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13 janvier 2005 02:46
 
Les archives de l'Humanité  

Au sommaire du 12 janvier 2005

- Tsunami : la fierté de l’Inde
- Faire le hadj
- Pratiques numériques
- Le travail après sa « fin »
- les lecteurs en direct
- L’invitée de la semaine Catherine Binon

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tribune libre
Tsunami : la fierté de l’Inde

Par Catherine Clément,

philosophe et romancière.

Avec guère moins de quinze mille morts sur les côtes du Tamil Nadu et du territoire de Pondichéry, ainsi que dans les archipels d’Andaman et de Nicobar, l’Inde fait partie des nations les plus touchées par le tsunami, après l’Indonésie et le Sri Lanka qui ont accepté l’aide internationale pour les premiers secours, le Sri Lanka, tout de suite, l’Indonésie, très tôt. Mais si elle semble prête à accepter des fonds ultérieurs pour la reconstruction, l’Inde a refusé toute aide d’urgence, d’emblée. L’Occident n’aime pas cela du tout.

Sur les écrans français, les premiers jours, on entendit de jeunes grandes reporteuses s’indigner de ce comportement, exiger l’ouverture des îles Andaman, s’appuyer sur des rumeurs invérifiables pour accuser l’Inde de les abandonner, mettre en cause le gouvernement de l’Inde sans percevoir leur arrogance, leur insupportable arrogance de filles issues d’un pays riche, anciennement colonial de surcroît. Puis on nous apprend qu’ à la conférence de Jakarta, l’Inde s’est assise « à la table des donateurs », avec le ton qu’on avait autrefois pour parler de la table des maîtres. Certes, l’émotion submerge ceux et celles qui, courageusement, affrontent, micro en main, l’horreur des corps gonflés sans têtes ni bras ni jambes, et le regard désespéré des survivants. Mais à la fin, cela suffit ! En 1990, c’est l’Inde qui envoya des denrées alimentaires en Union soviétique, qui connaissait de sérieux problèmes agricoles. L’Inde aidant la Russie ? Oui.

La première catastrophe humanitaire de l’après-guerre se déroula en Inde en 1947, dans l’indifférence des nations épuisées par quarante millions de morts. Décidée par le travailliste Clement Atlee avec d’excellentes intentions, la partition des Indes britanniques entre Pakistan et Inde fut bâclée par lord Mountbatten, et trop vite acceptée par Mohammed Ali Jinnah, leader de la Ligue musulmane d’un côté, et Jawaharlal Nehru, leader du Parti du Congrès, de l’autre. Hindous, musulmans et sikhs s’entre-égorgèrent sur le chemin d’un double exode : les musulmans rejoignant le Pakistan, les hindous rejoignant l’Inde, et les deux traversant le Penjab, pays des Sikhs, sottement partagé par le milieu. Encore aujourd’hui, on ne connaît pas le nombre des morts : entre 300 000 et 500 000 ? Davantage ? On ne sait pas. Cette catastrophe a laissé en Inde d’ineffaçables empreintes dans la mémoire collective. À la fin de l’automne, quand les massacres et les épidémies s’arrêtèrent, commença la guerre du Cachemire ; en dépit de l’opposition du Mahatma Gandhi, Nehru fit appel à l’ONU, qui envoya sur la frontière ses tout premiers observateurs. Ils y sont encore. Autant dire qu’en matière de désastres et d’appel à l’ONU, l’Inde n’a de leçon à recevoir de personne au monde.

Fille de Nehru, qui fut l’un des hérauts du Mouvement des non-alignés, Indira Gandhi, alors premier ministre de l’Inde, se trouva confrontée en 1966 à une menace de disette. En cas pareil, l’Union soviétique vendait du blé, mais cette année-là, les récoltes seraient - mauvaises dans l’Union. Indira Gandhi alla voir le président des États-Unis d’Amérique, Lyndon Johnson, qui l’attendait de pied ferme : car à l’époque, les Américains anticipaient parfaitement bien la mesure des récoltes en Union soviétique. Sitôt la visite officielle terminée, les pressions américaines commencèrent. Lyndon Johnson accorderait à l’Inde l’aide alimentaire nécessaire, sous condition qu’elle accorderait sa voix aux États-Unis à l’Assemblée générale de l’ONU à propos du Vietnam. L’Indienne refusa tout net ce chantage, et convoqua les plus grands savants de son pays. À eux de se débrouiller pour dénicher les graines capables d’assurer plusieurs récoltes au lieu d’une. Les savants s’exécutèrent, notamment le grand généticien Subramanyan. En quelques années, ce fut fait : il n’y eut plus jamais d’insuffisance alimentaire en Inde. Cette révolte de pauvres s’appelle la Révolution verte et c’est à cause d’elle que l’Inde put nourrir l’Union soviétique en difficulté.

