Hier, les consommateurs achetaient des produits 
            connus même lorsqu'ils étaient nettement plus chers que ceux des 
            distributeurs. Ces temps sont révolus. Perdus face à une profusion 
            d'offres et méfiants à l'égard des discours publicitaires, les 
            clients privilégient les prix bas.
            
            Qu'est-ce qui motive les consommateurs à payer 30 % plus cher un 
            produit dit "de marque" fabriqué, emballé et vanté dans les 
            publicités par une multinationale ? Plus grand-chose, en vérité. 
            "Moins cher mais aussi bon" semble être devenu le credo des 
            Européens, qui achètent de plus en plus souvent des produits 
            banalisés en furetant, comparant, critiquant... La tendance s'est 
            accélérée en 2004. Pour les multinationales de la grande 
            consommation, c'est un scénario noir qui se profile.
            Les chiffres d'affaires consolidés ne sont pas encore affectés 
            car des groupes comme Henkel et Procter & Gamble profitent de 
            leur présence dans des zones en croissance (Europe centrale, Asie, 
            Amérique latine). Mais certains fabricants ont déjà tiré le signal 
            d'alarme : les ventes de Coca-Cola stagnent, Colgate Palmolive ferme 
            un tiers de ses usines et, grâce aux économies ainsi dégagées, 
            s'apprête à augmenter de 20 % ses dépenses publicitaires ; même 
            l'indétrônable Beiersdorf (Nivea) annonce la stagnation de son 
            activité en Europe... Les résultats progresseront moins que prévu, 
            préviennent déjà les états-majors.
            Le transfert des achats vers les produits "sans marque" est 
            maintenant avéré : un tiers du riz vendu en France dans les super et 
            hypermarchés échappe aux marques traditionnelles, comme les deux 
            tiers des essuie-tout et des sacs poubelles ; 14 % des lingettes - 
            un produit pourtant cher - sont vendues par les maxidiscounters 
            Aldi, Lidl, Leader Price, etc. Et les ventes de lessive ou de lait 
            longue conservation - qui étaient relativement protégées grâce à des 
            situations d'oligopole - sont désormais attaquées.
            Le territoire commercial des marques se réduit comme peau de 
            chagrin. En France, si la situation n'a pas encore atteint les 
            extrêmes britanniques ou allemands, les fabricants sont confrontés à 
            une situation impensable il y a dix ans : environ 50 % des sommes 
            dépensées par les Français dans l'achat de produits courants 
            échappent aux grandes marques.
            Que s'est-il passé ? D'abord, la distribution est en pleine 
            tourmente. Les Danone, Nestlé et autres L'Oréal sont tributaires des 
            Carrefour, Auchan, Casino et Champion qui, eux, ne cessent de perdre 
            du terrain face aux Lidl, Aldi et Ed. Les marques ne peuvent 
            bénéficier de la croissance de ces enseignes dites "à bas prix" - 
            mais pas toujours moins chères - pour la bonne raison qu'elles n'y 
            sont pas vendues. Ensuite, les marques s'adressent désormais à des 
            consommateurs qui font leurs courses en picorant. Si un quart 
            d'entre eux va, de plus en plus souvent, chez les maxidiscounters, 
            ils fréquentent en moyenne trois enseignes différentes. Seuls 9 % 
            considéreraient le magasin à bas prix comme leur magasin 
            principal.
            La crise n'est donc pas le seul fait de la concurrence entre 
            circuits de distribution. Globalement, il semble que les industriels 
            internationaux aient rompu le lien privilégié qui les unissait 
            depuis quarante ans à leurs clients : 64 % des Français estiment 
            aujourd'hui que les produits des grandes marques sont plus chers 
            sans que leurs hausses soient justifiées, selon l'institut IOD, cité 
            par le magazine professionnel LSA.
            Un nouvel emballage ne convainc plus ; pas plus qu'une prétendue 
            nouvelle formule ; ou que l'introduction d'un nutriment "bon pour la 
            santé". Les vieilles recettes de marketing ne fonctionnent plus. Les 
            consommateurs comparent et s'échangent les bons tuyaux, notamment 
            sur Internet.
            Résultat : les marques ont beau augmenter leurs investissements 
            publicitaires (comme Danone en 2003), leurs volumes de vente 
            baissent ou stagnent. "Du jamais-vu en vingt-cinq ans", 
            s'étonne Jean-Pierre Gaucher, directeur général d'IRI France.
            UNE OFFRE TROP COMPLEXE
            C'est que les consommateurs sont las. 58 % des Français jugent 
            que faire des courses dans un hypermarché est fatigant : ils vont à 
            l'économie de prix, mais aussi d'efforts. Or, le nombre de produits 
            (12 000 dans un supermarché, 40 000 à 50 000 pour un hypermarché), 
            déjà jugé trop important, ne cesse d'augmenter. En 2003, les grandes 
            surfaces comptaient 66 % de produits de plus qu'en 1994. Les 
            linéaires ont gagné un niveau et le nombre de produits par mètre 
            carré s'est accru de 11 %.
            L'offre est devenue trop complexe, car les marques de 
            distributeurs n'ont cessé de s'étendre : on trouve désormais, dans 
            chaque famille de produits alimentaires, un produit de base mais 
            aussi un bio, un "authentique", un allégé... A cela se sont ajoutés, 
            il y a un an, les produits sans marque, dits "premier prix" ("pouce" 
            chez Auchan ou "1" chez Carrefour et Champion). Créés par les 
            enseignes traditionnelles pour récupérer les consommateurs du 
            maxi-discount, ces produits grignotent des parts de marché au 
            détriment des grandes marques. Celles-ci, d'ailleurs, ne souffrent 
            plus la comparaison. Qui achètera du Boursin ou du riz Uncle Ben's, 
            présentés par Leclerc dans ses publicités comme 30 % plus cher que 
            ses propres produits ?
            Les industriels cherchent la parade. Certains envisagent d'entrer 
            chez les maxidiscounters avec une nouvelle marque. D'autres 
            pourraient fabriquer les produits aux couleurs des enseignes... 
            Quelques initiatives tactiques de repositionnement ont déjà vu le 
            jour. Procter & Gamble a, par exemple, baissé les prix de ses 
            serviettes hygiéniques Always, désormais vendues 18 % moins cher. 
            Cette décision lui a permis de regagner 3 points de part de marché. 
            Tropicana (PepsiCo) veut, lui, devenir un produit "plaisir": la 
            marque de jus de fruits a choisi de rester chère (2,5 euros le 
            litre) dans un rayon où la moitié des ventes sont réalisées par des 
            marques de distributeur à 1,93 euro en moyenne. Pari gagné : 
            Tropicana a réussi à gagner 10,6 % de part de marché en un an. Mais 
            l'argument ne saurait être généralisé.
            Florence Amalou et Laurence Girard
            
