Portrait
Riad Sattouf, 28 ans, dessinateur de BD. Obsédé sexuel
autoproclamé, ce sentimental doté d'un sens critique aigu est le contraire de
son nouveau héros, Pascal Brutal.
Dessein de
femmes
jeudi 29 juin 2006
Riad Sattouf en 6 dates 5 mai 1978 Naissance à
Paris. Son univers, c'est celui du type qui a du mal avec les filles, pour qui la
virilité n'est pas un rôle acquis. Et dans Pascal Brutal, il pousse le
bouchon un peu plus loin en foutant son héros macho et
«catho-méditerranéen» une fois sur deux dans le lit d'un autre garçon. Il
ne voudrait pas avoir l'air démago, explique-t-il, «mais à force d'être pris
pour un homo, j'ai fini par développer des affinités». Question identité
sexuelle, il n'a pas eu que de bons exemples en Syrie, où il a grandi jusqu'à
l'âge de 11 ans. «Mes tantes et mes cousines étaient toutes voilées. L'une
d'elles a obtenu un jour une bourse d'Etat parce qu'elle était une des huit
meilleures étudiantes du pays. Mais ses parents lui ont interdit de continuer.
Et j'ai un cousin qui était gay. Quand ça s'est su, il s'est tiré une balle dans
la tête, mais il s'est raté. Il est devenu gogol. Tout le monde préférait quand
même ça.» On veut d'autres exemples ? Riad est une carabine à mauvaises
pensées. Il se lève, se lance dans des sketches, raconte sa seule et unique
virée dans une salle de gym avec son collègue Mathieu Sapin, le père de
Supermurgeman (ils partagent un atelier rue d'Avron à Paris, où l'on croise
aussi Blain). Il y avait des «islamistes de guerre» comme il les appelle,
avec barbe et treillis, soulevant de la fonte et qui faisaient des commentaires
peu amènes sur une «saaalope» suant sur son rameur. Riad nous fait passer
dans les vestiaires, déshabille les mecs, «le steak à l'air», il les
mime, jure en arabe, se tapant sur les fesses en pouffant, il n'y a pas de
sous-titres. On comprend l'idée. Son ennemi, c'est le dressage culturel. Il y oppose la connaissance de soi.
«Je suis fasciné par la violence du conditionnement dans l'éducation, la
façon dont les jeunes prolongent souvent les conservatismes. Ils voient leur
père et leur mère dans des rôles formatés, ils font pareil.» Au lycée, il y
avait un mec qui l'a fait chier pendant deux ans «avec sa supériorité, parce
qu'il fumait des joints, ne jurait que par Che Guevara, il se croyait trop
cool.» Récemment, il a eu de ses nouvelles. C'est devenu un sarkozyste
enragé. Riad Sattouf aime qu'on voie clair au-dedans de sa cervelle, ou du moins
qu'on essaie. Il s'effare de la remise en cause de la psychanalyse, du retour de
l'ordre moral, de la religion, de la peur. Sarkozy lui fait peur, comme à
d'autres : «Il ne fait appel qu'à la névrose, aux instincts... et on ne peut
même pas le critiquer parce que sinon, s'amuse-t-il, 90 % des gens te
répondent que tu es victime de la pensée unique.» Le libéralisme déguisé en
libertarisme en prend donc plein la gueule dans Pascal Brutal. Il y a une
prof pas si éloignée que ça de la réalité qui apprend à ses étudiants comment
reconnaître un candidat de gauche : c'est celui pour qui «il ne faut pas
voter». Précisons que dans ce livre d'anticipation, Alain Madelin est
président depuis vingt ans, Sarkozy étant mort dans de mystérieuses
circonstances. Et puis il y a aussi une conne exemplaire, étudiante en commerce,
ultralibérale, catholique pratiquante et partouzeuse qui veut «une vie de
folie dans une ville de folie.» Plus vraie que nature, là encore. Et pour cause, Riad saute sur son ordinateur portable, jubile : «Venez
voir, venez voir, c'est là que je l'ai trouvée.» Il traîne sur les pages
perso d'étudiants, repère les sourires «ultrabrite» et les discours
autosatisfaits. Envoie un message : «Bonjour, je me demandais si tu étais un
sympathisant UMP.» Signé : Pascal. Réponse invariable: «Oui, pourquoi
?» Ce garçon aime décidément se faire du mal. Tant de cynisme lui a valu des
démêlés avec la police. A l'époque du Manuel du puceau et de Ma
Circoncision, il a frôlé la censure. Convoqué au commissariat, tout s'est
passé comme son avocat le lui avait annoncé. La commissaire commence par lui
dire qu'elle aime beaucoup son livre. Puis tente de le faire déblatérer à tort
et à travers. Consigne : en dire le moins possible. Il l'a raconté dans une
double page de Charlie Hebdo. Le livre n'était pas jugé convenable pour
la jeunesse. On l'accuse de racisme antisyrien. «Je suis syrien»,
répond-t-il. Et aussi : «Pourquoi donnez-vous une mauvaise image du père
? Parce que c'est vrai. C'est-à-dire ? C'est une
autobiographie.» Son père, «double doctorat d'Etat, littérature et
histoire contemporaine» enseignait à Damas. Riad ne l'a pas vu depuis quinze
ans, depuis son retour à Rennes avec sa mère, secrétaire médicale. Il reste
discret sur la question. Mais quand on lui demande, à lui qui s'intéresse tant
aux questions d'éducation, s'il veut des enfants, il se lance dans une autre
saynète: «Qu'est-ce qu'on leur répond quand ils demandent comment ils sont
nés ? Tu vois, papa allait quitter maman, puis on t'a eu et depuis, on est
très amoureux.» Mais Riad n'est pas qu'un fin analyste de l'horreur familiale et du carcan de
l'hétéronorme. Pour entrer dans son atelier, il faut enjamber une collection de
guitares : jazz, basse, Stratocaster US, plus une Washburn Idol rachetée à Sfar.
