Grand Angle
La poudre aux 
Livres
Le marché du «gift book»  
livre-cadeau  explose. «Les Blagues Carambar» ou «la Lettre sur le bonheur» 
sont parmi les best-sellers de ces objets de mots qui s'achètent comme des 
bonbons aux caisses des supermarchés.
Par Marie-Dominique LELIEVRE
vendredi 30 décembre 
2005 
Pourquoi un tel succès ? 1. C'est joli et léger comme des tapas. La séduction du gift 
book est visuelle : plus proche de l'objet que du livre, le gift book 
a un titre et un packaging soignés. Exemple : Lire aux cabinets, 30 000 
exemplaires vendus en cinq ans. Une couverture rose Lotus frappée d'un 
pictogramme de «pipi-room». Un livre cousu. Texte d'Henry Miller, 6,10 euros. Le 
tout réussissant la prouesse d'être chic, grâce au travail de Patrick Lebedess, 
qui concocte les couvertures de l'éditeur Allia. Les éditions de l'Epure, elles, règnent sur les épiceries fines avec la 
Courgette, dix façons de la préparer, papier vélin, piqûre cahier d'écolier 
fil de lin, 10 euros (s'offre avec un kilo de courgettes), 5 000 exemplaires 
vendus, autant dire un block-buster pour un aussi petit éditeur qui coud presque 
ses livres à la main... Chez Mille et Une Nuits, inventeur du livre à 10 francs, 
la Lettre sur le bonheur d'Epicure fit un tabac (500 000 exemplaires 
vendus). Sur la seule promesse du titre. «Le texte est à peu près illisible, 
d'autant qu'Epicure a une idée plutôt austère du bonheur, note Nata 
Rampazzo, qui lança la collection. Chez Mille et Une Nuits, nous avions 
étudié les titres séduisants d'auteurs plus ou moins classiques.» Ainsi, 
le Droit à la paresse, de Lafargue, se vendit à plus de 50 000 
exemplaires. La glande est un bon sujet, lorsque l'emballage suit. Ainsi 
l'Art de ne rien faire, de Catherine Laroze, aux éditions Aubanel, autre 
best-seller des boutiques Résonances depuis quatre ans. L'ouvrage est présenté 
sur les étagères de face, comme un objet : 20 000 exemplaires vendus. Sur un 
texte subtil et hiératique de la philosophe et psychanalyste Catherine Laroze, 
encore surprise de son succès. «Le titre est sans doute pour beaucoup dans 
cette réussite commerciale. Jamais je n'avais vendu autant.» En tout cas, 
l'Ame jardinière, son opus suivant au texte tout aussi nickel, ne réalise 
pas un «score» aussi élevé, même si l'emballage graphique est aussi charmeur que 
celui du précédent, et le texte aussi ambitieux. L'éditeur Allia a, lui aussi, 
beaucoup tiré sur la corde de l'oisiveté : l'Apologie de la paresse, 
la Paresse comme vérité effective de l'homme, Eloge de l'oisiveté, le 
Paresseux, une apologie des oisifs et l'inévitable Droit à la paresse 
figurent à son catalogue. Moins on glande, plus on achète de livres sur la 
glande. 2. La lecture en microdosette. «Acheter des livres serait une bonne 
chose si on pouvait simultanément acheter le temps de les lire», dit 
Schopenhauer (cité dans un gift book pour intellos, les Idées des 
autres, une compilation de citations, par Simon Leys). Conçu pour un appétit 
light, le petit bouquin offre la lecture en microdosette. L'écriture en 
est snackée : compilations, blagues, almanachs, tapas littéraires, picorettes, 
paragraphes brefs. Un gift book, c'est facile à digérer. Ça se lit avec 
les doigts, qui feuillettent. 3. Ça parle de chien, de chats ou de bébé ou de spiritualité : c'est 
craquant, à faire fondre. Les minialbums d'Anne Geddes, qui photographie des 
bébés dans des choux, des pots de fleur, des vases, des boîtes à chaussures, des 
paquets cadeaux, accompagnés de citations de Shakespeare ou de Ramakrishna : 
c'est 15 millions d'exemplaires vendus dans le monde. De leur base en 
Nouvelle-Zélande, les Geddes, Anne (à la photo) et son mari Kel, règnent sur 
