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Y a (presque)
plus marqué La Poste... (1) : Le nouvel esprit du service
public dimanche 1er mai
2005
La
Poste, c'est le service public version Canada Dry : ça vend des
« produits financiers » comme du privé, ça recherche le
profit comme du privé, ça défend des parts de marché comme du privé,
mais ça reste, en théorie, du public. Enquête (près de chez nous)
sur cette mutation en cours, qu'on impose aux « clients »
et aux salariés.
« On n'a pas le
choix. » Monsieur Communication du « réseau Grand
Public », dans la Somme, Laurent Benois, le martèle, tantôt
enthousiaste, tantôt fataliste : « On n'a pas le
choix. » Avec ce refrain : « Pour le courrier, un
seul mot d'ordre, c'est la performance... Il faut tout faire pour
être prêts, performants, pour dépasser nos concurrents... C'est donc
fondamental pour la Poste d'avoir un service performant... »,
sa direction organise, d'ailleurs, des « rencontres
"Performances et Convergences" », « performance » qui
tourne à l'obsession, car, il m'explique, « on n'est pas au
top, quoi, largement en retard par rapport à d'autres pays, comme
l'Allemagne, les Pays-Bas. » En sortant de son bureau,
j'aperçois, scotché derrière la porte, un graphique au feutre
bleu : en abscisse, « productivité / performance »,
en ordonnée, « vente / commercial ». On descend les
escaliers, et trône dans le hall vide, aux côtés d'une plante verte,
une « exposition ». Sur le premier panneau, écrit en
immense : « UNE PROMESSE. Simplifier, c'est gagner, c'est
rendre simple pour les clients, les postiers, les élus. » Sur
le second : « UN CREDO. Ne vous demandez plus ce que la
Poste peut faire pour vous et avec quel budget, mais ce que vous
pouvez faire pour elle avec ce que vous avez. » Sur le
troisième : « UN DEVOIR POUR TOUS. Remplir la
mission. » Comme si le nouveau facteur devait se muer en
Rambo...
Au départ était une directive européenne. Qui impose
un calendrier : 2003 : ouverture à la concurrence des
lettres de plus de 100 g ; 2006 : ouverture à la
concurrence des lettres de plus de 50 g ; 2009 :
libéralisation totale du marché du courrier. Avec cette
« concurrence libre et non faussée », l'esprit du service
public se « modernise » : d'une logique de mission
(délivrer les lettres, offrir une épargne populaire, d'une façon
égale sur tout le territoire), La Poste a glissé vers une logique de
marché (gagner des parts, vendre des produits, augmenter sa
rentabilité). Dans tous les domaines, ses priorités se sont
inversées : les entreprises avant les particuliers, la finance
avant le courrier, etc.
1 – Les entreprises avant les
particuliers « Nos premiers clients, explique Laurent
Benois, de loin, sont les industriels : 97% du courrier, à la
fois les factures et la publicité. La pub, c'est un gisement
considérable pour le groupe. » La Poste se trouve, d'ores et
déjà, transformée en sous-traitant pour le marketing d'entreprise.
Et tous les efforts de modernisation visent, désormais, à satisfaire
ces gros « prospects » : « On a mis en place
Tempost, un contrat entre l'entreprise et la Poste qui s'engage à
fournir en priorité le client à J+1, +2 ou +3, en fonction des
exigences. Si les délais ne sont pas respectés, on rembourse. C'est
l'objectif "Cap Qualité Courrier" qui réclame une
quasi-industrialisation de cette branche pour être en accord avec
les principes européens et se préparer à la
concurrence. » Conséquence mécanique : les colis et les
lettres des particuliers passent après : « L'objectif du
service courrier c'est de faire travailler les gros clients, en
priorité, grâce aux contrats Tempost. Du coup, même la pub passe
avant le courrier des particuliers. » (un brigadier, SUD)
Confirmation de Florent Huille, directeur du DOTC Picardie :
« Nos objectifs en chiffres d'affaires sont essentiellement
concentrés sur le courrier publicitaire (Postimpact
+3%) ».