            Des clients de plus en plus critiques
            
            
Le magazine professionnel LSA (de novembre 2004) a tenté 
            de définir une typologie de l'évolution des consommateurs.
            1999-2000 : le consommateur est confiant. 
            
Les marques internationales servent de repère, le prix passe au 
            second plan. Les consommateurs ne sont que 33,9 % à regarder le prix 
            sur l'étiquette du produit. Ils sont 64,6 % à rester fidèles à une 
            grande marque dans le secteur de l'hygiène-beauté, 11 % achètent une 
            marque en promotion et 3,1 % une marque de distributeur. Une 
            majorité (54,9 %) de Français achètent une grande marque de produits 
            laitiers sans s'interroger.
            2001-2002 : le consommateur se fait 
            attentif.
Le prix focalise son attention, l'innovation 
            proposée par les marques passe au second plan. Le prix est un 
            critère de choix pour 62 % des Français. Ils sont 57 % à être 
            attentifs à la proximité et 60 % à se définir comme des accros de 
            l'innovation.
            2003-2004 : le consommateur est devenu 
            critique.
Les marques sont jugées trop chères, les prix 
            bas servent de refuge. 64 % des consommateurs estiment que les 
            grandes marques sont de plus en plus onéreuses. 89 % attribuent la 
            hausse des prix des grandes marques à la grande distribution, 70 % 
            aux fabricants. Ils ne sont plus que 22 % à déclarer être fidèles 
            aux grandes marques. 55 % des Français déclarent acheter dès que 
            possible les marques de distributeurs (MDD) et les marques "premiers 
            prix" vendues dans les supermarchés.
            
            
            Le "made in USA" passé de mode ?
            
            
Les marques américaines les plus emblématiques de la culture 
            locale - telles que Marlboro, Coca-Cola, McDonald's, American 
            Express, AOL, les poupées Barbie (Mattel) ou les bières Budweiser - 
            pourraient faire les frais de la politique étrangère et militaire 
            américaine, affirme le Financial Times du 30 décembre, en 
            citant un sondage GMI réalisé auprès de 8 000 consommateurs 
            internationaux.
            Environ un Européen et un Canadien sur cinq disent qu'ils ne 
            comptent plus acheter de produits vendus par des marques américaines 
            depuis la guerre en Irak. Si les adeptes du boycott restent 
            ultraminoritaires dans le monde, le sentiment qu'il n'est plus "à la 
            mode, chic et moderne" de consommer américain semble assez répandu. 
            Notamment parmi les jeunes. Des marques comme Kodak, Visa, Gillette, 
            Kleenex, Kraft et Heinz semblent relativement épargnées. En 
            revanche, celles qui communiquent habituellement sur leur héritage 
            américain envisagent d'alléger ce type de message auprès des 
            Européens.