l'empire des caisses enregistreuses. D'année en année, ils réduisent le format 
de leurs livres : grand, moyen, petit, et maintenant tout petit. Car plus c'est 
petit, plus ça rapporte. D'une part, ça permet de se rapprocher des caisses et 
donc du panier de la ménagère. D'autre part, c'est très rentable. «J'ai 
calculé un jour le prix à la page d'un Mille et Une Nuits, le premier livre à 10 
francs, maintenant à 2 euros. Eh bien, à la page, c'est plus cher qu'un Pléiade 
sur papier bible...» note l'éditeur Jean-Hubert Gaillot, chez Tristram. Une 
maison qui a eu son petit best-seller avec Poésies d'Isidore Ducasse (7 
euros). Un texte de prose dans lequel Ducasse plagie des paragraphes d'auteurs 
célèbres, améliorant chacune de leurs sentences dans le sens du bien. Un plagiat 
positif, en somme. Aujourd'hui presque «épuisé». 4. Un petit prix. «C'est moins cher qu'un bouquet de fleurs», 
dit Stéphanie Vukovic, directrice des éditions Minerva. Un gift book 
coûte souvent moins de 10 euros. «Ça ne s'offre pas, un livre. C'est un 
cadeau d'avare et d'emmerdeur» (Patrick Besson dans Peoplogie, 
gift book des petites célébrités parisiennes). 5. C'est très très gros. Si beaucoup de gift books optent pour 
le format picorette, il en existe aussi en gabarit XXL pour pouvoirs d'achat 
XXL. Ces objets sont alors décrits avec leurs caractéristiques anatomiques : 
mensurations, poids... 34 kilos et 792 pages pour GOAT, a Tribute to Muhammad 
Ali, chez l'éditeur Taschen. Les 1 000 exemplaires numérotés avec couverture 
en soie (10 000 euros) sont quasi épuisés. Les 9 000 suivants (3 000 euros, 
couverture en vinyle) sont en bonne voie de liquidation. Un format si atypique 
que la reliure en bois toilé (représentant le torse de Muhammad Ali) a été 
confiée à l'imprimerie du Vatican, la seule à maîtriser la situation. Sur la 
couverture, les lettres GOAT faseyent comme une passe de muleta rose flashy. Qui 
a succombé ? «Jamel Debbouze. Il l'a posé dans sa chambre... Et de nombreux 
clients dans les écuries de formule 1», note Jean-Jacques Beaudouin-Gautier, 
le directeur général de Taschen-France. L'éditeur s'était lancé en 1999 avec le 
Sumo d'Helmut Newton, 5 000 euros. «Il en reste moins de vingt dans le 
monde.» Sumo est livré avec... un socle d'exposition dessiné par 
Philippe Starck. Ses clients ? «Des gens du show-business. Claude Nougaro, 
Catherine Deneuve... Des hôteliers, qui l'ont offert à leurs clients 
importants... Des galeristes, comme la galerie Templon.» C'est fabriqué comment ? «J'ai acheté Comment tondre la pelouse à la Foire de Francfort, 
dit l'éditeur Laurent Laffont, chez Jean-Claude Lattès. A Elwin Street, un 
packager londonien.» Petite structure artisanale composée de femmes, Elwin 
Street a imaginé le concept du livre, en a fait la maquette avant d'en vendre 
les droits dans plusieurs pays. Comment tondre la pelouse est un 
livre-objet au graphisme kitsch, illustré de chromos 1950, inspiré des guides 
pratiques. On y apprend à planter un arbre, parler à un mécanicien, découper un 
poulet, épater le sexe opposé... Les Anglo-Saxons règnent sur le marché du 
gift book. «En France, il n'y a pas de vrais packagers : le marché est 
trop étroit, note Nata Rampazzo. C'est une tradition anglo-saxonne, qui 
fonctionne sur une économie d'échelle. Le packager gagne de l'argent à la 
fabrication...» A ses clients, il revend le livre sous forme de CD gravé et 
va jusqu'à assurer la fabrication en Orient. Ainsi, Laurent Laffont a commandé 8 
000 exemplaires (aujourd'hui épuisés) de Comment tondre la pelouse aux 
Anglaises. Avant de leur acheter les droits de Comment vivre avec un homme 
(et aimer ça) ou Comment repasser sa chemise. C'est à des 
Britanniques, également, que l'éditeur Allia a acheté les Miscellanées de Mr. 