2 – La finance avant le courrier Alors
que les bureaux de poste fondent (voir suite de l'article), les
agences financières, elles, pullulent : « Il y a dix ans,
il existait quarante produits financiers, aujourd'hui quatre
cents » (un brigadier, syndiqué à SUD). C'est la nouvelle
orientation de La Poste : viser le porte-monnaie de ses
usagers. Jourpost80 sonne ainsi la « mobilisation
générale » : « Toute la chaîne commerciale et la
ligne managériale devaient être formées sur les produits retraite et
la méthode de vente avant le lancement officiel du plan d'épargne
retraite populaire » (mai 2004). Quant à la prévoyance, avec
« neuf produits » (Résolys Obsèques Prestations, Séralys
Premiers frais, Ponctualys Relais, Avisys Protection Famille,
Quiétude autonomie, Protectys Autonomie, Complétys Santé), La Poste
offre « la gamme la plus complète du marché » (Forum,
décembre 2004). Des sondages sont lancés, affirmant que « 62%
des Français pensent que la Poste propose des produits financiers
qui rapportent autant que ceux des banques », « 31% se
tourneraient vers La Poste pour acheter des produits
boursiers », etc. (Direction de La Poste de la Somme, décembre
2004). Et en 2006, sera créée une « banque postale » pour
des opérations immobilières et du crédit à la consommation
« qui est une filiale du groupe, et qui cherche à faire du
chiffre, comme toutes les banques. » (guichetier à Gamaches,
CGT). Une démarche commerciale cohérente : avec son
« réseau extraordinaire », La Poste est fréquentée pour
ses services postaux. De quoi attirer le chaland. A côté, elle
délivre à ses usagers (avec des techniques de vente, de marketing,
de phoning, etc.) des services plus rentables : des assurances,
un portefeuille d'actions, du crédit, etc.
3 – Les
produits à valeur ajoutée avant les timbres C'est le rôle des
guichetiers, désormais : non plus répondre aux besoins des
usagers, mais refiler des « produits à VA ». A Valeur
Ajoutée. Vous désirez des timbres ? On vous fournira des
enveloppes timbrées. Il vous faut un envoi de base ? Vous
repartirez avec du Colissimo (voir l'encadré). « Colis Eco,
vous pouvez le demander au guichet, rappelle Laurent Benois,
Monsieur Com'. Mais pour une livraison rapide, mieux vaut prendre
Chronopost, TNT, ou UPS, voire Chronomunition, en taxi, il existe
différentes formules. Vous imaginez, on a plus de cent cinquante
produits et services à proposer. Guichetier, c'est un métier très
pointu, qui évolue en permanence, ça ne rigole
pas... » C'est le principe du « marché » : le
baril OMO de base satisfait la ménagère, mais on lance le OMO qui
lave plus blanc, puis le OMO qui lave plus blanc que blanc, et la
nouvelle formule de OMO, et la nouvelle nouvelle formule de OMO, et
le OMO parfum vanille, etc. La Poste, à son tour, est entrée dans
cette spirale, avec toujours des « nouveaux modèles » qui
« viennent enrichir la gamme des Emballages Colissimo »
(Colipost Magazine, janvier 2005). Des produits qui répondent moins
à de « pseudo-besoins émergents » qu'à une visée
commerciale, justifier une hausse des tarifs : « Le nombre
de choses à vendre maintenant, c'est énorme, remarque une
guichetière. Dans toutes les gammes, on a au moins une centaines de
produits. C'est pas s'adapter aux besoins des clients mais à leur
pognon. La bonne clientèle, comme ils disent, est reçue par le
service clientèle. Les pauvres peuvent continuer à faire la
queue. »
L'époque qui veut ça... On connaît la
chanson : comme « on vit dans une société qui
bouge », « en mouvement permanent », « il faut
s'adapter à cette marche du monde » (Laurent Benois) et
« La Poste adapte ses produits à cette société » (Forum,
décembre 2004). Soit. Mais jamais l'on ne s'interroge sur les
finalités, pour notre pays, pour les salariés, de ces
« modernisations » successives : que les entreprises
adressent, grâce à « Tempost », leurs publicités à J+1
doit-il devenir un objectif majeur ? Un concurrent de plus à la
Caisse d'Epargne, à la BNP, pour fourguer des « plans épargne
actions », s'avère-t-il si nécessaire ? Faut-il s'engager
sur le marché du crédit contre Finaref et Sofinco, avec les mêmes
méthodes ? C'est le signe d'une époque : il semble
presque naturel, fatal, irréversible, qu'un service public, hier
pourvu d'une fonction sociale, hier outil d'aménagement du
territoire, soit voué, par tous les bouts, la publicité, les
actions, les crédits, à servir l'argent roi...
François
Ruffin et Aline Dekervel Fakir
n°24 (mai/septembre 2005)
Dossier : "Y a (presque)
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