La politique indienne se partage aujourd’hui entre le Parti du Congrès, centre gauche, socialiste modéré, qui a, heureusement, remporté les dernières élections et le BJP, parti d’extrême nationalisme hostile aux 150 millions de musulmans de l’Inde, voire franchement raciste. Il y a quelques années, quand le BJP accéda aux affaires, l’un de ses premiers gestes fut de faire exploser la deuxième bombe atomique indienne. La première explosion nucléaire, en 1974, s’affirmait pacifique et à des fins civiles, celle du BJP, en 1998, se voulait ouvertement militaire. Il n’empêche : l’Inde entière fut soulevée d’enthousiasme devant cette manifestation d’autonomie. Car s’il y a bien une chose qui fait consensus en Inde, c’est la fierté nationale, le refus de toute humiliation. Le ministre des Finances, Chidambaram, vient de déclarer aux agences de presse que son pays acceptera des fonds de reconstruction, mais dans la même déclaration, il précise avec une légitime fierté que l’Inde a fait partie des premiers donateurs.

Et du coup, on l’accuse. C’est le foutoir ? Comme d’habitude ; en Inde, l’ordre naît du désordre. On brûle très vite les corps ? Bien sûr, dans la journée, selon le rite hindou. Mais on a commencé à vacciner aussi dans la journée. On confie le soin des cadavres aux « intouchables » ? Mais alors il ne faut pas oublier de dire que l’ancien président de l’Inde, K. R. Narayanan, est né dans cette catégorie qui n’est pas une caste, et que l’Inde préfère appeler, aujourd’hui avec respect, les « dalit ».

Même s’il existe en Inde 24 millions de chrétiens, ils ne représentent que 2, 3 % de l’immense population de l’Inde. Et même si c’est en Inde qu’ont trouvé leurs voies le père Ceyrac, le Français, à Chennai (Madras), mère Teresa, l’Albanaise, et le frère Gaston, le Suisse, dans les bidonvilles de Calcutta, le statut du caritatif en Inde n’est pas d’origine chrétienne. Pas du tout ! La solidarité en Inde provient des liens étroits à l’intérieur de la famille élargie dont aucun membre ne doit demeurer à l’abandon, mais surtout, elle prend sa source dans des religions proprement indiennes : l’obligation caritative permanente que la religion sikh fait à chacun de ses membres, la tradition compassionnelle héritée du bouddhisme et du jaïnisme, et l’inspiration laïque laissée par le Mahatma Gandhi, lui-même influencé dans sa famille par le jaïnisme et le bouddhisme. Maintenant, examinons-nous. Nous ne le savons pas, mais notre solidarité, même pour les plus athées d’entre nous, porte la marque de la tradition caritative chrétienne. En quoi serait-ce un mal ? En rien. Il n’empêche... Je l’ai vu de mes yeux, il fut un temps, à Calcutta, où l’activisme de mère Teresa exaspérait le gouvernement marxiste-léniniste du Bengale, que la charité occidentale de la sainte humiliait. Bien sûr, ce temps n’est plus. Bien sûr, le gouvernement du West-Bengal, tout marxiste-léniniste qu’il soit, sut organiser de formidables obsèques nationales à l’héroïne de Calcutta. Pour autant, je n’ai pas oublié les vives réactions de celui qui n’était alors que ministre de la Culture, Budhadev Bhattacharia, et qui est aujourd’hui chief minister du West Bengal.

Je n’ai pas oublié non plus le curieux sentiment, mélange de reconnaissance et d’humiliation, éprouvé dans l’enfance au sortir de la guerre, quand la générosité américaine proposa le plan Marshall en Europe, lancé en 1947 pendant que l’Inde saignait de toutes parts. Aider, c’est formidable ; savoir aider, c’est mieux. Imposer l’aide des nations, c’est impossible et l’imposer à l’Inde alors qu’elle est en position d’obtenir un siège au Conseil de sécurité, c’est une insulte. En visite officielle aux États-Unis, aux journalistes qui l’assaillaient, Nehru répliquait superbement : « Je parle avec une voix douce parce que telle est la voix de l’Inde. » Douce et fière, intraitable, insoumise, indépendante.

* Une action privée, précise, et contrôlée : pour racheter des filets aux pêcheurs sinistrés et reconstruire leurs huttes au Tamil Nadu et dans le territoire de Pondichéry, vous pouvez envoyer des chèques à monsieur Claude Marius, ancien chercheur de l’Orstom, retraité à Pondichéry, secrétaire et trésorier de l’association France-Solidarité (Pondichéry), 106 Ste Thérèse Street, 605001 Pondichéry, Inde. L’association France-Solidarité (Pondichéry), fondée en 2001 à l’occasion du tremblement de terre du Gujarat, est enregistrée auprès du gouvernement de l’État de Pondichéry. Pour savoir ce que l’association fait de vos dons, joindre votre adresse électronique ou vos - coordonnées.

Article paru dans l'édition du 12 janvier 2005.

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