Schott, petit bouquin au titre impossible conçu, rédigé et réalisé par Ben 
Schott, un jeune photographe. Un best-seller outre-Manche (500 000 exemplaires 
vendus), et qui suscite bien des espoirs dans l'Hexagone. «Pour nous, c'est 
le petit cadeau idéal, curieux, parfait», dit François Escaig, chez 
l'éditeur Allia. Le contenu ? Des petits riens, qui vont de la recette du Big 
Mac aux mensurations de la statue de la Liberté. Autant dire des informations 
parfaitement vaines. Pour traduire ces snacks déstructurés à la précision 
maniaque, l'éditeur a recruté... un latiniste, Boris Donné, qui a travaillé plus 
d'un an, et n'envisage pas de traduire les suivants. Il fallait respecter la 
charte graphique de Ben Schott. Reliure toilée rigide, beau papier, jaquette 
crème, 15 euros. La réception journalistique de l'ouvrage vaudrait une rubrique 
des Miscellanées. Le magazine Voici parle de «Quid 
portatif», Metro de «couteau suisse», les 
Inrockuptibles évoquent la «postlittérature», un «long poème 
ludique» et citent Laurence Sterne, William Burroughs et Borges... 30 000 
exemplaires vendus en un mois. Ça se vend où ? On l'achète parfois chez le libraire, mais pas toujours. Il y en a dans les 
boutiques de décoration ou d'art de vivre, les hypermarchés, les épiceries 
fines, les boutiques d'électroménager. Seules les pharmacies semblent échapper à 
la vigilance des représentants. Il y a des corners «livres» chez Darty, chez 
Colette ou Ikea, à Conran Shop, chez Décathlon et Auchan. Les professionnels 
appellent cela les GSS : les grandes surfaces spécialisées. «Pour faire du 
volume, il faut vendre en piles», indique Jean-Jacques Baudouin Gautier, de 
Taschen. Comme le chewing-gum, le gift book s'épanouit généralement à 
proximité des caisses enregistreuses, dans les queues d'où s'échappent les 
réflexes pavloviens que les spécialistes de marketing appellent «achats 
d'impulsion». Et, comme celui du chewing-gum, le parfum du livre sympa se 
dissipe vite.
n l'appelle le gift 
book. Le livre-cadeau. Ou encore le livre sympathique, voire le livre à 
offrir. Ou doudou en papier. Dans les dîners en ville, il précède l'invité, 
l'accompagne derrière la porte, avant d'arracher un sourire à la puissance 
invitante. C'est un bouquet en papier. Un petit format pas trop cher. «Le 
gift book est un livre qui ne sert pas à grand-chose, un cadeau sympa, 
rigolo, marrant», dit Caroline Jirou-Najou, spécialiste des droits dérivés 
chez l'éditeur Michel Lafon. «Généralement mis en valeur dans un 
display, on attend de lui des high scores.» C'est quoi, un 
high score ? Les Blagues Carambar, 40 000 exemplaires vendus. 
Best-seller des boutiques Résonances, par exemple, articles de cuisine et de 
bien-être pour bobos. Le royaume de l'achat impulsif, du presse-citron en bois à 
2 euros au plumeau en plumes de poulet bio. «C'est actuellement notre 
meilleure vente, note Jean-Jacques Martin, chez Résonances. Un coup de 
coeur, au départ : la maquette m'a fait craquer.» Format carré 15 x 15, 
couleur jaune Carambar, avec la papillote Carambar en relief passée au vernis 
sélectif, 9,90 euros.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=347970