Didier Rykner : le gardien du temple
LE MONDE | 18.01.07 | 16h39  •  Mis à jour le 18.01.07 | 16h39

epuis un mois, Didier Rykner est partout. A la radio, à la télévision, il égrène ses arguments contre les délocalisations du Musée du Louvre à Atlanta (Géorgie) ou à Abou Dhabi (Emirats arabes unis). Des plaidoyers qui mettent les directeurs de musée sur la défensive. Rien ne prédisposait cet ingénieur agronome de formation à tenir ainsi la dragée haute à l'establishment politico-culturel.

Il n'était jusque-là connu - honorablement - que des 4 000 à 5 000 lecteurs de sa Tribune de l'art (www.latribunedelart.com), un site Internet qui couvre l'actualité des musées et des expositions, du Moyen Age au XIXe siècle. La pétition qu'il a lancée, après la publication de la lettre de protestation de Françoise Cachin, Jean Clair et Roland Recht dans Le Monde (12 décembre), a été signée par 3 000 personnes et relayée dans toute la presse, jusqu'au prestigieux New York Times, qui lui a consacré au moins deux articles. A 45 ans, l'homme est un amateur revendiqué, même s'il a été diplômé de l'Ecole du Louvre en 1987. Ce qui, après des études d'ingénieur, témoigne d'une réelle culture scientifique, dont il revendique la rigueur dans son site. Créé en avril 2003, alors que Didier Rykner, devenu consultant en organisation, travaillait à la refonte des bureaux de feu les P & T, il donne des informations, souvent très spécialisées. Il est le seul accessible au grand public à consacrer une importante couverture aux activités des musées de province.

Ses collaborateurs bénévoles, historiens d'art ou conservateurs, estiment que l'histoire de l'art ne peut être séparée de la protection des objets qu'elle étudie. Lors du lancement du site, il écrivait : "Chacun sait que la France est un des pays les plus riches en oeuvres d'art, mais aussi l'un de ceux où le vandalisme sévit le plus. Aujourd'hui encore, des églises sont détruites, des tableaux dénaturés par des restaurations abusives, des sculptures sont envoyées à l'encan. Parfois même, ce sont des institutions censées conserver le patrimoine qui détruisent celui-ci. Nous n'hésiterons pas à dénoncer ces atteintes inadmissibles."

Trois ans après, il a tenu parole. En dévoilant, dès octobre 2004, le premier, les plans liant le Louvre au Musée d'Atlanta. Il a trouvé un article de The Atlanta Journal-Constitution, dont il a acquis les droits. Il l'a traduit et publié sur son site. "L'information était disponible aux Etats-Unis, alors même que la majorité des conservateurs français n'étaient pas au courant." De fait, le Louvre, pressé par les événements, ne dévoilera officiellement qu'en janvier 2006 ce projet qu'il entendait garder secret encore un peu (Le Monde du 31 janvier 2006).

Ces directeurs de musée, qu'il empêche de dormir dans la quiétude de leurs logements de fonctions, seraient surpris de voir d'où le scandale arrive. La Tribune de l'art, du moins l'ordinateur à partir duquel Didier Rykner alimente son site, est posé dans sa cuisine, à côté du réfrigérateur. Dans son petit appartement du XIe arrondissement de Paris, les murs sont tapissés de livres d'art et de tableaux, essentiellement religieux, une thématique surprenante de la part d'un homme qui se dit agnostique.

Des oeuvres de petits maîtres - qui connaît encore Hippolyte Lazerges ? - ou de gloires passées du XIXe siècle. Les dessins sont dans le couloir, pour les préserver de la lumière. Soigneusement classée, La Revue du Louvre est dans les toilettes. "N'y voyez aucune malice, précise-t-il. C'est juste le manque de place." Quelques épais dossiers concernant la peinture des écoles nordiques couronnent une armoire, dans la chambre des enfants.

Ces derniers, trois charmants bambins que gère une épouse à la patience d'ange, prennent leur revanche en jonchant de leurs jouets le sol du salon.

Didier Rykner s'inquiète de l'un, qui vient d'avaler de travers, et embraye sur le mouvement qu'il a lancé. "Cela ne m'amuse pas. Je préférerais écrire des articles sur l'histoire de l'art." Il l'a fait, d'ailleurs : à travers des revues savantes ou sur Internet, il s'est sérieusement penché sur l'oeuvre de Jean-Louis Bézard (1799-1881), la Pieta de Frère Luc à Saint-Nicolas-du-Chardonnet ou encore l'iconographie de l'Ange et l'Enfant... Et il martèle : "Prêter des oeuvres, oui, c'est même indispensable pour faire progresser les connaissances. Mais ces mouvements-là n'ont aucun caractère scientifique."

Dans sa pétition, quelques signatures politiques : le communiste Michel Duffour, ancien secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation, côtoie le sénateur socialiste Yves Dauge et Alexandre Galdin, conseiller général et municipal de Paris (UMP). Philippe Herlin, un des responsables de la culture au Front national, avait également signé, mais Didier Rykner a choisi de retirer son nom de la liste. "Mon objectif, ce n'est pas la polémique, et les gens qui m'ont fait confiance ne méritent pas ce type de récupération."

Subit-il des pressions ? "C'est lourd à porter." Il craint des sanctions pour certains des pétitionnaires. "Ce qui m'agace, c'est que l'on a beau expliquer, préciser les positions, il n'y a pas de débat." Il déplore que l'on se focalise sur des détails sans aborder jamais le fond, que l'on avance des arguments sans les vérifier. "Je ne suis pas contre les prêts, loin de là. Mais ce doit être fait dans un cadre scientifique, pas mercantile. Ou, à la rigueur, caritatif : lorsque la France prête des chefs-d'oeuvre au musée de La Nouvelle-Orléans, qui a été sinistré par Katrina, j'applaudis. C'est un beau geste."

Une de ses craintes, c'est la marchandisation. "La nation a les moyens de se payer ses musées. Ou devrait se les donner. La culture est une mission régalienne de l'Etat. Comme la défense. Si l'armée a besoin d'argent, elle ne va pas louer ses porte-avions ! Le rayonnement de la France, ce n'est pas de se louer."

Dans le salon, Pierre-Claude-François Delorme (1783-1859) s'est réfugié sur le radiateur. Cet élève de Girodet est l'auteur de fresques pour l'église Saint-Gervais, à Paris. Didier Rykner en a déniché, à Drouot ou aux Puces, une esquisse. Elle représente plusieurs figures allégoriques, dont certaines doivent l'inspirer plus que d'autres : l'Espérance, la Foi, la Justice. Sur le comptoir de la cuisine, quelques sculptures, là aussi des figures religieuses. Un goût saint-sulpicien ? La réponse fuse : "Je déteste le terme, il ne signifie rien en histoire de l'art." Et d'ajouter, désignant ses collections : "C'est invendable. Et c'est tant mieux..."


Harry Bellet

PARCOURS

1961

Naissance à Paris.

1985

S'inscrit à Sciences Po et à l'Ecole du Louvre, après son diplôme d'ingénieur.

1988

Devient chasseur de têtes pour un cabinet de consultants.

1989

Il intervient dans plusieurs entreprises, dont La Poste où il est embauché en 1997.

2003

Lance le site latribunedelart.com

14 DÉCEMBRE 2006

Lance la pétition "Les musées ne sont pas à vendre ".



Article paru dans l'édition du 19.01.07