Il prend des cours et pour un débutant, il bidouille plutôt pas mal sur son
portable, devient en trois coups de logiciel un groupe métal à lui tout seul
(1). Autre marotte : observer la terre depuis sa lune. Au moment où l'on
débarque, il vient de télécharger la nouvelle version de Google Earth, qui
permet de mater les bases sous-marines françaises secrètes depuis chez soi.
«Je suis assez obsessionnel. Par exemple, la conquête spatiale me fait
délirer. C'est à la fois vain et un signe de, comment dire, l'excellence
humaine, du goût de l'impossible.» Après avoir vanté tout à l'heure les
mérites de la psy Alice Miller, spécialiste de l'enfance maltraitée, il cite à
présent le film Un voyage autour de la terre, du cosmonaute Jean-Pierre
Haigneré. Riad Sattouf est assurément un garçon centrifuge. Travail sur soi, mise en
orbite, exploration de l'âme humaine coiffé d'un casque de Mig-31. Parti de
l'heroic fantasy («Je voulais être un Frazetta français»), il a éclos
grâce à Emile Bravo et Joann Sfar. En 2002, il devient un puceau éternel en
signant les Pauvres aventures de Jérémie. Mais bon, franchement, Riad Sattouf, ça va mieux avec les filles, quand même
? «Oui. En ce moment, je suis très amoureux de Marie Laforêt.» Ah ? Euh,
pourquoi pas, c'est vrai qu'elle est bien refaite. «Refaite ? Pas du tout,
elle prend des huiles essentielles !» photo stEphane lavoue (1) Dans un autre genre, ses mp3 «Pascal Brutal» sont sur
http://myspace.com/pascalbrutal
1982-1992
Petite enfance en Syrie et retour définitif
en France en 1992.
Décembre 2003
Prix Goscinny pour les Pauvres
Aventures de Jérémie (Dargaud). Manuel du puceau et Ma Circoncision (Bréal
Jeunesse).
Juillet 2004
Commence la Vie secrète des jeunes dans
Charlie Hebdo.
Septembre 2005
Retour au collège (Hachette
Littératures).
Juin 2006
Pascal Brutal (Fluide
Glacial).
l fume sa cigarette comme
Gainsbourg sur la pochette de Love on the beat. Se dénonce tout de suite
: «J'ai l'air efféminé, j'ai une voix de gonzesse. Je croise les jambes quand
je m'assois au lieu de bien les écarter comme un vrai homme.» Au collège,
les filles l'avaient élu «garçon le plus laid de la classe». C'est drôle
comme on change avec l'âge. Et dans les soirées, les gays se jettent sur lui. Il
est pourtant hétéro, c'est juré promis. Riad Sattouf n'a pas franchement l'air
de l'obsédé sexuel qu'il dit être. Plutôt d'un garçon doux, à peu près le
contraire de Pascal Brutal, le héros de sa nouvelle BD. Mais ses amis confirment
: Riad voit des seins partout. Joann Sfar en a fait une icône du frustré
professionnel dans son journal dessiné, lui faisant raconter qu'il va se marier
avec Virginie Ledoyen ou qu'il existe sept sortes d'orgasme. Du coup, on
connaissait Riad presque avant de lire ses livres : il a longtemps été un
personnage de BD.
http://www.liberation.fr/page.php?Article=394070