La loi sur le droit d'auteur sera difficile
à appliquer
LE MONDE | 27.03.06 | 15h42 • Mis
à jour le 27.03.06 | 16h13
a loi sur le droit d'auteur et les droits
voisins dans la société de l'information (DADVSI), adoptée en première lecture
par les députés mardi 21 mars (Le Monde du 23 mars), met en place des
contraventions visant les internautes fraudeurs en fonction de la gravité de
leur acte. En l'état du texte, trois d'entre elles seront difficilement
applicables.
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L'internaute
qui télécharge à des fins personnelles une oeuvre protégée est passible d'une
contravention de 38 euros. Mais, techniquement, il est impossible de détecter l'acte
de téléchargement sans requérir des fournisseur d'accès à Internet (FAI) une
surveillance systématique de l'activité de leurs abonés. Or cette requête est "exclue
par la directive européenne de 2000 sur le commerce électronique", dit
Stéphane Marcovitch, délégué général de l'Association française des
fournisseurs d'accès (AFA).
L'internaute
qui met à disposition du public, sans intention commerciale, un fichier protégé
est passible d'une amende de 150 euros. Cet acte est détectable par des
dispositifs de surveillance automatisés, indépendants des fournisseurs d'accès.
Mais, indique Christophe Pallez, secrétaire général de la Commission
nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), "pour être
dissuasif, il faudrait mettre en place un dispositif à grande échelle. On peut
se poser des questions sur la faisabilité d'un tel système" qui
appelle beaucoup de personnels et de gros moyens techniques et financiers.
D'autant que les FAI facturent à la police ou à la justice "autour de
50 euros", dit Stéphane Marcovitch, chaque demande d'identification
d'internaute. Autre problème : la loi ne dit pas si le titulaire d'un
abonnement à Internet est présumé responsable d'un délit commis depuis son
compte personnel.
Des
sociétés d'auteurs avaient soumis à la CNIL un tel système de surveillance
limité à certains logiciels de peer to peer (P2P) - utilisés pour
échanger des fichiers protégés -, mais leur déploiement n'avait pas été
autorisé. "Nous ne sommes plus dans ce cadre, précise toutefois M.
Pallez, mais dans celui d'infractions constatées par la force
publique." Dans ce cas, cette surveillance serait autorisée. Reste le
plus difficile : trouver un système automatisé et efficace pour constater les
infractions. "La grande variété de protocoles techniques d'échange de
fichiers rend très complexe, sinon impossible, la mise en place d'un système
unique de surveillance", dit Christophe Espern, membre de la Fondation
pour le logiciel libre, opposée au texte de loi. En outre, ajoute M. Espern, "les
internautes vont se retourner vers des systèmes cryptés et anonymes".
Des logiciels comme Mute, Ants ou encore Grouper rendent impossible la
détection systématique de la mise à disposition d'oeuvres protégées.
Un
spécialiste du dossier explique que le gouvernement pourra toujours choisir de
mettre quelques officiers de police judiciaire dans un bureau, qui dresseront
manuellement des contraventions. "Si c'est le cas, commente-t-il,
la loi sera contre-productive : la probabilité d'être verbalisé sera très
faible et le montant des contraventions n'est pas réellement dissuasif."
Le
texte dispose enfin que l'édition, la commercialisation ou la distribution au
public d'un logiciel "manifestement destiné" à des échanges non
autorisés de musiques ou de films protégés est passible de sanctions pénales
(jusqu'à trois ans de prison et 300 000 euros d'amende). Mais la majorité des
éditeurs de logiciels de P2P ne sont pas français. En outre, la distribution de
ces programmes se fait souvent par le biais de sites Web hébergés à l'étranger.
"Notre plus grande crainte, dit M. Marcovitch, est de voir des décisions
de justice nous contraindre à filtrer Internet pour rendre inaccessible tel ou
tel site, au motif qu'il mettrait à disposition certains logiciels."
De
telles contraintes seraient "inopérantes", selon lui. "D'une
part, lorsque nous bloquons un site, nous bloquons tous les sites hébergés sur
le même serveur, y compris ceux qui n'ont rien à voir avec le délit,
précise-t-il. D'autre part, le temps de bloquer le site, le logiciel déclaré
illicite aura migré sur d'autres serveurs et sera en définitive toujours
accessible."
Stéphane Foucart
Article paru dans l'édition du 28.03.06