvrant «immonde» sur des clichés du photographe maison pour la prochaine campagne de pub. Et rappelle les maquilleuses pour se faire tirer des portraits plus avantageux par un copain. «Des quatre par trois avec ma tête dans tout Paris. On va pas faire n'importe quoi !»

Arlette Chabot cherchait le Mourousi ou le Guillaume Durand du moment pour bousculer la liturgie du treize heures. Surgit Christophe Hondelatte, reporter monté en graine à Radio France et RTL. Un autodidacte hétéroclite et charmeur, présentateur de journaux radio, puis de l'émission Faites entrer l'accusé, sur France 2. Il semble avoir eu un micro pour biberon. Il n'a peur de rien. Finis les masques de cire, les présentateurs paraplégiques, les prompteurs aseptisés et les salaires service public. Le sien est un secret d'Etat : «Je me tais, j'ai passé un deal avec le patron.» Successeur de Daniel Bilalian, ce clone triste de Jean-Pierre Pernaut, Hondelatte arpente le plateau, parle avec les mains et a rangé les dictionnaires. «Alors, c'est le bordel ?», lance-t-il à ses invités, deux chiens de combat lâchés pour six minutes de débat quotidien. Devant l'actrice des Monologues du vagin, il annonce un truc de gonzesses et de chattes. Quand la rédaction s'indigne, il hurle : «Je me casse !» L'entourage signale un «ego bien accroché». Un individualiste, qui s'autorise à sécher les voeux du Président et l'émission spéciale de la rédaction sur le tsunami, parce qu'il «ne supporte pas l'hystérie collective». Sympathique selon les uns : «C'est un gosse, d'une incroyable curiosité, d'une incroyable énergie, qui se remet en selle quoi qu'il arrive.» Horripilant pour beaucoup : «Il est conforme, très contemporain, dit un ancien de la chaîne, de cette génération barbare, entre journalistes et animateurs. Un mercenaire de lui-même. Il ne s'attache pas, il est gentiment réac, totalement inculte et s'en fait gloire. Son désir fait loi.»

En quatre mois, Hondelatte s'est fait ses premiers ennemis. Il mesure le «gouffre de la célébrité», effrayé de la place «surdimensionnée» accordée aux gens de télé : «Plus personne ne me parle normalement.» Pourtant, il n'a pas cassé la baraque : 18 % de parts de marché, un peu moins que Bilalian. Sur TF1, Pernaut reste à 54 : «Son journal est bon, sauf à penser que la moitié des Français sont des cons, dit Hondelatte. Il parle à des gens isolés, qui ont une petite vie étriquée. Tout le monde n'a pas un rayonnement personnel qui permet de s'intéresser à la planète. Il rassure, je le comprends.» Au fond, l'actualité heureuse, il en rêve. Gêné de servir la misère du monde sur son plateau avec vue sur la Seine, lui qui ne croit qu'à la solidarité de proximité. «Reporter, ça allait. C'est un peu une assistante sociale, on est payé pour aller chez les gens en difficulté. Mais présentateur, c'est du vent, du fast-food.»

C'est lui qui a imposé «l'interview d'empathie» en fin de journal. Un invité de son choix, en tête à tête. Souvent un citoyen méritant ou une vedette de la chanson française. «Rien de branchouille, d'intello.» Il aime Sardou, Bruel, Véronique Sanson et Benjamin Biolay. «Pas du tout cinéphile», encore moins amateur de théâtre, il ne lit que par utilité : «C'est pas superdéterminant pour moi.» La politique ? Il n'y croit pas. Moins qu'à la fraternité, ambiance feu de camp et énergie positive. Son «Gardez la pêche» avant le générique de fin a miné la rédaction pendant des mois. Il a fallu négocier avec les syndicats. Depuis Noël, c'est : «Gardez la banane.» C'était ça ou il partait. Son idée du purgatoire : «Quand je serai au placard, dit-il, je ferai des reportages pour Envoyé spécial.»

Et Dieu dans tout ça ? Comme la radio, une histoire de jeunesse, de Pays basque. Ses parents, un père directeur de bureau d'études et une mère dans le social, ne l'ont pas poussé. «C'étaient pas des culs-bénits, juste des gens normaux.» Pas de curé dans la famille. Mais à Bayonne, dans son lycée, il y avait un abbé qui «emmenait les jeunes sur le chemin de la foi». Des week-ends d'aumônerie ont révélé sa deuxième vocation : «A 13 ans, on se mettait face à face, un pour, un contre et on avait cinq minutes pour convaincre. Très vite, j'ai été celui qui animait», raconte Hondelatte. «Il était croyant, et voulait faire de la radio, se souvient le père Bordagarray, avec simplicité, c'était déjà le bonhomme d'aujourd'hui.» Qui forçait la porte de la radio locale et militait à la JEC, la Jeunesse étudiante chrétienne. Il se voyait éducateur, psychologue, proviseur ou magistrat, «un métier utile». Et n'aimait déjà pas l'Eglise : «A côté de la plaque. J'aimerais qu'elle soit un peu plus américaine, qu'elle sache accueillir les gens, pas seulement quand ils sont en vrac aux enterrements.» Il s'en passe, sûr de sa bonne étoile. Un jour, il y a une dizaine d'années, «ce célibataire de toujours» selon un ami, a présenté son fils, Johnny. Un môme de 14 ans, surgi de son autre vie, celle dont il ne veut pas parler, où il donne des cours d'alphabétisation en banlieue et visite les détenus en prison. «La vie de moine», mystérieuse et secrète, qui intrigue les plus proches. Pourquoi le taire ? «Ma main gauche ignore ce que fait ma main droite», commence-t-il. Puis il lâche : «Mon investissement personnel, c'est la prison. J'y vais toutes les semaines. C'est mon émission, Faites entrer l'accusé, qui m'a emmené là-dessus.» Il ajoute : «Ce que je sais, c'est que les assassins, violeurs, pédophiles, sont des gens qui nous ressemblent. J'ai une vraie fraternité à leur endroit. Ils sont le pire de nous-mêmes.» Chacun a sa part d'ombre. Même les papillons pris dans la lumière.

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